Luke Vibert, entre ses projets technoïdes ou drum’n’bass sous son propre nom et l’abstract easy-listening mâtiné de hip-hop sous le nom de Wagon Christ, semble être un pur produit de la génération acid-travellers, celle qui a vécu les free-parties et les buvards Bart Simpson. Il reste cependant toujours léger et disponible comme sa musique, répondant simplement et chaleureusement à nos questions dans un café de Strasbourg-Saint-Denis à Paris.
Chronic’art : Quel matériel as-tu utilisé pour enregistrer cet album ? On croit savoir que tu es fan des vieux Atari …
Luke Vibert : C’est difficile à dire, car il y a sur ce disque des morceaux déjà anciens : certains datent de 1998, et j’ai donc utilisé différents matériels entre-temps. Mon Atari a rendu l’âme en novembre et je ne veux pas racheter le même. J’aimerais avoir une machine plus performante, un G3 (Mac, ndlr) ou un portable. Pour cet album, tout a quand même été créé sur Atari, avec Cubase et mon sampler Roland SM60, ainsi que quelques vieux synthés analogiques 70’s : un Korg MS20, un Gen SX 1000, un Roland SH 101, une TB 303. Cependant, la plupart des sons proviennent de vieux disques que j’achète dans des surplus ou des brocantes.
Comment composes-tu tes morceaux ?
Je commence avec la rythmique, j’ajoute des bruits. Puis je commence les arrangements, la structure. C’est comme un puzzle, des morceaux de musique agencés pour former un tout.
Pourtant tes morceaux semblent très structurés, avec des intros, des développements…
Oui, les titres de dance music ne sont pas vraiment progressifs, mais répétitifs, avec juste quelques breaks. Pour Wagon Christ, il s’agit vraiment de pièces musicales, plus dynamiques, et c’est ce que j’aime écouter, plus détaillées, avec plus de changements.
Tu considère généralement ta musique comme de la dance music ou de l’ambient ?
Pas de la dance music pour les clubs. Plus pour danser dans son salon si tu veux. J’ai juste fait un ou deux morceaux pour les clubs, mais ce n’est pas ce qui m’attire.
Tes disques semblent intégrer de plus en plus d’éléments issus du hip-hop : les beats, les scratches. C’est une musique qui t’influence ?
Oui, c’est une musique que j’aime depuis longtemps. J’aime la drum’n’bass ou l’acid, mais pas les choses nouvelles, plutôt les vieux trucs. Je suis assez old-school en fait. Sauf pour le hip-hop que j’ai toujours écouté et dont je suis avec intérêt l’actualité. C’est une très grosse influence dans ma musique. Surtout sur ce disque, parce que c’est un album Ninja Tune. Le label a choisi les morceaux qui lui plaisaient le plus au milieu de beaucoup de titres acid, drum’n’bass, ambient, hip-hop. Et ils ont évidemment choisi les titres les plus down-tempo. Mais j’utiliserai les autres morceaux ailleurs, parce que je les préfère d’une certaine façon.
Tu avais un contrat pour cinq albums avec Virgin. Comment ça s’est fini ?
Après un album, ils m’ont viré. Le gars qui m’avait signé sur Virgin était vraiment quelqu’un de bien, et il adorait Wagon Christ. Mais il s’est fait lourder six mois après m’avoir signé, et celui qui lui a succédé, visiblement, n’aimait pas trop ma musique. Il m’a donné une chance, et puis ils m’ont débarqué. Je ne le regrette pas finalement. C’est vrai que j’avais de l’argent plus facilement. Mais je suis content de travailler aujourd’hui avec Ninja Tune. C’est là que l’album devait sortir. Les gens du label sont vraiment sympathiques, et je m’y sens très à l’aise. J’aime la plupart des albums qui sortent de chez eux. Et il y a peu de labels pour qui c’est le cas, à part Rephlex ou Warp.
Les artistes Ninja Tune ou Big Dada ont l’habitude de collaborer. Est-ce que ça fait partie de tes projets ?
Oui pourquoi pas ? J’aimerais bien travailler avec des rappeurs. J’ai ce projet en cours depuis longtemps avec un MC, Blue Rom 13, qui a travaillé avec DJ Vadim. L’ennui c’est qu’il habite au Canada et nous n’avons pu faire que cinq morceaux ensemble pour l’instant. Mais nous allons essayer de faire un album complet…
Sur les disques de Wagon Christ, il n’y a pas de vocaux. C’est quelque chose que tu envisages d’utiliser à l’avenir ?
J’ai déjà essayé mais ça ne collait pas vraiment. Peut-être que je n’ai pas rencontré les bonnes personnes. Avec des vocaux, je trouve que les morceaux sonnent beaucoup moins bien que sans. Je préfère les instrumentaux. De toute façon, Wagon Christ est un projet purement instrumental. Si je veux faire des morceaux hip-hop avec des MCs, ce sera sur une musique beaucoup plus minimale, plus proche du vrai hip-hop, avec des beats simples et des boucles. Parce que ça s’accorde mieux avec le flow. La musique de Wagon Christ est trop détaillée et complexe pour se marier avec un flow de rappeur. Quoi qu’il en soit, j’ai plusieurs noms en tête pour différents projets et différentes musiques. Le principale pour moi étant de ne jamais me répéter.
Tu n’as pas eu de problème de droits sur les samples que tu utilises ?
Sur cet album, il y a six ou sept samples qui sont particulièrement repérables parce que très connus. On essaye de les « clearer ». Ninja Tune a quand même voulu les garder, malgré l’argent que ça pourrait leur coûter. Sinon, les samples que j’utilise sont discrets ou méconnaissables. Je ne veux pas penser à ça quand je compose mes morceaux, même si je prends parfois des samples très connus. Clairement, je sais que certains morceaux ne sortiront jamais. Je veux juste m’amuser en faisant de la musique, sans penser aux contraintes commerciales que ça peut poser. Et tant pis si les morceaux ne voient pas le jour.
Il y a ce côté easy-listening chez Wagon Christ… C’est une musique que tu écoutes beaucoup ?
Oui. Tous ces albums 60’s ou 70’s avec des orgues Hammond ou des Moogs, j’aime beaucoup. Mais les samples viennent surtout de très mauvais disques, obscurs, achetés en brocante pour quelques pence. Cet aspect de ma musique me vient de ma mère en fait, et de sa collection de disques. Car, quand j’ai acheté mon sampler, je n’avais pas beaucoup de disque, et je samplais ses disques easy-listening. Je me disais que ça allait être drôle et débile. Mais en fait, en écoutant ce que je faisais, je trouvais ça bien : les cordes d’un disque de Charles Aznavour avec un beat acid par exemple… j’ai donc continué comme ça. Maintenant, c’est automatique, alors qu’au départ, c’était plutôt une blague.
Tu définis ta musique comme de la musique abstraite ?
Pourquoi pas. Mais je veux surtout faire de la musique populaire, pas avant-gardiste, mais qui touche le plus de gens possible. En réalité, ma musique est sans doute trop abstraite pour toucher beaucoup de monde, mais pour moi, c’est moins abstrait que la plupart des choses que j’écoute.
Tu fais toujours le DJ avec Richard D. James ?
Oui, parfois. Je l’ai vu la semaine dernière. Il m’a fait écouter de nouveaux morceaux. Mais il ne veut pas les sortir… Il pense que ça pervertit sa musique quand elle est commercialisée. Je ne sais pas pourquoi. Il a des problèmes psychologiques (rires).
Qu’est-ce que ça apporte à ta création musicale de faire le DJ ?
Je ne sais pas. Quand je joue des disques, j’ai toujours envie de passer les miens. Ca me donne envie de composer plus de musique pour les clubs. Mais quand je me retrouve devant mes instruments, je me dis « Fuck » et je fais la musique que j’ai envie d’entendre. Ce sont donc deux choses différentes.
Et les remixes ?
Oui, on m’en commande beaucoup. Récemment encore pour une BO japonaise, et aussi pour David Sylvian. Je suis pas un fana des remixes, mais on me le demande. C’est pas complètement déplaisant non plus, et puis c’est de l’argent facile.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Musipal, dernier opus de Wagon Christ