François Schuiten et Benoît Peeters sont des auteurs de bande dessinée aux talents multiples. Au fil des années, ils ont élargi leurs moyens d’expression à de nombreux médias : illustrations, conférences-fictions, scénographie, architecture intérieure, courts et longs métrages… Et maintenant, spectacle avec L’Affaire Desombres ! En marge de cette Affaire, le Forum des Images propose un programme assez complet sur la production non imprimée de Schuiten / Peeters. Petite découverte de ces auteurs à l’œuvre protéiforme…

François Schuiten et Benoît Peeters se sont rencontrés vers l’âge de 12 ans, à la fin des années 60 au collège Sainte-Barbe à Bruxelles. Si le premier est Belge, le second est français et doit sa présence dans la capitale belge à son eurocrate de père. Ils sympathisent et réalisent leur première collaboration -un journal d’école- où le rapport du tandem se mettra en place comme il fonctionne aujourd’hui : François Schuiten à l’illustration, Benoît Peeters au scénario. Quelques années après, ils se perdent de vue : passage estudiantin à Paris pour Benoît Peeters, Institut Saint-Luc à Bruxelles pour François Schuiten. Le premier étudie la philosophie et travaille sous la direction de Roland Barthes (sur une analyse de l’œuvre de Hergé), le second suit des cours d’arts plastiques, section bande dessinée, dans le prestigieux Institut. Chacun dans son domaine participe à une « aventure » artistique : le Nouveau Roman pour Benoît Peeters, le Neuvième Rêve pour François Schuiten. Dans les années qui suivent, le dessinateur voit ses premières planches éditées dans des revues de bande spécialisées (Pilote, Métal hurlant), tandis que l’écrivain (qui n’est pas encore devenu scénariste) publie son premier roman.

Benoît Peeters et François Schuiten se retrouvent à la fin des années 70, à l’occasion du retour bruxellois du premier. Ils se redécouvrent et décident de réaliser une bande dessinée : Les Murailles de Samaris. A la fois satisfaits de leur collaboration, mais frustrés de ne pas avoir réussi à exprimer ce qu’ils désiraient, ils décident de travailler sur un nouvel album « dans la même veine ». Au cours d’une discussion avec leur éditeur, celui-ci suggère un titre générique pour regrouper les deux titres : Les Cités obscures sont nées. Celles-ci comptent aujourd’hui six albums de bande dessinée traditionnelle, six livres d’illustrations aux formats les plus variés, trois ouvrages divers, une centaine d’illustrations, etc.

Comment définir ces mystérieuses Cités obscures ? Elles se situent sur une planète qui serait comme un « reflet » de la nôtre, dans une époque et un lieu indéfinis, une autre dimension… Les points communs avec notre monde sont au moins aussi nombreux que les différences. Pour les premiers, notons des « correspondances » entre des villes (Bruxelles est Brüsel, Paris est Pâhry, etc.) ou des personnes (Jules Verne, Nadar, Victor Horta…). Pour les secondes, précisons que les technologies sont très différemment avancées, que la notion de pays n’existe pas dans les Cités obscures (le système géopolitique serait plutôt comparable à l’Italie du XVe siècle, chaque cité ayant une zone d’influence), etc. La description serait incomplète si l’on ne mentionnait pas la notion de passage. Effectivement, l’un des leitmotive des auteurs est qu’il existerait plusieurs lieux de passage entre les deux mondes… permettant aux initiés de passer de l’un à l’autre.

Au fil des albums, Schuiten/Peeters ont créé un univers aussi complet que complexe. Le seul véritable lien entre chaque titre est que l’action se déroule sur le continent obscur où prédomine la notion de cité… Si quelques personnages peuvent être récurrents d’un album à l’autre, ils ne sont les héros que d’un titre. Les sources littéraires ou les références artistiques sont nombreuses et l’œuvre est d’une intelligence rare dans la bande dessinée. Plusieurs lectures sont souvent nécessaires pour saisir toute la richesse d’un album, que ce soit pour son aspect graphique ou narratif.

Mais parallèlement à cette création quasi unique dans l’histoire de la BD, les deux compères ont étendu leurs activités à des domaines très variés. Ainsi, une de leur première digression médiatique est le concept de « conférences-fictions », mis en place pour remplacer les fastidieuses séances de dédicaces. Pendant une vingtaine de minutes, Schuiten / Peeters présentent le résultat de leur recherche sur un aspect des Cités obscures, documents audiovisuels à l’appui. Ce principe permet aux auteurs de prolonger un thème ou un personnage traité dans l’un de leurs albums (la ville de Brüsel, le savant Axel Wappendorf par exemple), mais aussi d’entretenir un contact direct et réactif avec leurs lecteurs. En effet, si les Cités obscures rencontrent un véritable succès (les albums se vendant à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires chacun), elles sont à l’origine d’une véritable passion pour plusieurs centaines de lecteurs. Ces aficionados correspondent entre eux, échangent des informations ou des documents sur le monde obscur, quand ils ne glosent pas sur les multiples interprétations des pistes lancées par les deux Bruxellois…

Par la suite, les projets les plus variés vont se multiplier : scénographie (dont celle de l’impressionnante exposition qui leur est consacrée à Angoulême –Le Musée des ombres– et qui voyagera dans le monde francophone), aménagement de deux stations de métro (Arts-et-Métiers à Paris, Porte-de-Hal à Bruxelles), cinéma (courts puis longs métrages), site Web. Toutes ces réalisations sont plus ou moins proches des Cités obscures : plusieurs éléments s’y retrouvent -de simples détails ou de grandioses décors-, l’ambiance mystérieuse des albums est distillée par-ci par-là, et les thèmes favoris des deux auteurs sont toujours présents (comme la fascination des machines dans la station Arts-et-Métiers)… Et si l’on décidait de schématiser grossièrement les trois grands types d’activité de Schuiten/Peeters (bande dessinée, conférences-fictions, scénographie-aménagement), les termes appropriés seraient respectivement les suivants : mystère, humour, dépaysement.

La rétrospective présentée au Forum des Images (voir programme ci dessous) permettra de découvrir ces trois qualificatifs, réunis ou séparés. Disons alors, mystère et humour pour le Dernier plan, un long métrage dans la veine du récent Forgotten silver de Peter Jackson, mais avec plus de profondeur ; humour pour le Dossier B., qui ravira tous les opposants aux « architectes bétonniers destructeurs » ; mystère et dépaysement pour Taxandria, film un peu bancal mais avec beaucoup de charme ; dépaysement graphique assuré et magnificence de l’image de synthèse pour les Quarxs.

Les aléas du calendrier ne nous permettront sans doute pas de vous proposer un compte rendu de L’Affaire Desombres avant le 30 mars, mais si le spectacle est dans la lignée des précédentes réalisations du duo, il sera au pire intéressant, au mieux passionnant et excitant.

Lire notre critique du spectacle

Les ouvrages des « Cités obscures » sont édités chez Casterman

Programme :

le 20 mars à 20h30 à La Maroquinerie (23, rue Boyer – Paris 20e)
Présentation du site : http://www.urbicande.be par Alok Nandi (concepteur) et par Jean-Paul Firman
Renseignements : 01 40 33 30 60

le 21 mars à 18h à la Fnac Forum des Halles
Rencontre Fnac avec François Schuiten, Benoît Peeters et Bruno Letort autour de L’Affaire Desombres

du 23 mars au 1er avril à 20h30, dimanche 26 mars à 16h (relâche le 27) au Forum des Images
L’Affaire Desombres ou le parcours mystérieux du peintre Augustin Desombres
Spectacle théâtral, musical et multimédia conçu par François Schuiten, Benoît Peeters
Musique : Bruno Letort

le 25 mars à 19h30, le 26 mars à 17h30 au Forum des Images
Les Quarxs
Série en images de synthèse de Maurice Benayoun
Scénario : Maurice Benayoun et François Schuiten
Conception graphique : François Schuiten
Textes : Benoît Peeters
Le dossier B. de Wilbur Leguebe
Scénario : François Schuiten, Benoît Peeters et Wilbur Leguebe

le 25 mars à 17h30, le 26 mars à 19h30 au Forum des Images
Le Dernier Plan de Benoît Peeters (Fiction, couleurs)

le 25 mars à 21h30, le 26 mars à 15h30 au Forum des Images
Taxandria de Raoul Servais
Conception graphique : François Schuiten

Forum des Images
Forum des Halles – Porte Saint-Eustache
Renseignements : 01 44 76 62 00