Qui prête réellement attention au titre d’une exposition ? Ce n’est généralement qu’un signe, un marqueur, au mieux une indication de contenu. Dévoler, titre énigmatique, mérite pourtant qu’on s’y arrête. Emprunté à une œuvre vidéo de Pierre Huyghe, « Dévoler » donne la clef de la présentation à Villeurbanne des œuvres de la collection du FRAC Languedoc. Dans ce petit film de 7 secondes, l’artiste entre dans un supermarché, se dirige vers le rayon des livres, sort furtivement un volume de sa poche, le dépose sur la pile puis s’enfuit : il a dé-volé. Par ce geste, Pierre Huyghe invente. Il invente une action qui n’existe pas, crée un mot pour la définir et au passage interroge les conventions sociales et langagières. On l’aura compris, l’exposition tente l’inventaire (partial et partiel) de la capacité à inventer des artistes contemporains. Par ailleurs, et la référence à Pierre Huyghe le dit assez, les œuvres présentées se veulent en prise avec le réel.
Quelques lignes de force se dégagent de l’ensemble et bien souvent se recoupent. Tout d’abord, une interrogation sur la représentation et la foi qu’on peut lui accorder. Maurizio Cattelan a demandé à cinquante de ses amis d’écrire une description de son visage. Ces textes ont été remis au dessinateur des portraits robots de la police. Résultat : un être toujours différent et pourtant le même. Claude Closky a quant à lui imaginé sur un site Internet une horloge basée sur le système décimal. Autrement dit le temps y est découpé en 10 heures : remise en cause de la convention absolue. Diffusée en boucle, Vexation Island, vidéo de Rodney Graham, évoque le mythe de Sisyphe mais, pour ce faire, « pirate » les codes de représentation hollywoodiens. Dans cette même veine du doute visuel, on pourrait encore citer le Nazi milk, inquiétante icône pop du groupe General Idea, ou la Garde républicaine plus vraie que nature de Xavier Veilhan.
L’autre grande affaire des artistes réunis par le FRAC Languedoc est le langage. La pièce de Douglas Gordon, From God to nothing, recense cinq cents peurs (peur de Dieu, du diable, de la maladie, etc.) pour s’achever par la peur de rien. Depuis la fenêtre de son appartement de Varsovie, Jozef Robakowski filme les mouvements de la rue (passants, bus ou voitures) tandis qu’une voix off tente de nommer tout ce qui entre dans le cadre. Tentative vaine, évidemment. Valérie Mrejen joue du hasard et de l’arbitraire. Au dos de cartes postales banales, elle écrit des phrases banales. Mais, sur le principe de la lettre anonyme, les mots sont des noms propres découpés dans un annuaire : coupures et conventions de la communication. Reliant le mot et l’image, David Lamelas propose le film muet sous-titré d’une lecture de Borgès. Problème : quand bien même on saurait lire sur les lèvres, les sous-titres ne sont pas synchrones !
Si l’image et le langage (les codes donc) apparaissent comme les domaines d’invention majeurs de l’art d’aujourd’hui, Dévoler, en une soixantaine d’œuvres, défriche quelques autres thèmes prégnants : la nourriture et la pourriture (Hakansson, David Vincent), le ready-made post-duchampien (Signer, Orozco, Blazy) ou encore la transgression des interdits (Broodthaers, Borland).