Créé en 1989 par Steve beckett et Rob Mitchell, Warp s’impose aujourd’hui comme le label de référence des musiques électroniques des années 90. Retour sur un succès hors normes, qui a modifié le paysage de la techno dans le monde entier.
C’est à partir d’un petit rayon dance au sous-sol d’un magasin de disque de Sheffield que tout démarre. Sheffield, ville industrielle banale, musicalement réputée pour Cabaret Voltaire ou Human League, a depuis été mise sur la carte des villes qui comptent après Manchester, Detroit, Chicago ou Berlin. Warp y a décollé en même temps que la vague acid-house, ce qui s’entend beaucoup sur la compilation des classiques du label. Ainsi, la première sortie – les Forgemasters et leur bien nommé track with no name (tiré à 500 exemplaires à l’époque) – en est typique : c’est un morceau house comme on n’oserait plus en faire aujourd’hui ! Pourtant, ce sont surtout Nightmares on Wax et LFO qui ont fait le véritable succès du label. Si les premiers sortent aujourd’hui des disques moins marquants, les seconds se sont imposés comme le groupe culte de la techno de cette décennie : Richard James (Aphex Twin) n’étant pas encore signé à l’époque puisque celui-ci a été découvert par le non moins historique label belge R&S.
Peu de temps après, les compilations Artificial Intelligence I et II (avec notamment Polygon Window, B12, Speedy J, Autechre, Beaumont Hannant, Seefeel…) ont grandement contribué à la renommée de Warp. Elles proposaient une techno moins dansante et plus cérébrale, qui devait devenir la marque de fabrique du label. On ne reviendra pas sur le malentendu créé par l’intitulé de ces compilations : cette techno-là n’était pas plus « intelligente » que les autres, elle était simplemernt plus abstraite. C’est pourquoi on utilise aujourd’hui plus volontiers le terme « d’électronica ».
C’est aussi à partir de ce moment que Warp souhaite sortir des artistes pour la plupart anglais, Joey Beltram et Kenny Larkin étant les seuls artistes américains signés, ayant une vision à long terme et créant une musique vraiment originale -artistes. Depuis, bien sûr, le label s’est ouvert au monde en signant des artistes allemands (Move D) ou finlandais (Jimi Tenor !), en même temps que vers des styles musicaux plus variés, mais ayant toujours un lien avec l’électronique : Red Snapper, Broadcast ou plus récemment Plone en sont des exemples.
A propos de vision, il est évidemment impensable d’évoquer le label sans son visuel, créé par les Designers Republic (également connus pour avoir conçu le design de la très bonne série de jeux de course futuriste WipeOut sur Playstation). Grâce au studio fondé en 1986 par Ian Anderson, Warp s’est forgé une identité graphique très forte. Adaptée à chaque artiste mais toujours cohérente, elle peut rappeler l’impact visuel qu’avait eu avant eux le graphisme des pochettes Factory (de Peter Saville) ou 4AD (de Vaughn Oliver). Toutes ont un peu vieilli mais la plupart sont finalement devenues des classiques. À quelques exceptions près (Boards of Canada), les Designers Republic ont réalisé toutes les pochettes du label, leurs plus grandes réussites étant certainement celles pour Autechre, groupe phare de la « seconde vague » Warp.
Aujourd’hui, Warp fête ses dix ans avec un catalogue quasi irréprochable qui compte des fans dans le monde entier. Parallèlement, d’autres labels semblables se sont développés dans des optiques proches mais singulières : Ninja Tune, Mo’Wax, Rephlex, Skam, etc. Pourtant, aucun n’a acquis la réputation de Warp. À partir d’un habile mélange de disques « durs », dansants ou plus pop, le label a réussi la gageure de mener de front réussite artistique et réussite commerciale. Pour essayer de comprendre, les trois compilations qui sortent à l’occasion du dixième anniversaire fournissent quelques explications : beaucoup de bons morceaux, un peu d’innovation et autant d’agitation, de passion, des visuels séduisants… Warp a modifié durablement le paysage techno et contribué à faire découvrir cette musique à un public plus large. Question finale : maintenant que Richard James (peut-être un génie, en tout cas la star absolue du label) déclare arrêter de faire des albums, que nous réservent Steve beckett et Rob Mitchell ? On peut leur faire confiance car, comme le dit le slogan ironique du label, ce sont des gens raisonnables… (WARP = We Are Reasonable People…).
Retrouvez tous les artistes Warp sur le site officiel, évidemment mis en page par Designers Republic. N’oubliez pas de lire nos critiques des trois compilations anniversaire qui viennent de sortir : Influences, Classics et Remixes, ainsi que notre interview de Red Snapper