Révélé par Vitez au théâtre, ce comédien surdoué atteint ce mois-ci les cimes du cinéma, dans Un air si pur de Yves Angelo.
Déjà, on entend les questions de sortir de salles, les mamies du dimanche après-midi se pâmant devant la prestation de cet acteur si formidable, mais si étrange, « et comment s’appelle-t-il, dis-tu ? Rejdep… non, Redjep Mitrovista… non, non, non…, Redjep Mitrovitsa« . Eh oui, dans un pays où le talent n’est pas inversement proportionnel à la notoriété… mais presque, un nom pareil, ça n’aide pas vraiment. La faute à ses origines albanaises, nobody’s perfect – voyez aussi un autre de ses brillants compatriotes adopté par la France, le chorégraphe Angelin Preljocaj.
Mais Redjep, donc. Dire que ce garçon est l’un des comédiens les plus doués, sinon LE plus doué de sa génération, n’est pas usurpé, loin s’en faut. Cultivant, aussi, avec une réussite certaine, l’art de l’éclipse, de la distance, le syndrome diva, diront les méchantes langues. Nous, on pencherait plutôt pour une irrésistible mélancolie, de celles qui vous frappent après la mort d’un être cher. Vitez, le père spirituel, le mentor, « grâce » auquel il intègre le « Français » – où il livrera deux de ses plus hallucinantes compositions, dirigé par Lavaudant : un Lorenzaccio (89) enfin expurgé de tout un fatras post-romantique, et un Hamlet (94) peroxydé et hiératique. Deux rôles-phares, immenses et mémorables, qui pardonneraient à eux-seuls ses infidélités à la maison de Molière, dont il reste néanmoins pensionnaire.
Il y eut aussi Dyonisos, dans des Bacchantes euripidiennes version rasta (!), puis Frère Dominique, dans Jeanne d’Arc au bûcher de Honegger, à Bastille et aux côtés de Huppert. Mais surtout, qui n’a pas vu, seul sur scène, et entendu, fiévreux et inquiétant, Redjep Mitrovitsa lire le Journal de Nijinski ou les fulgurances hugoliennes (…egaré dans les plis de l’obéissance au vent) ne connaît pas tout à fait ce comédien. Des choix âpres, exigeants, pas très glamour, quoi, et qui n’attirent pas nécessairement l’œil des directeurs de casting !
Divine surprise, alors, de le découvrir aujourd’hui au cinéma dans un rôle à sa démesure, et formant avec Luchini un couple jubilatoire et parfaitement antithétique ; première vraie composition sur grand écran, qui ne passera sûrement pas inaperçue. En janvier prochain, il reprendra Le visage d’Orphée d’Olivier Py, présenté en Avignon cet été. D’ici là, son répondeur devrait saturer de propositions…