De passage à Paris pour un colloque du Seti à l’Unesco, rencontre avec le britannique Stephen Baxter, l’un des meilleurs représentants du courrant hard science.
Apparu tardivement, au début des années 90, Stephen Baxter est aujourd’hui l’auteur à succès d’une trentaine de romans, dont beaucoup restent encore inédits en français. Comme de nombreux écrivains SF, il a commencé sa carrière en écrivant des nouvelles, même si pendant ses quinze premières années de production, aucun magazine n’accepte de le publier. Ce n’est qu’en 1987 qu’il place enfin son premier texte (The Xeelee flower) dans la revue Interzone. gravité (Raft, 1991), son premier roman, appartient également au cycle des « Xeelees », une gigantesque fresque spatiale qui comprend trois autres volumes (Timelike infinity, Flux et Ring, à paraître aux éditions du Bélial), auxquels s’ajoutent un recueil de nouvelles (Vaccum diagrams) et quelques autres apparitions hors cycle initial. Baxter première période fait du neuf avec du vieux. « Je n’avais rien planifié, dit-il. Quand j’ai écris ma toute première nouvelle, j’avais besoin d’une race extraterrestre mystérieuse et très puissante pour servir d’arrière plan à mon histoire. C’est pour cela que j’ai crée les Xeelees. Je m’en suis également servi dans l’histoire suivante ; et au fur et à mesure, j’ai réalisé que c’était intéressant de les savoir toujours là, omniprésents et menaçants ».
Prononcez « zi-li »
Surprise, les Xeelees jouent toujours l’arlésienne dans Gravité, l’auteur s’intéressant plus au sort des lointains descendants d’un équipage naufragé de l’espace, survivants tant bien que mal dans la ceinture d’astéroïdes d’une étoile en bout de course où le vaisseau de leurs ancêtres s’était écrasé plusieurs générations auparavant. Une robinsonnade sur un océan de gravité. Un sujet classique en apparence, mais d’un traitement ultra rigoureux qui nécessite d’intenses réflexions pour bien saisir la logique qui sous-tend l’écologie du radeau. Présents en creux, les Xeelees apparaissent également dans le cycle Les Enfants de la destinée (Coalescence, Exultant et Transcendance, Presses de la Cité) qui, vingt cinq mille ans après Jésus Christ, relate la guerre millénaire qui les oppose à l’Humanité. Entre les deux espèces, pas de négociation, pas de rapprochement, pas de contact autre que mortel. « Avec les Xeelees, explique l’auteur, j’ai laissé parler mon inconscient. J’ai été élevé dans une vieille famille catholique et j’ai reçu une éducation religieuse assez stricte. J’ai vraiment grandit avec l’idée de cette présence silencieuse de Dieu qui nous observe et qui nous juge en permanence ».
Le « time opera » selon Baxter
Les traces de la guerre, que le petit Baxter, né en 1957 à Liverpool, n’a pas connue, l’impressionne aussi durablement : « Dans ma famille, tous les hommes étaient militaires de carrière, de père en fils. Ils ont participé à toutes les conquêtes de l’Empire. Mon grand-père a combattu pendant la Première Guerre mondiale, et avant cela en Afrique et en Inde. Ma grand-mère était indienne. Mon père a été le premier à faire des études pour devenir, non pas soldat, mais ingénieur en bâtiment ». Lui-même est titulaire d’un doctorat en mathématique et en astronautique. Il n’hésite pas à asseoir ses récits sur un fond scientifique et technique très détaillé, sans pour autant vous assommer sous une avalanche d’équations. Il est le plus « Sense of wonder » des auteurs hard science, dans la lignée d’Arthur Clarke avec lequel il a collaboré ; il sait rendre la science à la fois spectaculaire et poétique. Les Vaisseaux du temps (1995), suite autorisée de La Machine à explorer le temps du pionnier Herbert Georges Wells, est un « time opera » qui transporte le lecteur jusqu’aux confins de la Nucléation, là où l’Espace et le Temps sont tellement enchevêtrés qu’ils ne peuvent plus se distinguer. « A l’époque, je venais d’achever le cycle Xeelees, qui s’apparente à un immense space opera sur des distances considérables, je rêvais d’une vision similaire à l’échelle du temps », précise-t-il. Evolution (2002) est également un hallucinant voyage dans le temps, débarrassé de toute quincaillerie SF, pour raconter la saga de l’Humanité, de 145 millions d’années avant notre ère à 500 millions d’années après. D’aucuns lui reprochent parfois le manque d’épaisseur de ses personnages, mais tout le monde n’est pas capable de rendre passionnante la vie d’une petite femelle Purgatorius, notre lointaine ancêtre au temps des dinosaures. « A travers elle coulait un fleuve moléculaire qui avait pris sa source dans un lointain passé, et se jetterai dans l’océan d’un lointain avenir. Et c’est de ce fleuve génétique, grossi et modifié par des milliers de millénaires, que devait un jour surgir l’humanité » (Evolution).
Search for extra-terrestrial intelligence
« Depuis tout petit, je m’intéressais à l’astronomie, j’avais un petit télescope et je me souviens parfaitement la nuit des premiers pas de l’homme sur la Lune. J’ai eu de la chance. J’avais 11 ans en 1969, l’âge rêvé pour se passionner aux exploits de la conquête spatiale. Évidemment, je voulais devenir astronaute à mon tour, mais je n’ai jamais été suffisamment bon en sport pour cela », confesse l’auteur, qui manque pourtant de peu la station Mir en 1990. « J’avais le bon âge, la formation scientifique adéquate et le programme d’entraînement était physiquement beaucoup plus facile, à peine plus éprouvant qu’un tour de montagnes russes. J’ai finalement échoué parce que je ne parlais pas suffisamment bien le français, la langue commune utilisée par la mission ». Qu’à cela ne tienne, l’année suivante, il devient écrivain à temps plein et tient enfin sa revanche en consacrant plusieurs romans au programme spatial de la Nasa. Qu’importe si la conquête de l’espace est devenue « un passe temps pour le troisième âge, un rêve né d’une époque où la guerre était sublimée et qui n’avait laissé derrière elle que des images de fusées délicieusement vieillottes », Voyage (1996) corrige l’histoire officielle telle qu’elle aurait du être. Dans cette uchronie, où le président Kennedy a survécu à sa tentative d’assassinat, la Nasa poursuit son programme sur la lancée des missions Apollo en envoyant une expédition habitée vers Mars. Baxter extrapole, mais n’invente rien. D’un réalisme à couper le souffle, Voyage est basé sur d’authentiques profils de mission imaginés par la Nasa dans les années 80 avec la technologie des vols lunaires.
Keep watching the sky !
Courtois et posé, pas du genre cinglé sur qui l’on peut compter dans les débats télévisés, Stephen Baxter se passionne pour les idées sur le long terme. Il est membre de la très sérieuse British Interplanetary Society. Comme Kim Stanley Robinson et Gregory Benford, il milite pour la terraformation de Mars et est également partie prenante du programme SETI de recherches radiotélescopiques des signaux extraterrestres, pour lequel il participe à un groupe de travail plus particulièrement chargé de réfléchir sur ce qui se passera après le premier contact. La trilogie des Univers multiples (Temps, Espace et Origine, Fleuve Noir) illustre justement les différentes facettes du paradoxe de Fermi : « Il semble que la vie puisse émerger partout, ne serait-ce qu’une seule espèce capable de voyager dans l’espace pourrait s’être aisément répandue dans toute la galaxie. Mais ce n’est pas le cas ». Le physicien italien, Enrico Fermi, a en effet clairement posé le problème : s’ils existaient, ils seraient là. La conclusion s’impose : Keep watching the sky ! L’oeil collé au télescope, l’autre plongé dans les romans de Stephen Baxter.
Gravité – Cycle des Xeelees T.1, de Stephen Baxter
(Le Bélial)