Les visas d’artiste
entament une nouvelle ère….
Une circulaire* accompagne les dispositions de la loi dite « Chevènement » sur l’entrée et le séjour des étrangers en France. Elle admet l’idée que le séjour des artistes étrangers dans l’Hexagone répond à des considérations particulières. Une carte de séjour temporaire portant la mention « profession artistique et culturelle » est mise en place. Une bonne nouvelle en soi pour la musique (entre autres domaines) qui permet d’assainir un peu la situation. Avec le Continent noir notamment.
Le départ d’un jeune auteur-compositeur africain vers un pays occidental repose sur une nécessité : le continent manquait souvent du minimum de structures professionnelles. Il repose également sur des fantasmes de réussite. Car quel jeune artiste d’Afrique francophone n’a pas rêvé un jour de mettre les pieds en France, avec l’espoir de devenir le nouveau Salif Keïta ? Qui n’a pas souhaité connaître la même destinée que celle de Manu Dibango et de ses trois kilos de café ? Le choix de la destination n’a rien à voir avec le hasard, disons que la France entretient des liens historiques avec les pays concernés et qu’elle a joué pendant un certain temps la carte de l’ouverture. « Sa politique culturelle attirait les artistes et leur offrait de se faire connaître dans le monde depuis Paris » affirme Mamadou Konté, fondateur et saint patron du festival Africa Fête. Il se souvient encore de ces artistes qui déboulaient de tous les coins de la planète et qui s’intégraient sans sourciller dans le concept vendeur d’une capitale de la sono mondiale. Un avis que partage la plupart des professionnels versés dans les musiques du monde. Hélène Lee, journaliste à Libération et à l’Affiche pense qu’il s’est vraiment « passé quelque chose dans les années 80… jusqu’au début des années 90. Tous les plus grands de la scène world music sont passés par la France. La plupart ne sont plus là. On peut se demander pourquoi? »
Car voilà le dernier constat en date. A force d’être refoulés, les artistes s’en vont. Christian Mousset, qui dirige les Musiques Métisses d’Angoulême, nous donne la clé de ce phénomène : « La France est moins une plaque tournante des musiques du monde depuis qu’il y a certaines lois dont on connaît malheureusement les méfaits, qui ont carrément pendant des années découragé les artistes. Mais pas seulement les artistes. Les intellectuels… des pays du Sud à venir en France, parce que c’était humiliant. C’est une vraie course de haies pour avoir des visas ». Les temps sont durs. La fièvre engendrée par la gauche du début des années 80 est retombée d’elle-même. L’hospitalité est devenue une qualité rare. Les murs de l’immigration deviennent infranchissables. « Tout est fait pour humilier, non seulement l’étranger… mais celui qui ose inviter chez lui un étranger » ajoute Hélène Lee. Dans un article sur Libé, elle rappelle l’exemple de Mory Kanté. Cinq années durant, il est resté sans papiers. C’était une époque plus clémente, il a donc pu passer « inaperçu ». Sans ça, il n’aurait jamais pu engendrer un million de vente de disque, avec son Yéké Yéké.
Conséquence directe des différentes lois sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, les galères de visas égalent à eux tout seul un enfer, sans parler des quotas et autres dispositifs réactionnaires. Les artistes, en allant tenter leurs chances ailleurs, ne font que subir une politique entamée surtout au milieu des années 80. Quand ce sont de jeunes talents qui balbutient leurs débuts de carrière, leur départ n’indigne personne. Mais parfois ce sont des artistes confirmés, qui préfèrent traiter alors avec des circuits professionnels qui ne leur sont pourtant pas habituels, des machines de production américaines par exemple, dans le « redéploiement » de leurs carrières. Ce qui crée un manque à gagner pour les entreprises culturelles françaises. Car c’est ce qu’on oublie de dire aussi. Les artistes africains ou d’ailleurs génèrent du chiffre dans l’économie française. Il payent aussi des cotisations sociales, dont ils ne touchent pas toujours les droits d’ailleurs, puisqu’ils sont souvent considérés comme en transit sur le sol français. Les Salif Keïta ou Manu Dibango dont vous parlait plus haut, c’est à la Sacem que se concentrent leurs droits d’auteur. A l’étranger, c’est Khaled ou Angélique Kidjo qui représentent le label bleu blanc rouge (le drapeau). Et derrière eux, ce sont des entreprises françaises qui travaillent, qui se nourrissent. Ce qui est paradoxal. Vouloir pénaliser ce qui vous rapporte, n’est-ce pas un acte de mauvaise gestion ?
« C’est vrai qu’il y a des artistes qui ont envie d’aller ailleurs aussi parce qu’ils sont mieux accueilli. C’est quelque chose sur lequel la France doit réfléchir. Parce qu’on ne peut pas se prétendre le centre du monde et se refermer ou se replier sur soi. La France plaque tournante des musiques du monde, à condition qu’elle soit un peu plus ouverte. Et que sa politique de visas en direction des artistes soit moins restrictive et plus humaine » s’énerve Christian Mousset. Emboîtant le pas à des acteurs culturels comme Mamadou Konte qui parlent de lutter pour l’instauration d’une « exception culturelle par rapport aux circulations des oeuvres d’esprit », un collectif d’associations réunissant des gens du métier (Zone Franche, Artistes Sans Frontières, Artistes Du Monde…) s’est mis alors en tête de faire fléchir la loi dans le sens d’une nouvelle réglementation. Enjoignant les fils de ses revendications à ceux déployés par les militants qui souhaitent la régularisation des malheureux ‘Sans Papiers’, ce collectif est arrivé à un moment donné à interpeller le gouvernement lors de l’élaboration des nouvelles lois, estampillées Chevènement.
Philippe Gouttes de Zone Franche explique : « Nous avons fait adopter un petit amendement à l’assemblée nationale, qui a pour effet aujourd’hui de pouvoir donner à des artistes un visa sur lequel l’appellation artiste apparaîtra en tant que tel. Il s’agit de visa long séjour, c’est-à-dire de visas supérieurs à trois mois et pouvant aller jusqu’à un an, renouvelable ». Une victoire modeste mais digne dans un débat qui s’englue chaque jour davantage. Un résultat qui reconnaît la spécificité du statut d’artiste, tout en imposant un certain nombres de dispositions à respecter. Car le candidat à l’immigration devra désormais, non pas venir comme à une époque tenter sa chance à Paris en tant qu’artiste, tout en faisant un petit boulot à côté comme maçon ou peintre en bâtiment, mais entamer sa carrière depuis son pays d’origine. Une fois lancé, il lui faudra intéresser une entreprise française, susceptible de lui fournir un contrat de travail à durée déterminée. Et c’est seulement après signature de ce contrat qu’il pourra demander et obtenir son visa. Et encore… tout dépend de la manière avec laquelle les services consulaires vont appliquer la nouvelle circulaire. « Il faut que l’artiste ait fait ses premières armes dans son propre pays. Qu’il bénéficie d’un contrat commercial avec une entreprise en France. L’idée est qu’il puisse développer sa carrière à partir de la France, tout en restant dans son pays d’origine. C’est ça la solution à laquelle nous sommes, je dirais, aujourd’hui acculés ».
Si le contrat concerne une période courte, de moins de trois mois, les dispositions sont pratiquement les mêmes que celles réservées aux touristes de passage. Si le contrat dépasse la période des trois mois, là… la circulaire entre en jeu. Mieux, des éléments de cette circulaire envisagent la présentation de « contrats autres que salariés ». Ce qui élargit le champs des possibilités, en n’ouvrant la porte à tous les artistes, qu’ils soient dans le spectacle ou non (un artiste-peintre qui vient pour une expo, un intellectuel qui veux participer à un colloque, un dramaturge en résidence d’écriture…) A moins de trouver meilleure offre ailleurs, le jeune talent africain intéressé par la destination française devra désormais passer par là. « Le fond du problème, renchérit Christian Mousset, reste qu’un artiste doit circuler et communiquer. Et si on l’empêche de circuler, on le tue. C’est pour ça qu’on va complètement à l’encontre de tout ce qu’on a dit. On parle du dialogue Nord-Sud, de la coopération, de la mondialisation. Mais si on empêche les artistes de circuler, on tue la créativité quelque part. Alors, c’est vrai que la France a eu une politique vraiment stupide pendant quelques années, qui a découragé certains. Mais qui a permis à d’autres de faire un retour sur eux-mêmes. Quelques fois, cela a eu un effet positif. Je trouve intéressant par exemple la démarche des sénégalais ». Ils sont parmi les rares en effet à structurer leurs carrières depuis Dakar. Il y existe une industrie musicale. La vente de K7 et les tournées y fonctionnent… en s’appuyant si possible sur toute l’Afrique de l’Ouest. Et quand l’artiste attaque enfin l’international, il passe à Paris, séjourne à Londres, s’arrête quelques jours à New York avant de revenir au pays. Le rêve de tout un chacun. Une situation qui n’est pas évidente, vu les conditions dans lesquels les artistes sont obligés de travailler dans la plupart des pays africains.
* Pour tout renseignement sur cette circulaire,
qui s’applique à tous les artistes étrangers,
qu’elle qu’en soit l’origine, écrire à :
Zone Franche
17 Rue du Faubourg St Martin – Paris 10e