Sarah Boréo est née sous le signe du scorpion, du théâtre, de la danse et de la musique. Elle a joué les plus beaux rôles du Répertoire : Bérénice, Hermione, Electre, Yerma, Deirdre… Elle a chanté avec Mouloudji, avec Catherine Sauvage… Pier Paolo Pasolini l’a engagée pour jouer le rôle de suivante dans Œdipe-roi, Moshé Misrahi et Robert Serra l’ont distribuée dans leurs films… Cette artiste pleine d’énergie, dont on a dit qu’elle était un mélange de Barbara et de Maria Casarès, nous parle de son métier, de ses rencontres, de ses projets. Mais elle a tenu avant toutes choses à évoquer deux artistes : Jean Marais et Vicky Messica.
Jean Marais était venu voir la répétition d’un spectacle Cocteau que nous préparions, Louis Bessières Jacques Canetti et moi. Sa gentillesse, sa simplicité m’ont immédiatement séduite. Ensuite, nous nous sommes souvent revus, téléphoné ou écrit. C’est un homme qui a toujours su se regarder avec beaucoup d’humilité. Au cinéma, c’était une star, et pourtant il disait : « Ce qui compte, c’est le travail et le regard humble que l’on a sur soi… ». Il est resté fidèle à cette devise et c’est comme cela qu’il a grandi en tant que comédien. Si on le regarde sans l’écouter, toutes ses qualités d’humilité et de droiture transparaissent sur son visage. De fidélité aussi : Cocteau est resté vivant à travers lui…
Jean Marais a fait un chemin admirable. Sans cette beauté intérieure, il ne serait jamais devenu celui qu’il a été.
Vicky Messica était un ami très proche. Je l’ai rencontré alors que je passais en première partie dans un spectacle de poésies qu’il présentait avec « Les Poèmiens ». Il a aimé ce que je faisais et il a aussitôt décidé d’intégrer mon spectacle au sien. Nous nous sommes revus très souvent, nous promettant à chaque fois de construire un projet théâtral ensemble. Puis le temps a passé…
Je pense que, même si ses nuits poétiques ont été écoutées et appréciées par des millions d’auditeurs, Vicky Messica est un artiste qui n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait. Il était intègre et ne faisait pas de concession pour plaire aux uns ou aux autres ; mais à chaque fois qu’il était sur une scène, il nous transmettait son feu sacré. Ceux qui l’ont vu dans La prose du Transsibérien de Cendras ne pourront jamais l’oublier. Il a été fidèle à la poésie, à cette idée que l’on doit faire vivre le poème, faire exister son ossature et la lumière du Poète.
Ce cours d’art dramatique ? Le cours que je vais ouvrir prochainement s’adresse aux enfants à partir de 5 ans. Il a -dans un premier temps- pour but de les aider à ouvrir les yeux sur ce qui les entoure et à exprimer leurs émotions. Par la télévision, par les jeux vidéos et par tout ce qui est mis à leur disposition, les enfants portent un regard à la fois aigu et superficiel sur les choses. Ils sont souvent gâchés prématurément par cette société qui est en train de perdre le sens de l’Humain. Il faut qu’ils apprennent à se laisser aller à leurs sensations profondes, je suis persuadée que le reste viendra ensuite… Que ces enfants deviennent des comédiens amateurs ou professionnels est presque secondaire. Ils doivent d’abord apprendre à vivre intensément, tout en se servant de la « machine »… J’estime que le professeur d’un cours de théâtre est le passeur d’une pensée qui ne doit pas disparaître. Il doit expliquer comment, à travers son corps, son cerveau, on va ressentir les choses avec tant de force qu’on va les faire exister. Quand un comédien est sur une scène et qu’il est sincère avec lui-même -tout en étant l’Autre- le public ne peut que ressentir ce feu sacré qui passe, au travers de l’émotion et de la communication, entre l’acteur et lui…
Le Paris Aller-Retour ?
C’est un petit lieu extrêmement chaleureux. C’est notre « Petit Olympia : une soixantaine de places assises, les autres sur des tabourets, autour du bar. Il s’y passe beaucoup de choses. Hector et Patricia, les « seigneurs des lieux « , sont des amoureux de la chanson ; ils ont le regard tourné vers la jeunesse qui chante (il y aura bientôt des cours de chant). J’aimerais y organiser des soirées où des artistes qui ont quelque chose à dire viendraient présenter leurs spectacles….
Ce qui me fait râler ?
C’est de voir tous ces artistes qui se taisent par pudeur, mais qui se désespèrent. Il faut que les choses changent, il faut que ceux qui détiennent le pouvoir financier ouvrent les yeux sur ce vivier créatif, qui dans bien des cas ne peut s’exprimer. Beaucoup d’artistes finissent par ne plus savoir qui ils sont. Ils sont là, avec leur « sang de poètes » et ils attendent qu’on se souvienne qu’ils existent, pour que d’autres existent après eux…
Propos recueillis par
Paris Aller-Retour
25, rue de Turenne – Paris 3e
Renseignements : 01 40 27 03 82