En plaçant son Dais dans le grenier de l’aile Renaissance du superbe château d’Oiron et son landau –Le Ciel à portée de tous– dans la galerie des chevaux, Patrick Van Caeckenbergh fait un joli pied de nez au nomadisme à la mode dans l’art contemporain. Les deux pièces déclinent le thème de l’habiter, « dimension fondamentale de l’être », comme l’a écrit Heidegger qui reliait cette notion à celles de bâtir et de penser.
Le Dais, utilisé lors d’une procession dans le village de l’artiste à Saint-Corneille en Belgique, se compose d’un grand drap bleu ciel soutenu par des barres torsadées suspendues au-dessus d’une estrade. Sur cette estrade, des pas figurés par des paires de chaussons retracent le chemin de la procession. Absence de corps, reste d’un événement cultuel, mimétisme du mouvement, caractère éphémère de l’œuvre : tous les ingrédients étaient là pour illustrer le nomadisme. Or il n’en est rien : Le Dais s’inscrit véritablement dans l’architecture du lieu tant il fait dialoguer la tradition avec l’idée d’installation. C’est moins du déplacement dont il est question que de la suspension d’un instant rituel dont la signification ne nous est pas livrée. Placée sur la longueur du grenier, cette pièce invite le spectateur à suivre les pas de la procession mais il ne peut participer au culte : hors de l’estrade, hors du temps de la célébration, il est voué à en contempler la trace fragile devenue statique. Sous le dais, les hommes portent leur ciel, c’est-à-dire leur condition d’habiter la terre en poètes.
Cette dimension se retrouve dans une moindre mesure dans Le Ciel à portée de tous, la seconde œuvre présentée de Van Caeckenbergh : une grosse coque montée sur des roues de bois contient toutes les pièces d’une maison miniaturisée. Cette espèce d’utopie humoristique précaire s’inscrit mieux dans l’ensemble des œuvres contemporaines exposées au château. Car Oiron n’est pas seulement un magnifique site qui contient une rareté -une galerie de fresques du xvième siècle consacré à la guerre de Troie-, c’est aussi une expérience de réunion d’œuvres actuelles dans un patrimoine ancien qui cherche à perpétuer l’esprit du cabinet de curiosités. Parmi les œuvres de la collection Curios et Mirabilia, constituée par Jean-Hubert Martin depuis 1993, certaines privilégient l’expérience sensorielle (Laib, Bryars, Vivarini), d’autres la décoration murale (Spoerri, Rutault, LeWitt), ou encore la convivialité avec le village d’Oiron (Boltanski, Marek). La plupart proposent bel et bien des curiosités, comme la Corne de licorne de Byars, les merveilleux Trichoptères dorés de Duprat ou la fabuleuse Collection de Mama W par Spoerri ; mais toutes semblent marquées au sceau d’une certaine patine. Bizarrement, alors qu’elles sont censées représenter la création contemporaine, les pièces exposées font songer à des objets déjà vieillis. Serait-ce dû au mode d’accrochage caractéristique du cabinet de curiosités ? D’autre part, comme ces pièces sont coupées de leur contexte, elles risquent de devenir le nouveau décor du château, échappant ainsi aux préoccupations originales qui les ont fait naître. Ainsi, malgré leur résonance judicieuse avec le monument, elles contribuent davantage à la gloire passée du site qu’à une valorisation du présent.