La compilation french 60’s Wizzz serait-elle l’arbre qui cache la forêt ? Petite enquête sur la scène mod française.
On a eu la vague easy listening il y a deux-trois ans, la réhabilitation de Bacharach et Peter Thomas. De quoi sentir les prémices d’un renouveau sixties dans les compiles nippones (toujours en avance d’un train pour annoncer la tendance), qui samplent alors à tout va les obscures perles groovy de Charlotte Leslie (les filles, c’est fait pour faire l’amour) ou Clothilde (La Queue du chat). Puis arrivent sur le marché (Bimbo Tower, Born Bad à Bastille) les compilations pirates Ils sont fous ces gaulois (vol.1, 2 et 3 dernièrement) et Swinging mademoiselle (vol.1 et 2) : des pochettes souvent laides, un son parfois franchement moyen (tiré de collectors vinyles hors d’âge et sans réel travail de remasterisation), mais des noms de groupes (Les Homards Violets, Les Harmonicos, Jojo l’Explosif) et des titres (J’étudie mon grec, Bach ou Jerk, Les Filles) incroyables. Les Disques Ronnie et Sasha Monett Records entreprennent à l’époque, en toute discrétion, de ressusciter les meilleurs moments du garage et du psychédélisme à combustion spontanée des merveilleuses 60’s, hors des sentiers archi-rebattus de la soupe yé-yé. Choisissant le pire et le meilleur (l’un et l’autre allant souvent de pair) de la scène française ayant échappé en son temps à la moulinette uniformisatrice Barclay-Salut les Copains, ces enthousiasmantes compilations rendent justice et sortent de l’oubli le meilleur de l’underground d’autrefois : le plus léger, le plus dansant, le plus festif.
Or la confidentialité de ces groupes, à l’époque, perdure encore et toujours… Malgré le succès des Swinging mademoiselle (pressés au départ en République tchèque à 1 000 copies, auxquelles 2 000 autres ont été ajoutées, mais surtout écoulées au Japon, terre d’accueil privilégiée), et quelques soirées montées ici et là (celles de Fabrice Ubu, Juxtaposition 210, au Pop’in, resteront comme de grandes erreurs dans l’espace-temps, en même temps que d’incroyables révélations soniques), la sauce ne prend pas. Ces perles restent confinées dans les chambrettes des rares mods parisiens qui s’échangent en cercle fermé des collectors poussiéreux, le temps d’un aller-retour en Angleterre ou en Espagne pour un festival de Vespa et de parkas.
Depuis, le vent a tourné. Jean-Baptiste Guillot, mod parisien et collectionneur invétéré, s’est lancé il y a deux ans dans la périlleuse entreprise de réunir sur un vrai CD distribué par une major le meilleur de ces années frénétiques. « J’ai dû démarcher les différents services juridiques titulaires des droits sur ces titres » affirme notre homme. « C’était particulièrement difficile de se retrouver à démarcher les juristes des majors (Universal, Sony, BMG) lorsqu’on est un indé. Il m’a fallu quasiment deux années entières pour obtenir les droits. Très ingrat et fastidieux à faire. » La compilation Wizzz sort, et on se délecte aujourd’hui des tubes groovy, orientés LSD et amour libre des Papyvores ou de Stéphane Varègues. « Je me suis concerté avec Fabrice Ubu pour élaborer un premier tracklisting en mettant en commun nos connaissances respectives. Celui-ci a évolué par la suite en fonction des licences que j’ai réussies à obtenir au fil de mes pérégrinations juridiques, et des nouveaux morceaux que j’ai découverts au cours de mes recherches. J’ai opté pour des morceaux qui sont accessibles, même pour les néophytes en musique des 60’s. Je voulais quelque chose de plus facile à appréhender musicalement qu’Ils sont fous ces gaulois pour pouvoir séduire davantage de gens. Donc, choix de titres autour de la drogue et du cul, de textes burlesques et de mélodies. C’est plus accrocheurs, forcément. »
Grâce à l’autorisation des labels, Jean-Baptiste obtient les bandes originales des morceaux sélectionnés. Remasterisés et gravés sur CD, ils sonnent incroyablement modernes et dynamiques. Non seulement dansants, mais aussi audacieux dans les thèmes abordés.
Ainsi, cette réhabilitation d’une époque bénie par l’acide lysergique, qui a su marier les plus extrêmes expérimentations sonores avec un humour dévastateur et frondeur, sonne comme un retour à plus de légèreté et de pragmatisme moral. En ce sens, ces morceaux sont plus modernes que jamais et pourraient ouvrir une vague (pas seulement nostalgique) qui questionnerait l’évolution de notre société. L’entreprise de Jean-Baptiste se veut critique : « J’avais le désir de faire prendre conscience aux gens qu’il existait autre chose que Sheila, Johnny, etc., en France. Et que des types avec un réel talent ont essayé d’apporter un nouveau sens à la musique, qu’ils ont tenté d’assimiler les courants musicaux étrangers. On n’a pas attendu la French Touch pour imposer un son français. Voyez Gainsbourg, Dutronc… que le monde entier nous envie. » Le souvenir des 60s, en France, se résume effectivement à la vague yé-yé et toute la bande de Salut les Copains. Celle-ci reprenaient à peu de frais les meilleurs morceaux anglo-saxons traduits approximativement en français, et sans invention. Wizzz rend compte d’une autre scène, inventive et audacieuse, qui a pris le meilleur du garage ou du psychédélisme anglo-saxon pour y apposer sa singularité. Ainsi Charlotte Leslie chante sur un jerk débridé : « J’ai raté tous mes examens / la philo ne me dit plus rien / Et tant pis pour l’agrégation / Oui c’est vrai, tu avais raison / Les filles, c’est fait pour faire l’amour. »
Fabrice Ubu reconnaît que la scène 60s française se porte de mieux en mieux : « Je suis content de voir que le français marche bien. Ca commence à être assimilé, alors qu’il y a cinq, six ans, ça passait pour vraiment ringard ». Et Fabrice d’ajouter : « Oui, sur Paris, le succès des soirées Move On Up ne fait que croître depuis cinq ans. On a désormais accès à des salles plus intéressantes pour organiser les soirées et il y a de plus en plus de monde. Concernant les mods, nous sommes environ trente personnes sur Paris. Des gens réellement impliquées dans le mouvement. Il y a aussi une scène très importante sur Perpignan, région de tradition modiste. Sur Nantes aussi ça se développe depuis un ou deux ans. A Lyon, il y a aussi quelques personnes, mais tout ça reste anecdotique en comparaison de l’importance du phénomène en Angleterre, en Allemagne ou en Italie. »
Fabrice tient un stand de bouquiniste sur le quai des Tournelles, vers l’Institut du Monde arabe, où il vend quelques raretés sixties, tant discographiques que livresques.
Pour se rendre compte de l’incroyable foisonnement de talents que les sixties françaises ont généré, rendez-vous chez Art sonore, rue des Taillandiers, à Bastille (Paris).