Le dernier film d’Olivier Assayas est sorti le 10 février 1999 : compte-rendu et impressions d’une avant-première à Paris en présence du réalisateur et de l’une des actrices principales, Jeanne Balibar.
Un lundi de janvier pluvieux sur le boulevard Port Royal, à Paris. Une centaine de personnes entre 20 et 30 ans attendent patiemment en file devant le cinéma l’Escurial. Viendra ? Viendra pas ? (Olivier Assayas). La rencontre est organisée par la revue Repérage et si l’on en juge pas l’air agité de son rédacteur en chef, la présence du cinéaste n’est pas acquise… Petit suspens de début de soirée… Finalement IL arrive, à peine descendu du train, un taxi a réussit le timing juste. L’intérieur du cinéma fait penser à un petit théâtre, la même couleur rouge flamboyante, la même forme ronde de l’écran-scène, la même atmosphère de proximité.
Olivier Assayas exprime son plaisir de présenter le film en avant-première mais surtout sa fierté d’avoir été choisi comme parrain par la revue Repérage : « c’est la première fois que je suis là pour la soutenir, même si Nicolas (Rédac’chef) m’a très souvent sollicité ! ». Après ces préliminaires polis le cinéaste entre dans vif du sujet, « certains films se prêtent à une préface, mais pas celui-là. C’est un film intime, qui parle de choses simples qui peuvent être partagés par chacun d’entre nous sans avoir besoin d’explications ». Une très brève présentation précède la projection du film avant qu’Assayas ne s’en retourne : « Si vous avez des récriminations ce ne sera pas moi qui serai là pour les recevoir mais Mathieu Amalric ou Jeanne Balibar ou les deux ».
Le noir se fait dans la salle, l’écran palpite, et l’intimité décrite par Assayas éclate. Petits faits, grands événements pour les personnages qui nous sont donnés comme très proches. Dés le générique de fin un murmure se répand dans la salle : est-ce pour encenser le film, pour exprimer sa réserve ou bien plus simplement pour faire le pari de l’acteur à venir : Alors Balibar ou Amalric ? Ce sera Balibar, Jeanne, cheveux longs détachés, comme dans le film, même air mutin de l’intelligence qui déborde, mais plus « femme », un jean, un t-shirt blanc et une chemise grise. Simplement élégante. Petit moment d’hésitation dans le public. Qui va poser la première question ? On regarde autour, gêné de ce silence. Non, c’est bon, quelqu’un d’autre se lance et Jeanne répond : « Oui, on a beaucoup modifié le texte du scénario au cours du tournage ». Un grincement la fait sursauter : « il y a un chat ? Ah non, c’est la porte… »
Après un rire, elle continue à répondre aux questions : « La caméra était définie de façon très stricte indépendamment de nous, mais cela ne nous pesait pas trop. Olivier a vraiment trouvé une façon de bouger la caméra qui n’emmerde pas les comédiens. J’ai été très surprise visuellement par le film, je ne m’étais pas rendu compte de ce que faisais la caméra. » Pendant un blanc dans l’auditoire, Nicolas Schmerkin lui pose une question sur l’organisation pratique du tournage. Selon Jeanne Balibar, « le temps au cinéma est entièrement déterminé par l’économique. On choisit de prendre le temps de tourner pendant deux mois, puis d’avoir tant de pellicule et ensuite on ne peut pas se permettre d’avoir 5 minutes de retard. Par exemple pour le film d’Arnaud Despléchin, Ma vie sexuelle ou comment je me suis disputé, il y avait beaucoup d’argent donc on faisait 35 prises par plan et pour le film d’Olivier Assayas on n’en faisait que 15. Mais une quinzaine de prises, c’est bien, car il y a trois répétitions, 3 prises qui foirent, puis quelques bonnes prises et ensuite ça foire à nouveau. Voilà ! En gros, le réalisateur a le choix sur 3 ou 4 prises au montage. »
Elle confie que cette organisation très lourde du cinéma lui a été pénible à son arrivée dans la profession : « Au début quand je faisais du cinéma je ne comprenais pas qu’il y avait toute une équipe, je m’énervais car je viens du théâtre où on est seul en scène… Au cinéma dix personnes doivent être prêtes en même temps. » Interrogée sur tout les impondérables du tournage elle raconte que parfois c’est parce que l’ingénieur du son fait du bruit dans un coin qu’elle détourne la tête et que précisément ce mouvement est capté par la caméra et donne toute sa valeur à la scène : « Ces incidents sont très précieux car ils font sortir d’une concentration linéaire. Le plaisir de jouer c’est quelque chose qui a à voir avec l’instant présent et très peu avec la ligne narrative. C’est ça qui fais qu’une prise est bonne : quand il y a quelque chose, de l’absolument instantané qui s’inscrit sur la pellicule. »
Il fait très chaud dans la salle de l’Escurial, certaines personnes doivent avoir faim aussi ou ne s’intéressent vraiment pas à ce que peut raconter l’actrice, « c’est atroce je vois des gens qui s’en vont… Je ne sais pas si je dois continuer, bon qu’est-ce que je disais ? » Pour mieux faire comprendre ce qu’elle veut dire, elle prend l’exemple d’un film d’action et imite Al Pacino en train d’ouvrir la porte d’un taxi : « ce qui fait que la scène est bonne c’est qu’on voit que l’acteur pense à tout autre chose pendant qu’il monte dans le taxi, il a une présence. »
Finalement elle lâche : « Cela ne se passe pas dans l’axe linéaire de l’action, mais dans l’axe paradigmatique… » puis s’excuse immédiatement d’une grimace matinée d’un sourire. Le débat touche à sa fin et, évidemment la question du jeune Cinéma français arrive sur la scène. Jeanne Balibar exprime son opinion : « Ce qui transcende la thématique d’une époque, c’est le style d’un réalisateur. » Et de terminer par une pirouette : » Moi je trouve que tous les films dans lesquels j’ai joué sont uniques, mais c’est parce c’est moi qui les ai choisi… Je les aime ! »
Lire la critique de Fin août début septembre d’Olivier Assayas