Le festival du film documentaire de Thessalonique offre au public grec un panorama du meilleur de la production mondiale et nationale. Le but : offrir un autre regard sur le monde. Compte-rendu de l’édition 2003.
La Grèce, évoque les îles, le bleu, le blanc et le Parthénon… mais avez-vous déjà entendu parlé de Thessalonique ? Celui qui est chargé de venir récupérer les journalistes à la descente de l’avion nous en brosse un rapide portrait : deuxième ville grecque, un million d’habitants, activité portuaire déclinante, voilà pour la carte d’identité. Située au nord du pays (en 2002, en mars, il neigeait) la ville fait face à la Turquie dont elle a partagé le destin jusqu’en 1912. Capitale de Macédoine, Thessalonique reste aujourd’hui un pôle d’attraction pour cette région des Balkans. Côté cinéma, pas de surprise, ici comme ailleurs, c’est l’oncle Sam qui squatte les écrans. D’où l’importance des festivals, l’un consacré à la fiction en novembre par lequel sont déjà passés Harvey Keitel, Nagisha Oshima ou Bernardo Bertolucci, et l’autre, qui nous accueille aujourd’hui, au documentaire.
« La Grèce est en périphérie de l’Europe, détachée de ses centres d’intérêts, il faut longtemps aux messages pour parvenir ici. » Dimitri Eipidis, directeur du festival depuis sa création il y a cinq ans, ne mâche pas ses mots : « j’ai la conviction que dans une période comme celle que nous traversons, où les informations sont contrôlées par des agences manipulées par des grands groupes, les gens ont besoin d’avoir accès à une information indépendante. D’où mon intérêt pour le documentaire. Je pense aussi que le documentaire peut être une forme d’art populaire, un divertissement. » Pari réussi pour Dimitri. Si en pleine journée les deux salles du Cinéma Olympion Renault (ainsi nommé car il est sponsorisé par la firme française) ne sont pas bondées, le soir venu, la place Aristotelous voit passer des familles entières se rendant aux projections.
La programmation est articulée autour de sélections thématiques de films étrangers (Views of the world, Stories to tell, Human journeys, Music through the lens, etc.) qui permettent au public et aux professionnels de découvrir des oeuvres déjà sélectionnées ou primées au sein de grands festivals documentaires internationaux tels Rotterdam, Sundance ou Marseille mais montrées pour la première fois en Grèce. Ceux qui ont fait l’événement cette année à Thessalonique ne ménageaient pas le spectateur. D’’abord, Love and Diane de Jennifer Dworkin, un film fleuve de 2h35, qui fait le portrait d’une famille afro-américaine de Brooklyn ravagée par le crack, le sida et la pauvreté. The Day I will never forget de Kim Longinotto nous transporte au Kenya pour une violente condamnation de l’excision des toutes jeunes filles.
Un film choc qui s’achève sur une note d’espoir : un groupe de pré-ado obtient une décision de justice interdisant à leurs parents de les mutiler… Mais le festival de Thessalonique ne se limite pas à un seul genre, celui du cinéma direct. Gambling, gods and LSD de Peter Mettler adopte une forme plus expérimentale offrant un regard pictural sur le réel, une narration fragmentée. Le réalisateur passe sans transition d’une séquence de transe parmi une secte américaine à la confidence d’un toxico pour revenir faire une halte à Las Vegas. « L’être humain est une machine à rechercher le plaisir » dit l’un de ses personnage…
Autre caractéristique du festival, il regroupe des films aux conditions de production incroyablement variées. Notons par exemple Heaven’s crossroad, ballade zen de Kimi Takesue réalisée lors d’un voyage d’agrément au Vietnam avec un micro-budget. Sa réalisatrice est responsable de la production, de l’image, du montage, et de la distribution du film, ce qui ne l’a pas empêché de recueillir des prix au festival de Slamdance ou de Philadelphie. A l’inverse, Fellini, I’m a born liar de Damian Pettigrew, portrait du réalisateur mêlant avec un indéniable talent interviews et extraits de film, est une co-production partagée entre une dizaine de partenaires, un record ! Ce doc à gros budget sortira sur les écrans français et dans 11 pays en mai 2003 à l’occasion de la rétrospective Fellini organisée par le Festival de Cannes.
Parallèlement au panorama international, une sélection de film grecs est projetée au Cinéma Olympion Renault. Si un grand nombre d’entre eux versent plutôt du côté du reportage télévisé, certains font exception. Men at sea de Katerina Patroni qui a obtenu le 1er prix de la section « Images du XXIe siècle » est l’un d’eux. Wilkie, Lefteris, Dimitris, Baksish et Manolis font partie de l’équipage d’un cargo qui lie l’Europe à la Corée au cours d’un voyage qui paraît sans fin. La caméra observe discrètement les petits riens du quotidiens : une partie de carte, un bon repas, une blague et bien sûr les coups de cafards. « Tu croyais que chaque jour était une aventure ? Que tu allais filmer Sindbad le marin ? Et bien non… ».
Le festival couvre ainsi les besoins locaux, tels aiguiser le regard du public ou offrir aux réalisateurs grecs un moyen de diffuser leurs oeuvres, mais aussi ceux de toute la région. Le marché qui se tient à l’hôtel City permettant aux télés venus de différents pays balkaniques de s’alimenter en programmes. Le souhait de Dimitri Eipidis ? « Voir maintenant se prolonger les événements autour du documentaire tout au long de l’année… ».
Le 5e festival du film documentaire de Thessalonique s’est tenu du 1er au 9 mars 2003