En ouvrant, il y a dix ans de cela, une galerie d’art contemporain au 92 rue Quincampoix, Tadeuz Koralewski, diplômé en histoire de l’art, avait un but très précis en tête :
Tateuz Koralewski : Je voulais rompre avec cette approche réductrice qui consiste à n’envisager les œuvres qu’en fonction de l’histoire de l’art parce que cette approche fleure bon la poussière. Rompre également avec la mondanité qui est un tic de ce milieu : je voulais ouvrir dans Paris un espace qui se tiendrait à l’écart des modes et du conformisme ambiant en me méfiant des modes édictées par des galeristes plus mondains que galeristes. Eviter d’exposer ces m’as-tu-vu qui ont la côte rue de Valois (ndlr : au ministère de la culture) pour la raison que je crois bonne et qui consiste à penser que les élucubrations panpan-cucu à la ‘Gilbert and Georges’ n’ont que peu à voir avec le monde de l’art. Il s’agissait pour moi de présenter au public des œuvres qui me sont chères, des artistes dont la démarche serait authentique et non pas jouée. Et de les faire découvrir à un public qui serait le plus large possible. «
Tête de l’art : Qui ne serait donc pas uniquement parisien ou potentiellement acheteur ?
Effectivement non. Parce que je crois aux vertus didactiques de ce métier et parce qu’on ne peut assigner de frontière à la sensibilité. C’est la raison pour laquelle j’organise régulièrement des expositions en province. Que ce soit en été dans l’Orangerie du château de La Chapelle-sur-Dun, ou à Strasbourg, j’essaye, autant que faire se peut, d’aller à la rencontre de ce public que l’art contemporain passionne d’autant plus qu’il n’est pas saturé d’images comme peut l’être le public parisien. Ni régionalisme ni nationalisme : j’expose certes des artistes polonais (Piotr Szurek ou Robert Sobocinski) et français (Richard Laillier) mais également grecs, vénézuéliens, allemands ou hollandais (Hans Bouman).
Précisément, qu’est-ce qui fait que cela marche ? Un effet d’émulation, ou existe-t-il une ligne directrice ?
Cette émulation existe mais on ne peut parler de ‘ligne directrice’. Il serait plus exact de parler d’une sorte de ‘couleur’ qui serait propre à la galerie, d’une sorte de cohérence entre leur démarche respective. Je tiens à ce que les différents artistes se connaissent les uns les autres. Et dans les faits, tous se fréquentent et suivent attentivement l’évolution de leur œuvre respective. Mais en restant très discret, j’entends les laisser développer leur propre individualité, qu’ils soient à même d’exprimer ce pour quoi ils se sont tournés vers l’art, ce qu’ils ont au plus profond d’eux-mêmes.
Vous suivez l’évolution de leur œuvre sans chercher à interférer ?
Exactement ; lorsque Gide écrit » familles, je vous hais « , c’est en pensant à ces familles où les individus qui la composent sont écrasés, forcés de se plier à une morale, une histoire. A rebours de ce schéma, je cherche à ce que la galerie soit une sorte de famille idéale, où les individualités sont respectées ; chacun y trouve sa place sans perdre le fil de ses propres recherches et sans rien avoir à concéder aux autres ou à moi-même : les têtes stylisées de Bouman et de Cassel, prises dans le mouvement des sculptures de Sobocinski, reprennent vie, retrouvent leur poids de chair et ce sont les corps pleins, épais de Laillier ; qui eux-mêmes à leur tour trouvent leur place au sein des paysages de Sepiol et de Seydoux, animés, soulevés par ce mouvement qui est celui qui fait se mouvoir les planètes de Quilici. C’est une famille. Nous sommes tous très proche les uns des autres. Certes, par goût, par passion, je suis l’évolution de chacun ; mais si je les sens trop curieux de mes impressions il m’arrive de les taire de façon à ne pas les influencer. Ils les connaîtront d’une manière ou d’une autre lorsque à la veille d’une exposition il s’agira de sélectionner celles de leurs œuvres qui seront accrochées. Il m’arrive d’organiser par ailleurs des expositions thématiques. Il s’agit alors, pour ceux qui acceptent ‘l’invitation’, de se confronter à des genres qui ne sont pas les leurs. Bouman et Laillier ont ainsi accepté de travailler à des paysages quand leurs sujets de prédilections sont, pour l’un les ‘totems’, les visages, pour l’autre les corps. D’autres n’ont pas répondu à l’invitation. Et cela n’enlève rien à la qualité de nos relations.
Aucun lien contractuel ?
Aucun et pour deux raisons : parce que la galerie n’en a pas les moyens et parce que le principe du contrat d’exclusivité me semble archaïque. Je suis fier de la réputation de la galerie et fier que d’autres galeristes s’intéressent aux artistes que j’expose, heureux de constater qu’ils ont un succès qui dépasse le cadre de la galerie parce que ce succès draine un public toujours plus large et averti, parce qu’il rend possible des rencontres avec de jeunes artistes (lors du SAGA ou de la FIAC).
Propos recueillis par Arnaud Bertina
Jusqu’au 31 janvier, l’exposition Préludes présente quelques œuvres de chacun des artistes de la galerie, 92 rue Quincampoix, Paris 3e