La dixième édition des Utopiales, le festival international de la science-fiction, se déroule du 28 octobre au 1er novembre 2009 à Nantes. Préface.
L’année dernière (relire notre compte-rendu 2008), cet événement vous a valu, chers lecteurs, un blog quotidien, mais la conjonction de deux facteurs nous a convaincus de ne pas retenter l’expérience : primo, il n’y a pas tant de choses que cela à retirer de ces « tables-rondes » et autres « rencontres » qui évoluent à la frontière de la platitude et du hors-sujet ; deuzio, il nous avait valu moult réflexions désobligeantes, cris d’indignation, et soupçons de vouloir faire du journalisme trash et putassier (sous couvert de gonzo), par des gens qui s’y trouvaient cités. On n’est pas à la Route du Rock, bordel. Nous sommes des prédateurs du scandale, certes, à la recherche du moindre auteur en difficulté à enfoncer, mais nous sommes aussi des vermines rampantes, dents vissées au parquet, avides d’un copinage à effectuer ou d’une flatterie à servir à un éditeur (on ne sait jamais), sans parler des cocktails VIP auxquels il n’est pas question de ne pas être invité, bref, il s’agit de ne plus de froisser personne, mais de servir une soupe à bonne température, laudatrice à souhait, consensuelle à fond. Manquerait plus que le milieu SF soit dérangé dans son banquet de famille annuel. Blague à part, nous procèderons donc comme suit : un « before » sur les buzz du festival, et un « after » sur ses highlights. Et tant pis si vous ne comprenez rien, on est au XXIe siècle, dudes.
Le thème portera cette année sur « les mondes meilleurs » ; ces utopies à la Thomas More ou Charles Renouvier, qui permettaient de faire la critique d’ici sous couvert de dépeindre l’ailleurs, ne sont plus tellement prisées par les auteurs de SF. Où sont-elles donc passées ? Ont-elles disparu depuis que le monde virtuel fait office de monde parfait ? C’est l’hypothèse qu’avance Ugo Bellagamba dans sa préface à l’anthologie officielle des Utopiales 2009 (éditée par ActuSF, elle rassemble RC Wilson, Catherine Dufour, WJ Williams, Pierre Bordage, Stephen Baxter, et Jean-Philippe Jaworski) : « Soyez-en convaincus, vous vivez dans le meilleur des mondes possibles, où la liberté d’expression et de téléchargement, l’égalité des conditions et des connexions, la fraternité des groupes de discussion sont les piliers d’une démocratie consumériste, relaxante, et en définitive parfaite, puisqu’elle se mire uniquement dans ses succès, en défragmentant ses échecs l’un après l’autre ». On se posera la question des paradis virtuels, des utopies extraterrestres, et de la perfection génétique avec (entre autres) le philosophe Jean-Michel Besnier (Demain les post-humains), Rémi Sussan (Les Utopies posthumaines), Norman Spinrad, Gérard Klein, Vincent Ravalec, et bien d’autres.
Robert Charles Wilson, star annoncée de ce festival, néo-géant de la SF ayant inscrit son nom au panthéon du genre en 2006 avec Spin (« le seul grand roman de science-fiction de ces dix dernières années », prétendent certains), nous fera finalement faux bond pour cause de grippe A. C’est dommage, car on l’attendait à de nombreuses tables rondes pour parler d’extraterrestres et de fin du monde, tous ingrédients classiques qui composent, admirablement renouvelés, ce fameux Spin, sur lequel les prix ont véritablement plu, notamment le Prix Hugo (distinction majeure de la SF anglo-saxonne) et le Grand Prix de l’Imaginaire, meilleure vente SF (et de loin) en France en 2007 – et véritable aubaine pour la collection Denoël / Lunes d’Encre, qui ne rigole pas tous les jours. C’est dommage donc, car aurait aimé en savoir plus sur les « Hypothétiques », ces intelligences de l’espace nées d’évolutions lentes aux confins de la galaxie, qui ont décidé de prendre en charge l’humanité en entourant la Terre d’une barrière temporelle (le Spin), et sur lesquels les suites du roman sont censées apporter des éclaircissements. Mais en même temps, cela nous évitera l’embarras d’avoir à lui parler d’Axis, la suite en question, qui déçoit de bout en bout. Pourquoi un roman si ambitieux accouche-t-il d’un si modeste polar ? Pourquoi refuser de fournir le moindre indice nouveau sur les extra-terrestres qui constituent l’intérêt de la saga ? Monsieur Wilson, pourquoi votre pire livre succède-t-il à votre meilleur ? Etc. On l’aime bien, Robert Charles, mais il est vrai que sa tendance à faire passer le « côté humain » (c’est-à-dire bien souvent un sentimentalisme dégoulinant) avant toute considération scientifique nous lasse un peu. Il y a des places à prendre entre les rayons SF et littérature générale, et sans doute Wilson drague-t-il ces espaces-là, encouragé par son succès public. Mais personne ne gagne rien à transformer une bonne idée de SF en romance molle du genou – ni la littérature de genre, ni la générale.
On retrouvera tout le talent de Wilson dans la nouvelle proposée par l’anthologie des Utopiales, « Les Perséides », dans laquelle tout l’univers de Spin (ses figures, ses ressorts théoriques, ses enjeux éthiques), est déjà en germe. C’est concis, intelligent, beau, et on aimerait en lire beaucoup d’autres dans les années à venir. A bon entendeur. Wilson absent, c’est Stephen Baxter qui jouera le rôle du poids lourd étranger. Originaire de Liverpool, il fait partie de ces auteurs aux listes de diplômes longues comme le bras (mathématiques, informatique, aéronautique, etc.), qui écrivent de la SF pure et dure, à base de détails techniques pointus et de spéculations nées des dernières avancées de la recherche – on parle d’ailleurs de « hard science » pour qualifier ce courant. Son savoir encyclopédique lui permet d’utiliser les voyages dans l’espace aussi bien que la préhistoire comme matériau de fiction. La nouvelle « George et la comète » qui figure dans le recueil est un vrai bonheur : deux êtres humains se réveillent cinq milliards d’années après notre époque dans des corps de singes volants. Manifestement sauvegardés et reloadés dans de nouveaux corps par des intelligences supérieures, ils errent sur une planète minuscule en assistant à la mort du Soleil. Ignorant quel est leur véritable rôle dans cette reconstitution, ils échafaudent des théories, plausibles ou farfelues, avant de s’apercevoir des subtiles différences de leurs corps : l’un des deux a été réincarné en femelle. La conclusion s’impose, mais le plus dur reste à faire… Baxter excelle ainsi, en abaissant son niveau d’exigence théorique – en gros, en ne supposant pas que le lecteur possède un doctorat de physique. En parlant de « hard science », signalons l’absence (prévisible, il vit dans l’ombre) de Greg Egan, véritable dieu de la SF contemporaine, capable d’envisager les plus lointaines implications philosophiques d’une nouvelle hypothèse scientifique. Le troisième tome de ses nouvelles, « Océanique », paraît pourtant aux éditions du Bélial, et l’émerveillement est intact. Il doit être comparable à celui que ressentirent les lecteurs lorsqu’ils lurent Asimov pour la première fois. Il faudra en reparler bientôt, c’est sûr.
Signalons que l’anthologie a été dirigée (entre autres) par Eric Holstein, cofondateur de la collection ActuSF et du site du même nom, et qui a lui-même une actualité littéraire. Récemment passé à l’écriture, il a démontré de réels talents de novelliste – avec notamment sa contribution à Retour sur l’horizon, « Tertiaire », petit bijou de fantaisie néocapitaliste et netocratique. Il franchit l’étape du long format avec Petits arrangements avec l’éternité (éd. Mnémos), récit étrange de vampires buveurs d’auras dans le Paris des beaux quartiers, raconté dans la langue d’Audiard et des petits truands de Pigalle. Comme si le mélange n’était pas assez épicé, Holstein disperse un peu d’occultisme et de kung-fu dans son roman-feuilleton, au risque de le rendre indigeste. Difficile de s’enthousiasmer, à terme, pour cet exercice de style, pas inintéressant mais qui aurait sans doute livré toutes ses saveurs dans un format plus court.
Enfin, le festival sera l’occasion de décerner plusieurs prix, dont le plus célèbre en France, le Grand Prix de l’Imaginaire, qui récompense plusieurs catégories d’oeuvres (romans, nouvelles, BD, ciné, couvertures…), mais aussi le Prix Julia Verlanger, et les Prix Européen des Utopiales. Au hasard des nominations, on trouve Vélum d’Hal Duncan, Pixel juice de Jeff Noon, Outrage et rébellion de Catherine Dufour, World war Z de Max Brooks, et Le Déchronologue de Stéphane Beauvergé, soit 100% des chroniques SF de Chronic’art depuis un an – yeah. Mais c’est en coulisses que se trame le déroulement du prix le plus bête et méchant des littératures de l’imaginaire, les Razzies, décernés chaque année par les rédacteurs de la revue Bifrost suite à un vote des lecteurs. Comme leur nom l’indique, ils récompensent le pire de l’année écoulée. En bon journaleux people, on suivra cela avec tout l’amour des éclaboussures bien sanglantes qui nous caractérise.
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