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Est-ce que, comme Rashied Ali justement, vous avez dans vos tiroirs des bandes qui dorment et que vous aimeriez voir ressortir sur le label Akt par exemple ?
On sort des choses que l’on a aimées à une certaine époque et que l’on avait envie de ressortir. « Graver c’est grave », mais ces quelques bons moments nous font plaisir et on les a ressortis. Malheureusement, on n’a pas tout des meilleurs concerts. Particulièrement je recherche un concert en 74 à Colmar où l’on joue en quatuor : Mickey Grailler venait de partir du groupe et on s’est retrouvés avec Janick, Klaus et… ça sonnait comme 50 personnes : Janick jouait les parties de Mickey à la basse, on entendait des violons, des chœurs… C’était fabuleux !
Dans des concerts, vous jouiez avec Stundehr et Janick des grandes suites que l’on ne retrouve nulle part…
J’ai des amis dans Don’t Die qui ont monté tous ces extraits. On a fait trois concerts avec ces extraits que j’appelle le Kohntark numéro 1. Il y a un concert à St-Michel-sur-Orge, très tôt en 1973. Je l’avais en bande stéréo, parfait. j’ai essayé de rajouter des bruits de batterie. Ca n’était pas beau à entendre. J’ai enregistré les rythmes sur le canal de droite… En faisant ça, j’ai saccagé le concert moi-même, je ne peux même pas me plaindre.
On a aussi attendu un triple album, Emehntet-Re…
C’est vrai. On commence à en éditer des bouts enregistrés à l’époque. Mais comme on était limité par la durée d’enregistrement à l’époque, on n’avait pas pu les éditer. Ici les graveurs ne prennent pas de risque, au-delà d’un certain nombre de décibels, ils risquent de casser la tête de gravure… C’est pourquoi nos disques n’avaient jamais le niveau sonore suffisant.
Il y a aussi des choses comme La Musique des sphères de Janick, ou même Zess que pas mal de gens attendent…
Janick m’a confié une bande avec La Musique des sphères, un morceau qui s’appelle Glah, une sorte de résonance de cloches avec un son de voix de Janick et aussi avec sa basse. C’est très beau car on dirait quelqu’un qui chante dans les harmoniques des cloches. Une cloche est très riche en harmonique et John aimait ça aussi, comme dans le morceau « harmonique » ; je pense que ceux qui vont découvrir les choses les plus importantes en musique désormais vont le faire par les harmoniques. La musique et les harmoniques c’est la même chose. Avec les harmoniques on peut jouer un « do » sans se lasser pendant vingt minutes, il ne sera jamais pareil… On « joue » avec. A l’introduction d’un morceau que j’enregistre pour Les Cygnes et les corbeaux, je chante sur une note et cette note varie constamment. Pourtant c’est la même, on ne peut pas faire plus do que do, plus sol que sol… et pourtant si car on peut tendre vers la note du dessus, d’en dessous et tout cela sans déborder. On pourrait faire une symphonie avec une harmonique…
Janick en fait voulait sortir cette bande avec le disque Udu Wudu quand on l’a réédité. Je n’ai pas accepté car ce n’était pas dans le contexte, je lui ai demandé s’il voulait sortir ces trois sous le nom de Janick Top et s’il en avait d’autres le cas échéant. Il m’a dit : « Il faut que je réécoute », ça veut tout dire ! Une fois il m’avait confié une bande avec des musiques superbes. j’avais donc cette chose mystérieuse, et je ne pouvais pas la faire écouter car ça aurait été une trahison. C’est dommage car c’était merveilleux et les gens auraient dû pouvoir l’écouter. Je l’ai donc renvoyée par la poste à Janick et maintenant quand je lui demande : « Et cette bande ? », il me dit : « Il faut que je cherche dans mes papiers, dans mes trucs… Faut que je m’y mette. « Cela fait depuis 78 quand même !
Glah et tout le reste, par contre, c’est très récent. Quand j’ai rejoué avec lui dans Fusion, je lui ai redemandé s’il voulait qu’on le réédite mais il m’a dit : « Il faut que je réécoute… » J’hésite donc à le lui rendre ! Il va l’égarer encore, mais est-ce que ça n’est pas volontairement ? On se demande, car à partir du moment où on en parle, c’est pour le faire connaître quand même…
Vous avez entendu ce qu’il fait actuellement au sein de son groupe STS ?
Je n’en ai pas eu l’occasion. Je pense que Janick a besoin de rejouer sur scène de toute façon. On ne fait pas impunément ce qu’il a fait pendant des années. Pour l’instant, il faut qu’il se retrouve, et là, il va refaire ses armes, car il est obligé de se requinquer. Là il ne prend pas énormément de risques dans STS. A mon avis, il faut qu’il s’échappe de cela et qu’il travaille avec des batteurs différents, pour pouvoir… (il claque des doigts). Il les fait un peu jouer comme des machines là je crois. Les avis sont partagés sur cette formation mais il tire finalement bien son épingle du jeu car il a des métronomes à côté de lui. C’est dramatique… Il faut qu’il se sorte de cela à nouveau.
J’avais proposé à Janick de rejouer dans un contexte tout à fait différent et je lui avais même proposé de rejouer avec Emmanuel Borghi dans un contexte trio. Monter quelques thèmes de jazz pour jouer ensemble, pour se trouver dans des situations dont on ne peut pas se sortir facilement, dans tous ces rythmes multidimensionnels. J’attends donc… Non, en fait je n’attends pas car il ne faut pas attendre, surtout pas Janick ! J’ai fait l’erreur d’attendre quelques années au départ et ça m’a coûté cher, il ne faut pas attendre. Là je travaille, je fais ce que je dois faire : tant mieux si un jour on retravaille ensemble, ça voudra dire que Janick a replongé dans le métier de jazzman qui est d’aller au charbon.
Pour revenir à des choses plus matérielles, quel bilan tirez-vous des dix années de Seventh Records ?
Du point de vue artistique, qui est mon domaine, ça a permis de remettre les pendules à l’heure : on a ressorti tous les albums de Magma en CD, on a refait les jaquettes qui avaient été saccagées au départ comme celle de 1001 °C. Ca permet aussi d’avoir un studio et de travailler, sans prendre énormément de temps, mais quand même trois ou quatre bons mois… Avec les maisons de disque on avait un délai fixé, trois jours pour les cuivres par exemple. Pour Merci, on avait 30 000 F de budget pour les cuivres. Le surlendemain, on avait épuisé le budget et ils avaient enregistré dix notes. Alors à l’intérieur du disque Merci, on peut entendre un morceau Call from the dark où une section de trompettes joue dans les aigus après le pont et soudainement, on entend une trompette qui chuchote. Ce trompettiste-là remplaçait progressivement toutes les parties de trompette qui avaient été mal jouées par les autres. Manque de chance, il avait un train à prendre avec sa femme à minuit -il était très gentil ce type, Slominski- et il nous a pratiquement refait toutes les parties de trompette jusqu’à ce qu’il doive absolument partir, et tout le final de Call from the dark n’a pas été réalisé.
D’un autre côté Seventh a permis à certains groupes ou musiciens de se révéler, comme le Collectif Mu, en concert il y a peu de temps…
Oui c’est positif, c’est sûr. C’était l’idée de départ de toute façon. Le nom de Seventh sonnait un peu comme une cymbale et j’avais prévu que l’on pourrait enregistrer des big bang par exemple (même si la grandeur du studio ne le permet pas encore) en direct, de la musique classique.. Bref, ouvert véritablement à tout. On aurait peut-être créé des sous-labels. J’aimerais que Seventh soit comme ça. Il y a une identité et tout se retrouve dans les musiques. Mais il y a quand même des choses que j’imagine mal sur Seventh. D’autres labels pourraient les enregistrer.
Quand on a commencé Seventh, j’avais pensé à une tranche orange et noire, comme Impulse qui n’existait plus à l’époque. Je trouvais que c’était la meilleure idée mais ils sont revenus. Heureusement d’ailleurs ! Donc on s’est inspiré de ça, et ce liséré noir blanc rouge permet de nous identifier. Pour AKT, avec trois disques, on recrée le triptyque. C’est pas mal je trouve. Je fais un peu de peinture, pour me détendre, et je m’amuse à faire des scènes sur dix tableaux à suivre. J’imagine une toile et au fond commence l’autre toile, et à chaque fois que l’on se situe devant on se déplace vers un autre monde. Ce que je fais est un peu abstrait… En fait, ce sont les différents niveaux des couleurs que j’aime…
En parlant de peinture, on n’a pas parlé beaucoup de la contribution de Giger à la pochette de Magma…
C’est moi qui lui ai demandé de réaliser une chose comme ça mais il m’a réalisé un building trop petit ! Ici en France il n’y a pas d’alternative : si tu demandes l’Amazone, on te dessine la Seine et encore, pas en temps de crue. Mais si tu veux une pyramide, c’est tout de suite Kheops… Toujours les mêmes idées… Pour Magma, je lui avais demandé quelque chose de sans fin or là c’est fini. J’ai été un peu déçu de la pochette avec ses personnages. On était en contact par téléphone et j’avais pensé à lui parce qu’il y avait quelque chose dans son approche… Chez moi c’est un peu une obsession ce désir de verticalité infinie. Ce n’est pas vu dans une notion de proportionnalité ou de nombre d’or mais l’idée double-carré ou quelque chose comme ça. Pour le sigle c’était déjà comme ça… Après, il a été retravaillé avec le nombre d’or mais j’en ai un sur moi qui est plus proche de l’idée de base du sigle.
Quand on décompose ce sigle, on trouve des emboîtements de cercles, avec un axe vertical…
C’est vrai. En réalité, pour moi le sigle devait être multidimensionnel mais c’est difficile à réaliser comme ça à plat… J’avais demandé à la sœur de Laurent Thibault pour la pochette du premier album une sorte de patte d’un animal, d’un être, qui venait d’ailleurs et qui prenait la terre. Or, elle a réalisé cette serre mais ça ne représentait pas plus et on se disait que c’était une serre d’aigle et voilà… Moi j’ai été déçu aussi. Je voulais quelque chose de pas concevable car je trouvais que la musique de Magma, on ne pouvait pas la saisir, de même que le kobaien. On pouvait ressentir mais pas tout de suite traduire pour essayer notamment de démolir. Au bout d’un moment on sait qu’on avance mais il faut réfléchir après. Le travail, j’y mets un ordre une construction, mais dire que je vais faire cela dans un ordre précis je ne peux pas. Je sais que ça va se clarifier, que tout est clair. Par exemple quand on a fait le premier album Offering après dix albums Magma, les gens disaient : » Mais pourquoi faire un album Offering ? » Les gens ne comprenaient plus rien. Si je fais trente albums Offering, les gens comprendront qu’il y a une démarche Offering, mais on ne peut pas comprendre au bout d’un ou même trois albums.
Est-ce qu’avec le temps qui passe vous n’êtes pas gagné par le sentiment que vous n’aurez pas le temps d’accomplir tout ce dont vous avez envie ? Est-ce que cela ne crée pas une urgence supplémentaire ?
Si, tout à fait ; mais on ne peut pas bâcler le travail. Il y a des gens qui ont réussi à finir leur travail complètement, en l’occurrence John Coltrane, qui pour moi a terminé son travail jusqu’au dernier moment. C’est vrai qu’il pourrait y avoir des choses après Expression, Offering… mais on ne sait pas où ça peut aller. Il ne nous a pas laissés en plan. Moi je veux continuer mon travail mais pas non plus laisser un travail bâclé. Je ne sais pas si je pourrai aller au bout mais au moins je ne laisserai rien de bâclé. Il est sûr qu’à certains moments on doit friser ce que l’on appelle la mort et on a alors tendance à oser très très vite, à se brûler ; j’ai toujours fait au rythme naturel des choses. Là j’enregistre Les Cygnes et les Corbeaux et je pensais aller très vite. Pour ce qui est de mes parties, je vais très vite, je ne recommence pas deux fois d’une manière générale, mais on travaille avec des gens qui ne sont pas dans la même urgence. Il faut beaucoup de diplomatie pour avancer ensemble, et là on se heurte sans arrêt à des problèmes et un disque qui, je pensais, durerait deux mois va peut-être durer cinq mois, six mois…
C’est quelque chose qui vous caractérise depuis longtemps… Il y a eu pas mal de projets dont on a parlé et qui n’ont pas été réalisés…
C’est vrai et c’est peut-être parce que j’ai toujours eu le souci de réaliser les choses avec des gens. En réalité, je me dis que je vais faire des disques solo, piano et voix, car, finalement, au niveau de l’expression, évidemment on n’entendra pas vingt voix, mais au nouveau de l’émotion, ce sera intact. J’ai de quoi faire dix ou onze albums là. Beaucoup d’albums solo, excessivement expressifs pour moi et quand j’écoute quelque chose à la maison, j’écoute ça. Pour les réaliser en studio il faut le temps de refaire le son et de les enregistrer. C’est l’idée que j’ai. Il faut que j’en sois très près et que j’aie ma sélection de morceaux.
En fait, cette idée de voix et piano était déjà présente dans votre esprit au moment de Kohntarkosz ?
Oui. Quand un ami à moi très proche, Jean-Paul Fenneteau est parti, j’ai fait ce disque tout de suite dans l’urgence : To love. Je me suis dit que c’était intime comme disque et que ça ne plairait pas du tout peut-être… L’idée était de le faire pour Jean-Paul. Beaucoup de gens ont critiqué mais en réalité je l’ai fait pour Jean-Paul.
Dans ce disque, il y a aussi les quinze premières secondes du dernier morceau qui reprennent le Matin des Noirs d’Archie Shepp…
Il s’adresse en réalité à Archie Shepp, et c’est pour ça que j’y ai intégré la batterie, ce qui est la seule fois dans l’album. Je voulais lui dire quelque chose d’une certaine manière. Ce morceau s’appelle XMC et veut dire en fait Malcom X. C’est quelque chose d’un peu spécial où je raconte une petite histoire à ma manière, ce n’est pas un secret mais c’est très personnel.
A ma manière, je travaille beaucoup sur les modes d’Alice Coltrane mais avec mes propres développements car Alice Coltrane le fait très bien. C’est un son que j’aime et on remarquera que dans My favorite things, tous les thèmes qu’utilise John sont basés sur ses modes… C’est quelque chose que j’ai remarqué très tard. Plus j’écoute, plus je découvre ça… Beaucoup de choses comme ça, je les découvre dans le temps. Il y a, par exemple, un thème Every time we say goodbye. A la fin, exceptionnellement, John laisse la rythmique s’achever, on entend Mc Coy, Elvin et Steve Davis terminer ensemble sans John. Aucun des musiciens ici ne l’avait remarqué. Moi je me suis dit que c’était dommage, pourquoi n’avait-il pas fait le final ? En fait c’est parce qu’il y a des paroles normalement à ce thème et qu’une fois qu’il a dit « goodbye » dans la chanson, il s’en va et ne revient pas… c’est logique ! Ici les musiciens de jazz disent « goodbye » et à la fin ils reviennent pour un final ! Conclusion, il y a énormément de choses qu’on découvre en apprenant les paroles d’une chanson… Il faut aimer et écouter car ici on est mal éduqué. J’ai appris récemment qu’un musicien américain avait fait le bœuf avec des musiciens français, il avait pris une ballade et il s’est arrêté pour demander au pianiste s’il connaissait les paroles car il avait entendu que quelque chose n’allait pas musicalement. Le pianiste lui a dit que non et alors ils n’ont pas joué le morceau, point final. Il faut chanter les paroles autrement on ne peut pas jouer. Dans Hhai, j’ai du faire lire au guitariste les paroles et maintenant il le joue parfaitement…
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