Peintre de la première Ecole de New York à partir des années 1940, Robert Motherwell est célèbre pour ses grandes toiles abstraites lyriques ainsi que pour ses collages et impressions. Il fut aussi un théoricien important qui pensa tant la tradition artistique européenne que la dimension mystique de la peinture. Dans Charité, Frédéric-Yves Jeannet évoque à plusieurs reprises sa destinée et son oeuvre.
Ce fut Paris qui, la première, accueillit Robert Motherwell en1939 chez Raymond Duncan, lors d’un tour d’Europe qu’il entreprit après des études de philosophie à Harvard. A son retour aux Etats-Unis, il s’installe à New York, où il rencontre avec Jackson Pollock tous ceux qu’on appellera les Expressionnistes Abstraits. Dans l’effervescence du milieu artistique new-yorkais, il reste profondément influencé par l’art européen, notamment par les collages de Matisse et Braque, et par le surréalisme de Miro et Picasso. Bien qu’on ne lui ait jamais consacré de grande rétrospective en France, on connaît ses larges motifs noirs combattant le blanc déployés énergiquement sur de grands formats. L’originalité de Motherwell tient dans son intérêt manifesté très tôt pour le collage et le travail d’impression. Dès 1940, il commence des séries dans l’atelier de Pollock, et continuera sa vie durant à en produire. Dans ses derniers collages (Le Sacre du Printemps, 1975 ; Open series, commencées en 1967), la réduction des moyens plastiques ouvre à un monde aéré qui invite à la méditation, celle des principes de l’harmonie universelle et celle du zen auquel il s’est intéressé à la fin de sa vie.
De son style lyrique jaillit une émotion directe, violente, sans contrainte. Mais cet attachement à la spontanéité de l’expression et à l’automatisme de la projection du subconscient ne doit pas occulter l’importance de la réflexion qui précède et accompagne l’acte artistique. Motherwell mène de front un travail pictural et théorique qu’il transmet dans ses écrits et son enseignement : il fonde avec John Cage et Harold Rosenberg la revue Possibilities en 47 et édite les Documents of Modern Art ; il enseigne d’abord à l’Ecole fondée en 1947 avec Baziotes, Newman et Rothko, puis en 1949 à la Motherwell School of Fine Arts. Sa connaissance des théories esthétiques de Delacroix, de la culture française, son goût pour la lumière méditerranéenne et le surréalisme composent son univers. Dans la célèbre série Elégies pour la République espagnole, qui regroupe plus de cent toiles élaborées à partir de 1946 (Buffalo, Cleveland, New York), il oppose les forces vitales à l’instinct de mort, les formes solides aux coulées, les grandes traces libres et amples à la composition serrée du collage. Sa pâte grave et pesante dans les noirs s’affronte au blanc lisse et aux couleurs douces de ses aplats. Selon Barbara Rose, le sens de l’effort chez Motherwell serait à trouver du côté de la réconciliation des contraires (conscient et inconscient, sentiment et intellect, liberté et nécessité). La puissance d’impact du collage, qui vient de Picasso et Braque, produit une « plénitude de la présence » (Clément Greenberg, Art et culture, Editions Macula, 1988) qui utilise la composition et le chaos du cubisme. Il résulte de l’apparente confusion une unité profonde et originale, une composition ordonnée, simplifiée et schématique qui montre, selon Greenberg, « comment le décoratif peut devenir puissant dans une peinture de chevalet ambitieuse et contemporaine ».
Motherwell ne disait-il pas : « L’art abstrait est un vrai mysticisme, ou plutôt une série de mysticismes qui sont issus de circonstances historiques d’où naissent les mysticismes, d’un sentiment élémentaire de gouffre, d’abîme, de vide entre le moi solitaire et le monde. L’art abstrait est un effort pour combler ce vide que sentent les hommes modernes. Son abstraction est son énergie ».
Voir la critique de Charité, le nouveau roman de Frédéric-Yves Jeannet
Direction la galerie pour une présentation de quelques œuvres de Robert Motherwell