Flamboyants, passionnants, excitants : nombreux sont les adjectifs qui viennent à l’esprit à l’écoute du formidable Blueberry boat, deuxième opus monstrueusement dense de ce mystérieux duo frère-soeur. Echange érudit avec Matthew Friedberger.
Chronic’art : D’où venez-vous ?
Matthew Friedberger : Nous sommes originaires de Chicago, Oak Park, II. The Fiery Furnaces ont commencé en 2001, à New York. Je jouais pas mal d’instruments, de manière très amateur, quand j’étais enfant, et j’ai écumé les mauvais groupes quand j’étais adolescent et jeune adulte. En revanche, c’est le premier groupe d’Eleanor.
Que se passe-t-il exactement à l’intérieur de la fournaise flamboyante (« the fiery furnace ») ? Votre musique communique en effet la forte impression que quelque chose d’assez intense s’y passe, quelque chose de très énergique…
Merci. Disons qu’on travaille pour éviter l’ennui, à notre manière.
A partir de combien d’idées peut-on parler de TROP d’idées ?
Et bien je n’en sais rien. Comme je dis souvent, en anglais, je n’en ai aucune idée…
Y a-t-il un sujet directeur sur The Blueberry boat ? On a beaucoup parlé, à son sujet, de mini opéra…
Non, en fait, chaque chanson raconte de manière individuelle sa propre histoire. Il n’y a pas d’histoire générale qui se retrouverait dans toutes les chansons. A part deux morceaux qui fonctionnent ensemble, en quelque sorte, Paw paw tree et My dog was lost but now he’s found. La première parle d’un pensionnaire fugitif, et la deuxième d’une quête pour retrouver un pensionnaire fugitif. Mais même ces deux-là ne racontent pas vraiment une seule et même histoire.
On a l’impression que vous composez de manière très fragmentaire, que vous élaborez vos chansons très complexes en ajoutant sans cesse des parties supplémentaires les unes à la suite des autres… Comment procédez-vous techniquement : avec un séquenceur ou un studio multipiste ? Je pose la question, parce qu’il semble que les instruments aient une influence de plus en plus profonde, structurellement notamment, sur la musique elle-même…
Le disque a été enregistré sur bande, sur un 24 pistes analogique, donc il a fallu tout parfaitement composer et prévoir, techniquement, à l’avance.
Par exemple, si telle partie A de telle chanson utilise 11 pistes, et telle partie B utilise 14 pistes parce que le piano a été enregistré en stéréo, etc., ça ne tenait plus sur les 24 pistes, et c’est un jonglage permanent. Donc certaines parties finissent par devoir manquer, d’autres pas, et j’ai perdu beaucoup de temps à me préoccuper de ce genre d’absurdité qui n’a rien à voir avec la musique. Les longues chansons avec plein de parties et de changements ont été composées comme des longues chansons avec plein de parties et de changements à l’avance. Bien entendu, comme vous le suggérez, maintenant, avec l’ordinateur, on peut éditer l’ensemble, « du dessus » (« edit from above »), en quelque sorte ; on peut facilement, techniquement, fabriquer ce genre de chansons comme un montage intégral. Mais il se trouve que ce n’est pas de cette manière que ces chansons-là ont été réalisées. Elles ont été composées de manière conventionnelle.
Comment vous placeriez-vous dans notre époque musicale ? Est-ce que vous vous voyez comme anachroniques ?
Je ne suis pas sûr, pour tout dire… Le genre des chansons sur le disque provient tout de même de la fin des 60’s. La chanson-histoire de studio, en quelque sorte, représentée par Rael de The Who (chanson de Sell out, ndlr), la deuxième faces de SF sorrow des Pretty Things (premier rock opera de l’histoire de la musique, ndlr), Abbey Road des Beatles, ou les célèbres prises alternatives, de Smile, de Heroes and villains des Beach Boys. Les chansons de l’album sont certainement des « neo Rael », mais le geste musical en lui-même est très contemporain, et l’on ne pense certainement pas à réhabiliter l’esprit de 1968, quelle que soit l’événement ou l’idée qui pourrait nous rendre nostalgique quand on pense à cette époque.
Aussi bien quand on pense aux paroles qu’aux motifs mélodiques, la musique de Fiery Furnaces demande une écoute prolongée pour être appréciée, et je n’ose dire, comprise… En ce sens, là aussi vous semblez être en marge de votre époque…
Bien sûr. Peut-être que les choses ont l’air plus intéressantes quand tout à l’air aléatoire. Je veux dire, peut-être qu’il y a plus de plaisir que quand l’art fait sens clair (et pour moi, nos chansons font sens). Mais j’espère quand même que notre musique ne donne pas l’impression d’être trop exigeante, ni qu’elles ne demandent trop d’effort à l’auditeur. The Blueberry boat reste un disque de rock. Très traditionnel. Même si il se situe dans une tradition rock très spécifique.
Vous citez souvent The Who, surtout la chanson A Quick one (while he’s away), comme une influence majeure de The Fiery Furnaces. Maintenant, à part l’évidente filiation de forme, le mini-opéra rock, de quelle manière ont-ils précisément influencé votre musique ? A quelle période du groupe vous identifiez-vous le plus ?
Ah ! Je les aimes toutes ! Je ne pense pas que le groupe ait commit une seule fausse note dans sa carrière, à part peut-être, et de manière évidente, avec Who are you. J’aime particulièrement The Who by numbers, parce qu’il fonctionne de manière explicite comme une élégie pour le groupe. Sinon, l’époque de The Who qui a clairement le plus influencé The Blueberry boat est celle des grands disques produits par Kit Lambert (manager très influent et producteur du groupe de A Quick one jusqu’à Tommy, l’homme derrière I can see for Miles, ndlr), ces morceaux un peu rachitiques qui semblent sonner mal volontairement, ou plutôt qui, de manière très mystérieuse, ne sont pas censés sonner bien. Ils me fascinent depuis que je suis tout gamin.
Du heavy r&b anglais jusqu’à Soft Machine, on sent vraiment un feeling sixties dans votre musique…
Evidemment… En parlant de Soft Machine, j’adore, comme beaucoup de gens, le premier album de Syd Barrett. Je n’aime pas Wyatt tant que ça. Les autres musiques que l’on essaye d’imiter sont brésiliennes -Caetano Veloso et Os Mutantes, qui sont si souvent effroyablement bons. Et, bien sûr, au-dessus de tout ça, il y a Dylan.
En parlant des paroles, beaucoup de choses semblent se passer dans vos chansons, autant si ce n’est plus que musicalement. On pense à du moderne et post-moderne américain…
Je pense en fait surtout que les paroles de rock doivent ressembler et être influencées par d’autres paroles de rock. Après, Dylan donne un précédent à tout ce que l’on peut tenter de produire. Plus spécifiquement, la manière dont il travaillait sur disque, en utilisant du langage vernaculaire, des traditions pop, est une énorme influence. Dylan est selon moi le plus grand post-moderne américain, bien que je préfère encore plus le voir comme un moderne de quatrième génération.
Vous et Eleanor êtes frère et soeur. Est-il facile de travailler dans une telle configuration ?
Eleanor n’a jamais fait de musique avant le groupe, donc on a seulement commencé à travailler ensemble en 2001, quand j’avais 28 ans et elle 24. Et ce n’est pas tant une mauvaise configuration que ça. On est tellement habitués à se chamailler et à se crier dessus, que lorsqu’on le fait pour la musique, on ne s’en rend même pas compte.
Propos recueillis par
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