Joël Brisse a réalisé en 1997 son premier court métrage : « Les Pinces à linge », sélectionné à Cannes dans la section Cinéma en France. Joël Brisse suscite avec cette histoire d’un adolescent aveugle et de ses relations avec ses camarades de classe voyants, une réflexion sur la lumière et l’obscurité : deux composantes essentielles du cinéma. La lumière dans laquelle nous sommes tout au long du film et que recherche le jeune Alban (il veut « voir » la pierre phosphorescente, la photo de classe, prend des photos…) et l’obscurité de la fin du film. Mais là aussi, autre idée de cinéma, nous arrivons à imaginer ses déplacements dans son jardin, car nous l’avons déjà vu effectuer le même déplacement au début du film. Rappelant le principe de la persistance rétinienne qui fait que nous ne voyons pas l’image noire entre deux images de lumière projetées sur un écran de cinéma, la dernière séquence des Pinces à linge nous introduit dans l’obscurité d’Alban, avec les souvenirs lumineux du film. Film riche de sens, Joël Brisse revient sur son film…
Chronic’art : Quel est ton parcours avant la réalisation de ce premier court métrage ?
Joël Brisse : En fait, moi je suis peintre. J’ai fait l’École d’art de Clermont-Ferrand. Depuis le début des années 80, j’habite à Paris où j’ai beaucoup peint. J’ai été prof de dessin dans un collège pendant 10 ans pour gagner ma vie et depuis 1988, je ne fais que de la peinture. J’avais co-écrit deux scénarios avec une réalisatrice et je pensais en fait lui proposer le scénario des Pinces à linge. Finalement, comme ça ne l’intéressait pas tant que ça, je l’ai tourné.
Avant ce premier film, avais-tu envie de réaliser ?
Non, ça m’amusait de participer à des scénarios. J’ai vu beaucoup de films pendant mes études. En plus, étant de Clermont Ferrand, je connaissais bien les personnes qui étaient responsables du festival du court métrage. C’est finalement grâce à eux si je suis arrivé au cinéma.
Quelle était l’idée de départ de ce scénario ?
Je l’ai écrit d’après une petite nouvelle que j’avais écrite il y a quatre ou cinq ans lorsque j’avais entendu parler d’un photographe aveugle. J’avais trouvé ça fascinant qu’un aveugle veuille faire de la photo et je crois qu’on est tous un peu comme ça : on va vers ce qui nous manque le plus. En relisant cette nouvelle, je me suis dit que je pourrais en faire un scénario parce que c’était assez visuel. Je l’ai adapté en quinze jours, je l’ai fait lire à des amis, puis je l’ai envoyé au CNC et j’ai eu l’aide. J’ai également fait une demande à la région Centre qui a plutôt apprécié le scénario. Ensuite tout est allé très vite, j’ai trouvé un producteur, j’ai cherché mes acteurs…
Quels thèmes as-tu voulu développer dans le film ?
Ce qui me plaisait, c’était de ne pas faire un documentaire sur la réalité d’un aveugle. Le fait que le personnage soit aveugle me permettait plein de choses, le fait qu’il profite de son handicap pendant la période de l’adolescence me permettait également de parler de son désir, car il y a une fille dans la classe qui lui plaît. Quand il prend ses photos, elles sont toutes surexposées et tout le monde lui dit qu’elles sont ratées. Or, si elles sont toutes noires, c’est par ce que de la lumière est entrée dans l’appareil. Je voulais jouer avec ça. Il y autre chose aussi : un aveugle ne connaît pas la différence entre le jour et la nuit. Pour nous, la lumière du jour, le lever ou le coucher du soleil produisent du sentiment, mais par pour les aveugles, c’est pour ça que j’ai rajouté cette scène où Alban demande à son ami s’il fait nuit, « où en est le soleil ? ». Dans une autre scène, son ami lui dit qu’il reste un doigt entre l’horizon et le soleil et en écrivant ce passage, je trouvais que ça faisait un peu « gnangnan ». Ils devaient donc parler d’autres choses. Du coup, ils parlent des seins de Marie-Luce et les choses prennent une autre valeur, parce qu’il y a une espèce d’assimilation entre le soleil et les seins de Marie-Luce, entre l’idée de toucher ses seins et le « est-ce que le soleil touche l’horizon ? ». Du coup, Marie-Luce est toujours habillée en jaune ou orange.
Personnellement, j’ai apprécié la description du caractère d’Alban, dont la cécité n’est pas du tout un instrument pour atteindre une espèce de sentimentalisme mièvre. En ce sens, ton film m’a rappelé le film de Van Der Keuken, L’Enfant aveugle, où le moins que l’on puisse dire est que l’enfant ne suscite absolument pas une compassion affectée.
Oui, je connais ce film. C’est vrai qu’il existe beaucoup de films larmoyants sur les handicapés, sur les aveugles. Plus que les aveugles, c’est notre regard sur eux que l’on montre. Les aveugles sont comme les autres, il y en a de très ennuyeux. Melchior est très bavard et parfois on a envie de le débrancher… L’important, ce n’est pas de montrer un aveugle, c’est de montrer un personnage avec son autorité, ses abus, ses qualités. Il sait qu’il peut toujours faire celui qui se trompe.
Pourquoi vouloir tourner ce film loin d’une grande ville ?
Je voulais que ce soit une petite ville, à l’extérieur, qu’il y ait un trajet à faire en mobylette. J’avais envie qu’il aille de la ville vers la campagne. Moi ce qui me plaisait, c’était l’espace autour de lui, un paysage assez vaste. Impossible en ville.
Pourquoi ce choix de tourner des plans longs, sans trop découper les séquences ?
J’avais beaucoup pensé au découpage avant de tourner. J’avais envie de la durée et du mouvement, donc plutôt des plans longs. Je crois que c’est cohérent parce qu’on voit comment Alban se déplace dans l’espace sur lequel il s’appuie. Pour nous, l’espace n’est pas très concret, on voit le point que l’on veut atteindre et on y va. Tandis que pour un aveugle, il doit y penser et avancer prudemment.
Comment as-tu rencontré Melchior Beslon (Alban) ?
Je voulais tourner ce film avec un acteur qui soit vraiment aveugle, parce que je voulais que les rapports entre lui et les deux autres acteurs du films soient authentiques. Et puis aussi, je trouvais injuste de donner un rôle d’aveugle à un voyant alors qu’il y avait peut-être plein de jeunes acteurs aveugles qui ont envie de faire du cinéma. J’en ai rencontré plusieurs à l’Institut national des jeunes aveugles ainsi que par le biais d’un bulletin publié pour les parents d’enfants déficients visuels. Le personnage de mon film n’est pas dans une institution, mais dans une école classique, c’est de plus en plus fréquent : ils ont une machine à taper en braille, couplée avec un ordinateur et une imprimante. J’ai rencontré Melchior parce qu’il avait joué un petit rôle dans une mise en scène de Mnouchkine qui le connaît bien. Et un ami de la troupe de Mnouchkine m’a parlé de lui. Je crois qu’il veut devenir comédien, il a joué dans plusieurs pièces déjà.
Quels sont tes projets aujourd’hui ?
J’ai écrit un nouveau court métrage qui s’appelle Le Songe de Constantin. J’espère le tourner en automne. C’est l’histoire d’un laveur de vitres obsédé par tous les objets qui ont été en contact avec le corps humain : les vêtements, les vieilles brosses à dents… tout ce qui marque le corps. Mais je continue à peindre, j’ai aussi des projets d’expositions…
Propos recueillis par