« Du chaos à l’unité ». Cette phrase, reprise un peu partout dans la communication d’Assassin’s Creed Unity, ne pouvait mieux tomber pour décrire la mue garantie par Ubisoft de son million seller costumé. Une mue qui chercherait, après 6 épisodes, à rassembler les idées et concepts éparpillés par le temps et les itérations, pour en faire la synthèse idéale. En optant pour la Révolution française comme terrain d’essai next-gen, la saga ne faisait pas que répondre à un fantasme de fans de longue date. Elle choisissait le creuset idéalement légitime pour revendiquer sa propre révolution conceptuelle. Soit dire adieu à certains canons (le multi PvP, l’enrôlement d’assassins accolytes), accueillir de nouveaux (coop en ligne), mais surtout raffiner les plus élémentaires de ses acquis.
Rien à dire, le Paris d’Ubisoft impressionne. Mais pas autant par sa fidélité de reconstitution, ou son expansion kilométrique (bien modeste face aux Caraîbes du précédent opus) que par sa redéfinition de l’espace, enfin complétée par l’exploration en temps réel de ses environnements intérieurs. Un détail certes, mais qui offre au terrain de jeu une densité nouvelle, en parfait raccord avec la condition de l’assassin, autorisé à fouiller ses recoins les plus intimes. Une maîtrise de l’espace désormais totale, qui passe aussi par la refonte de son gameplay de Parkour, plus fluide et permissif, et d’infiltration, enfin augmentée d’un système de couvert (une « nouveauté » qui donne le vertige en 2014) et de customisation RPG. Souvent boudée par les puristes pour son retard face aux cadors du genre (Hitman, Deus Ex), la saga se rattrape par un gameplay autrement plus sand-box, mieux valorisé par une scénarisation de ses objectifs, qui fait enfin la part belle à la planification d’approches plutôt que l’acrobatie bâclée.
Si Assassin’s Creed s’est toujours appuyé sur ses espaces historiques comme cache misère de ses jouabilités, l’effort se veut ici notable. Et il l’est : pour une fois, le monde ouvert sert l’expérience de jeu en priorité, et non l’inverse. Toile de fond plutôt que maquette pédagogique, la ville cherche moins la précision documentaire de son époque qu’un ressenti de ses mythologies. En résulte un art de la caricature de ses figures historiques (Sade en obsédé adipeux, Bonaparte en génie stratège, Robespierre en tyran manipulé par le Mal, la liste est longue), pour y caler au chausse-pied son éternel conflit entre Assassins et Templiers, phénomène auquel la saga nous habitue depuis l’origine. Mais aussi un détachement prudent de ses enjeux idéologiques (les discours historiques qui se déclament en arrière plan des missions, sans qu’on y prête forcément attention) ou la retranscription de son quotidien par une atmosphère fiévreuse, fantastique, pour ne pas dire apocalyptique, de ses rues, dont la violence délétère (excessive mais inattendue) contredit l’ambiance de diorama aseptisé des épisodes précédents.
On aurait aimé que cette maturité contamine les autres strates du jeu. Peine perdue. En dépit de ses bonnes intentions, Unity ne fait pas autant le ménage qu’il le prétend. La dissidence à son héritage tient plus de la révolution de salon que du bouleversement providentiel. Bien qu’amélioré, son gameplay accuse encore trop d’incohérences (IA ennemie, difficulté absurde de certaines missions, méthode frontale souvent incontournable), pour crier à la nouvelle référence du genre. Jouabilité d’autant plus décevante qu’elle ne parvient jamais à justifier la vacuité totale du scénario. Son échec est d’autant plus regrettable qu’il affichait l’ambition inédite de dépeindre un couple de héros plus charismatiques, dont la romance est vite plombée par l’ineptie de l’intrigue, bêtement calée sur les rails du récit lambda de vendetta et de complot. A force de voir le jeu se cramponner à ses balises crypto-geeks, on ne s’étonne même plus de le voir sombrer une fois plus dans la série Z en costumes. Même si, heureusement, quelques grains de folie subsistent : des échappées inter-dimensionnelles dans le Paris d’autres époques, une visite sous alcool d’une Versailles en ruine, une course poursuite après le ballon de Montgolfier sur les toits de la capitale. Autant de trouées romanesques qui pervertissent cette scénarisation en pilote automatique et la sauve de la somnolence. Pour le reste, la révolution attendra.