Après Fin d’été, leur premier long, les frères Larrieu reviennent au cinéma avec un moyen métrage, La Brèche de Roland. Cette comédie atypique sur les mésaventures d’un jeune couple avec enfants en montagne méritait quelques éclaircissements.
Chronic’art : La Brèche de Roland vous a été inspiré par un fait divers. Quelles sont les sources réelles du film ?
Jean-Marie Larrieu : Il y en a plusieurs. La première, je venais d’avoir un enfant. La seconde, un environnement de prédilection : la montagne, des coins que nous connaissions déjà, comme le « chemin de la mature », où se passe la première scène du film. J’avais d’ailleurs assisté à cet endroit à une scène du même genre où un ado, au bord de la falaise, provoquait ses parents. Mais, effectivement, la trame du film vient d’un fait divers. Un couple allemand avait effectué l’ascension de la brèche de Roland ; à l’issue du séjour, la femme était enceinte. Ils ont appelé l’enfant Roland. Dix-sept ou dix-huit ans après, ils sont retournés sur les lieux, avec leur fils. Un jour d’orage, ils ont dû s’abriter sous les parois de la brèche, et il y a eu un foudroyé : Roland. C’était la version tragique, mais nous ne voulions pas trop l’évoquer car c’est un peu un cliché quand on parle de la montagne. Nous préférions la comédie « mise en danger » par la montagne…
Votre film parle du vertige provoqué par le relief, mais aussi d’un vertige des origines éprouvé par le personnage de Roland…
Nous aimons « dépayser » nos personnages, les confronter à des décors inconnus. Ici, Roland et sa famille ne sont pas préparés du tout à ce qu’ils vivent en montagne. Il y a le fantasme du personnage de revenir sur le lieu de sa naissance qui se confronte par la suite au lieu véritable, difficile d’accès et dangereux.
Pour Roland, ce pèlerinage sur le lieu de sa naissance est-il l’occasion d’affirmer sa paternité ?
Sa famille ne le suit pas tout à fait dans sa quête. Dans cette famille, chacun a ses problèmes, et Roland doit effectivement endosser le rôle difficile de père. Pourtant, dans le film, tous les personnages ont à un moment ce rôle du père. C’est comme un ballon qui passe de mains en mains. Ce couple a eu des enfants très tôt, et les parents jouent en quelque sorte à égalité avec eux. A un moment, le couple a quand même une sorte de réaction de survie : se retrouver seuls pour ne pas être détruits. Quand ils se perdent, les enfants comme les parents ne cherchent que mollement à se retrouver !
Le comportement des personnages semble donc davantage régi par l’inconscient que par des questions de sûreté…
Au début, chacun pense maîtriser la situation. Mais l’itinéraire des personnages n’est pas tracé par eux seuls. Peut-être leur inconscient leur fait-il perdre tout repère, peut-être aussi des choses qui les dépassent, comme la montagne elle-même, son relief, ses replis. Le décor finit d’ailleurs par cristalliser les états affectifs, émotionnels des personnages.
Arnaud Larrieu : Les personnages subissent évidemment l’influence du lieu. Les mêmes problèmes auraient été traités différemment entre une cuisine et une salle de bains.
Les lieux de tournage ont donc largement influencé l’écriture du scénario ?
Beaucoup de scènes ont été écrites pour des lieux précis. Au début, nous devions tourner sur toute la chaîne de montagnes, puis nous nous sommes contentés d’un plus petit périmètre (petit en tout cas sur une carte ou vu d’hélicoptère !). Le problème, c’était la brèche de Roland, personnage à part entière que, bien évidemment, on ne pouvait pas déplacer et où il fallait tout le temps situer l’action…
Jean-Marie Larrieu : Il fallait savoir à quel endroit on pouvait poser la caméra pour cadrer le personnage et la brèche de Roland à l’arrière-plan. Il fallait aussi constituer un itinéraire un peu logique, respecter la réalité des lieux, même quand les personnages se perdent. Les images du film sont très liées à des réalités géographiques, même si ça prend sens au bout du compte. La progression dramatique est aussi étroitement associée aux lieux que les personnages traversent. Avec ses surprises, comme le « rio », la gorge pleine d’eau dans laquelle Mathieu Amalric et Cécile Reigher se baignent…
Comment se passe votre collaboration ? Vous répartissez-vous les tâches ?
Arnaud Larrieu : Ce scénario a été écrit par Jean-Marie. Nous faisons le casting et le découpage ensemble. Sur le plateau, d’ordinaire, Jean-Marie parle aux comédiens, s’occupe du texte et de la situation, et moi je suis plutôt à la caméra.
Vous pensez que l’on n’est pas trop de deux pour faire un metteur en scène ?
Jean-Marie Larrieu : Sur beaucoup de films, il arrive que le réalisateur ait une relation privilégiée avec un chef-opérateur, un comédien, et on peut dire que le film se fait vraiment à deux ou plus, comme souvent l’écriture de scénarios. Quant au fait d’être frères…
Arnaud Larrieu : Il n’y a pas plus de frères qui travaillent ensemble dans le cinéma que dans l’industrie du saucisson ! (Rires)
Jean-Marie Larrieu : Il y a un préjugé qui dit que l’art ne peut germer qu’à partir d’un seul cerveau. En France, bien sûr, nous héritons de l’ »idéologie » de la Nouvelle Vague, qui avait mis en évidence le rôle du réalisateur, pour de bonnes raisons à l’époque. Aujourd’hui, tout le monde est réalisateur, tout le monde « crée », de la lumière au mixage…
Vous avez tous les deux la même formation ?
Avant de faire des études littéraires et de venir à Paris pour passer le concours d’entrée à la Femis, qu’on a raté, on avait déjà commencé en famille, avec le super-8. Nous avions un grand-père qui faisait des films amateur en 16 mm, des films de famille, des fictions, des films burlesques en montagne. Avant de voir des longs métrages en « cinéphile », on a vu, puis fait des films de famille. On faisait des parodies d’expéditions qu’on voyait à la télé dans les films d’aventures. Très tôt, on a emporté la caméra en montagne…
Propos recueillis par
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