Red aka Olivier Lamblin sort aujourd’hui un troisième album somptueux, 33. Discussion avec le rouquin autour de plusieurs aspros, pendant les Transmusicales de Rennes 2002.
Chronic’art : D’où vient ton nom d’artiste, Red ?
Red : Ca date de mon premier concert. Le patron du bar où je jouais avait mis « Red » sur l’affiche, et je l’ai gardé. Tout le monde m’appelait Red parce que je suis rouquin.
Les gens qui te suivent ont été surpris de savoir que tu allais sortir ton nouvel album sur Universal Jazz…
Oui, mais moi ça m’étonne que les gens soient surpris. Ca ne me surprend pas. Universal Jazz défend Akosh, Ornette Coleman. Et puis Rectangle a quand même produit, artistiquement, le disque. D’ailleurs leur logo est bien sur la pochette. Je n’ai pas de problème « anti-major ». Les gens qui travaillent chez Universal Jazz étaient déjà à mes concerts il y a deux ans, lorsqu’est sorti Felk. Ils avaient vraiment envie de travailler avec moi.
Après deux albums en solitaire, comment t’es venue l’envie d’enregistrer en groupe ?
C’est en général venu à la suite de live joués ensemble -Charlie O, Noël Akchoté. Parce que ça se passait bien sur scène entre nous, ils avaient naturellement leur place sur un album plus orchestrés. Mis à part Thomas Belhom et Jean François Pauvros, avec lesquels je n’ai pas fait beaucoup de concerts. J’ai rencontré Christian Rollet grâce à son fils Quentin (du label Rectangle, ndlr), et c’est vraiment un batteur que j’aime bien, avec qui j’ai des affinités sonores. Par ailleurs, il habite à Lyon, comme moi. Enfin, avec tous ces gens, j’ai des affinités esthétiques disons, et politiques. Politique au sens que tu t’engages quand tu écris une chanson. C’est-à-dire que tu n’es pas forcément là pour t’amuser.
Avec 33, tu as réussi à retranscrire l’intensité des live ?
Oui, tout est enregistré en live pratiquement. Il y a des pains, parfois, mais j’adore ça. Ce sont de jolis pains.
On a l’impression que c’est un disque plus optimiste que les précédents… tu confirmes ?
Mais il y a déjà de l’optimisme dans Felk : vers la fin, il y a les enfants… Les textes de 33 sont quand même assez sombres à mon avis.
En même temps tu es assez gai, joyeux dans la vie.
Oui, mais c’est sans doute une façade. En vérité, je suis assez sombre, assez négatif comme garçon.
En live, tu fais des morceaux très variés, des reprises ?
Oui, mais c’est très proche de l’album : 2 de tension et 27 de température. Quand aux reprises, je fais les morceaux que j’aime bien, c’est tout.
Tu écoutes beaucoup de disques ?
Pas beaucoup de choses récentes, à part The Baptists General, dernièrement. Mais sinon, je n’ai pas le temps ni l’énergie de gérer le flux d’information. J’écoute moins de musique que la moyenne.
Tu as poussé l’exercice de la reprise très loin en reprenant intégralement Songs from a room de Leonard Cohen.
C’est complètement un concept-album. C’est parti de l’idée de poursuivre une tradition de covers, sur Cohen particulièrement, et c’est un album que j’aime beaucoup, qui a bercé mon enfance, et que je n’aurai pas pu faire ailleurs que sur Rectangle. J’ai pris un plaisir immense à démonter les chansons, à les remonter. Pas toujours dans le même sens. Parfois j’ai souffert un peu aussi, en me disant : « Oulah, est-ce que je ne suis pas en train de passer à côté de la chanson ? » Mais l’accueil du disque a été bon. Cohen lui-même a apprécié, ça lui a plu. Alors je suis ravi, évidemment.
Ce qui est amusant dans ce projet, c’est son absence totale de modestie.
C’était un projet à la fois immodeste et modeste, où je donnais simplement mon interprétation des chansons. Ce n’est ni un pastiche, ni un hommage. Mais si je le refaisais maintenant, je le ferais encore différemment. Je pourrais sortir régulièrement un album reprenant Songs from a room dans une version à chaque fois complètement différente. Ca, ce serait vraiment conceptuel.
Pourquoi le nouvel album s’appelle 33 ?
Parce que je l’ai écrit l’année de mes 33 ans et que les chansons sont écrites à partir d’extraits de la Bible. Ce n’est pas une crise mystique, mais j’ai fait des cut-ups sur la Bible, comme Burroughs l’a fait à son époque. Avec ma guitare, devant mon ordinateur, Words ouverts en permanence. Les phrases originales sont détournées, recalées, dans un nouveau contexte. Je suis très fier des textes. C’est un album plus « song-writing » que Felk.
On imagine que tu dois trouver chaque jour de nouvelles interprétations à tes textes ?
Oui, les significations changent. Mais ça, c’est normal. Et ils évoluent aussi. Je peux improviser dessus.
Qu’est-ce que tu penses de l’utilisation commerciale du blues, façon Moby ?
Ca me désole, mais je m’en fous. Quand j’entends ça je change de radio.
Tu es français mais tu chantes comme un vieux bluesman.
Oui, mais je n’ai jamais écouté de chanson française. Ma culture d’enfant, c’est Bob Dylan. Ce que j’aime, c’est le song-writing américain. C’est la musique la plus intelligente, la mieux faite que je connaisse. Et toute la musique d’aujourd’hui vient de là. Il y a un côté « je prends ma guitare et je chante » qui me convient. Les anglo-saxons chantent plus que nous. Dans les bars en Irlande, les mecs chantent à trois-quatre voix, c’est très beau tout de suite. Les français ne chantent pas.
On fredonne…
Oui, on fredonne. Sous la douche…
Tu as dit, dans un entretien pour un magazine, que ton backing-band de rêve était les Rolling Stones.
J’adore les Stones. Toute la première période, jusqu’à Exile on main street.
Tu te verrais continuer la musique comme ça jusqu’à leur âge ?
Non, eux sont dans une autre sphère. Aujourd’hui, ils devraient arrêter. Moi, je ne me projette pas jusqu’à cet âge-là. Je me projette dans deux mois, pas plus loin, même si je pense déjà au prochain album.
La musique électronique sera toujours présente ? C’est une influence constante pour toi ?
Oval a vraiment été une révolution pour moi. Un rapport au temps dans la musique, et dans le rythme complètement différent et neuf pour moi. Mais Felk était vraiment un bidouillage incroyable, avec un ordinateur que je maîtrisais pas du tout. 33 a un son plus dense, plus touffu, comme d’un bloc. C’est très différent. Et puis je ne vais pas me remettre à chaque fois dans l’état dans lequel j’étais en faisant Felk. C’était proche du suicide quand même…
Tu t’amuses plus aujourd’hui ?
Je ne suis pas là pour m’amuser, mais je prends beaucoup de plaisir. Depuis toujours de toute façon. Quand j’étais petit, je prenais du plaisir à faire de la musique. Le fait que ça sorte en disque aujourd’hui n’a rien changé. Je joue toujours le matin en buvant le café, dans la cuisine, Dylan, les Stones…
Propos recueillis par et
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