Jona a récemment rejoint Khaela au sein de The Blow, duo indie (DIY), pop (Timbaland en ligne de mire) et arty (tous les deux ont des projets complémentaires). Les plus jolies comptines poppies depuis longtemps. Mail-interview, à l’occasion de la sortie de Paper television.

Chronic’art : Vous semblez influencés par la musique populaire contemporaine mais êtes toujours sur un label de rock indépendant. Pensez-vous que tout le monde puisse faire de la musique « mainstream » désormais ? Est-ce que The Blow est un groupe pop DIY ?

Jona : Nous faisons définitivement tout nous-mêmes, de l’enregistrement au design, du packaging aux sites web. J’aime la pop musique et je suis profondément et évidemment influencé par elle. Il y a beaucoup de ressource bon marché dans le monde désormais et je pense qu’on peut faire à peu près tout ce qu’on veut soi même à la maison. J’ai aussi l’espoir que la musique mainstream soit subtilement redéfinie par cette accessibilité pour tous à de puissants outils et que les gens se mettent à tomber amoureux des petites erreurs et de la rugosité charmante de la musique homemade.

Khaela : Oui, The Blow est un DIY Pop Band, exactement ! J’aime à penser que tout le monde peut faire ce qu’il veut, quand il veut, bien que je soit convaincu que ceci est un point de vue assez privilégié. Je suis très excitée de voir les gens essayer de pousser la musique dans de nouvelles directions auxquelles ils peuvent penser. Jona et moi sommes très influencés par la pop culture moderne. Comme tout le monde, je pense. Comment y échapper ? Mais nous aimons vraiment tous deux ces influences et essayons de les assimiler plutôt que de les rejeter.

Vos lyrics parlent beaucoup de biens de consommation, et comment les sentiments peuvent devenir des biens de consommation. Je relie ça à votre musique et à la pop musique en général, qui est une musique de consommation, en un sens. Est-ce que vous êtes d’accord ?

Khaela : Est-ce que la pop est une musique de consommation ? Je suppose que oui, dans un sens large. Il y a certainement une machine très puissante qui a l’intention de vendre des chansons (via les CDs, les LPs et iTunes) aux masses. Et à un niveau général, la popularité d’une musique est déterminée par son volume de vente (« popularité » relevant de la « pop » dans les formes artistiques). Donc, oui, j’imagine qu’une partie de l’art de la pop musique tient aussi à la manière de la vendre. Et dans mon esprit, il n’y a rien de mal à vendre des choses. Ce qui me dérange plus, c’est lorsque des gens travaillent intensément à vendre des choses à des gens qui n’en veulent pas ou n’en ont pas besoin. Comme Nestlé qui distribue des échantillons gratuits de lait aux mères africaines, créant la sécheresse de leur lait maternel pour les contraindre à acheter ensuite leurs produits. C’est une science très suspecte, qui détermine l’achat non plus par la conviction apportée par une publicité mais par la création d’un besoin organique d’un produit par les gens. Je ne sais pas : je suis juste heureuse parce qu’il semble que les gens aient été un peu intéressés par notre disque sans que nous ayons eu un réel budget publicitaire pour le faire connaître.

Jona : Artistiquement, je considère le hip-hop et la R&B américaine comme la musique la plus innovante créée aujourd’hui.
Timbaland est un vrai génie, et ce qu’il glisse dans la pop music est vraiment incroyable pour moi. Je ne supporte pas grand-chose d’autre dans le reste de la pop music. Mais si je pense à la pop music et à notre société trop longtemps, je crois que mon coeur et mon cerveau vont se mélanger !

Etes-vous « pop » dans un sens warholien, c’est-à-dire que vous aimé la pop culture et la société de consommation, ou dans un sens plus libertaire, que vous produisez une critique de cette société ?

Khaela : Je pense que ma position idéale serait d’aimer la pop culture tout en l’approchant sous un angle occasionnellement critique. J’ai l’impression que par le passé, c’était plus commun de professer son amour pour une institution tout en ayant la possibilité de critiquer ladite institution. Je pense à la manière dont Thomas Jefferson, en rédigeant la constitution américaine, avait l’idée qu’il y aurait beaucoup de révolutions du gouvernement américain, par des citoyens qui aimerait leur pays assez passionnément pour le mettre en cause ponctuellement. J’aimerais idéalement avoir cette même approche concernant la musique populaire et la musique. Je l’aime assez pour désirer qu’elle s’élève vers des standards élevés. Mon travail consiste aussi à questionner la culture mainstream et ceux qui la font, parce qu’ils ont la capacité de répondre à ces questions.

Quelles seraient vos influences ?

Khaela : Je suis très influencée par David Byrne, comme beaucoup d’artistes à la mode ces jours-ci. Son habilité à travailler dans les champs de la pop et de l’art a été une grosse inspiration. Et puis, bien sûr, il y a les artistes et les musiciens que je n’ai jamais étudié vraiment mais qui influencent inconsciemment mon travail. La diffusion silencieuse de leurs idées dans ma conscience. J’ai vu une performance de Laurie Anderson il y a quelques mois, et je ne l’avais jamais vu sur une scène. Alors que je l’observais, je réalisais que j’avais copié tous les éléments de sa performance sans avoir jamais vraiment été exposée à son travail. Comment cela arrive-t-il ? Nous le buvons dans l’air. J’ai vu un documentaire sur la vie d’un artiste anglais, Leigh Bowery. Il semble que la plupart de mes amis n’aient jamais entendu parler de lui, bien qu’il ait influencé les style des 80’s de manière significative. Concrètement, son travail consistait à créer des costumes complètement déjantés, qu’il portait pour sortir dans les clubs la nuit. Mais ses costumes étaient tout simplement « larger than life », à un point qu’ils défiaient les classifications ordinaires de « mode ». Ce genre de crossover m’excite sans fin.

Jona : Ce qui m’inspire le plus profondément pour la musique, et dans la vie, ce sont mes amis. En un sens, j’ai été chanceux puisque la plupart de mes amis font une musique vraiment incroyable : The Dirty Projectors, Dear NoraBobby Birdman, Panther, White Rainbow, Manta, Lucky Dragons, Adrian Orange, Valet, Greg Davis, E*Rock, Anna Oxygen, Calvin Johnson… en voilà quelques uns !

Pouvez-vous parler de votre carrière « artistique », à côté de la musique ?

Khaela : Enfant, je ne pensais vraiment pas que je ferai de la musique une activité à plein temps. J’étais plutôt du genre à faire de beaux dessins, pas à chanter. Donc, je me vois plus comme une artiste que comme une musicienne. Ces dernières années, j’ai fait un certain nombre de performances, que j’ai présenté dans des centres d’art, de manière séparée des concerts de musique. Cependant, j’ai pu faire quelques travaux qui réunissaient les deux genres, art et musique. Finalement, ces projets hybrides ont été mes préférés. J’ai fait un opéra intitulé Blue sky vs. night sky, où je chantais des chansons en me mettant dans la peau d’un personnage de 18 ans. Entre les chansons, je racontais une histoire et dévoilait progressivement que je ne parlais pas seulement en tant que moi.
C’était vraiment excitant et j’ai pu faire cette performance dans des lieux de concerts et des centres d’art. C’est assez rare et difficile, mais j’y travaille. J’ai aussi monté des projets artistiques plus traditionnels, comme des expositions de dessins et de sculptures, mais je suis aussi intéressée ici par l’idée de marier les genres.

Jona : Ce qui m’occupe le plus dans la vie, c’est mon groupe Yacht, avec lequel j’ai pas mal voyagé dans la scène artistique, pour le PICA (Portland Institute of Contemporary Art), Rhizome.org (un groupe d’artistes lié à la technologie de dix ans d’âge, basé à NYC) et des festivals vidéos. J’ai récemment joué un mini set de Yacht au Centre Pompidou à Paris avec Lucky Dragons.

Vous avez tous les deux des blogs. Quelle importance accordez-vous au média Internet ?

Jona : Je suis un croyant et un amoureux de l’Internet. J’ai commencé un web-magazine en 2001 avec deux amis, qui s’est rapidement transformé en communauté online avec différents rédacteurs participants et des blogs personnels traitant de sujets aussi variés que les compétitions de bouffe (un truc énorme aux US en ce moment) ou les photo-blogs quotidiens. Nous avons aussi accueillis des événements, dont l’un d’entre eux est un Reality Show online intitulé « The Ultimate Blogger » qui a duré deux saisons. Nous préparons la saison trois pour l’année prochaine. Notre audience à Portland est montée au-delà de 22 000 visiteurs uniques par jours, ce qui est assez dingue. Pour Yacht ou The Blow, j’ai gardé un blog pour documenter les tournées, les enregistrements et parfois la vie quotidienne de ces trois dernières années. J’essaie de faire quelque chose d’intéressant avec des vidéos, des MP3s et des posts à chaque arrivée dans une nouvelle ville. Je n’ai pas toujours très bonne mémoire, donc c’est bien d’avoir un document public auquel je peux me référencer, que je peux updater, sur lequel je peux recevoir des commentaires. C’est parfois un peu remuant de rencontrer quelqu’un qui me connaît depuis longtemps en ayant lu mes blogs, qui sait tout de moi et où je suis allé. La plupart du temps, c’est juste sympa.

Khaela : Quand je m’assois pour poster sur mon blog, je ressens l’excitation de savoir que j’entreprends un travail d’écriture qui est assez facile pour que je puisse l’achever. J’ai des idées pour écrire toutes sortes d’essais, et essayer de les faire publier. Est-ce que je le ferai vraiment un jour ? Je ne sais pas. Mais je sais qu’écrire des blogs est une bonne pratique pour exprimer mes idées, et que c’est un format qui me permet de ne pas avoir à attendre que quelqu’un veuille bien me publier -je peux juste mettre mes idées là le jour même. Il y a une vraie force ici, je trouve. Prendre le temps de formuler une idée qui vaut autant qu’un arbre coupé (et transformé en papier) est une autre bonne chose dans ce procédé. Je pense que c’est bien pour nous d’avoir un média qui nous permette de partager rapidement et de manière personnelle nos passions. Ca insuffle un peut de démocratie, ce dont nous avons besoin ces jours-ci, à mon avis. Je n’ai pas de projets autres qu’un joli blog pour l’instant. Enfin, si, j’ai un autre projet pour le Net, mais chut…

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Paper television.
Voir la page MySpace de The Blow.
Voir aussi le blog de Khaela Maricich.
A découvrir également, Yacht, le projet de Jona Bechtolt