Le journaliste Fabrice Pliskin a eu le malheur d’émettre quelques réserves sur le recueil de nouvelles que vient de publier le collectif « Qui fait la France ? » : ni une ni deux, celui-ci réagit sur le Net avec une tribune presque aussi drôle que le « Manifeste » qui ouvre leur livre. Un peu de fraîcheur naïve dans un monde corrompu : lecture commentée du meilleur sketche de la rentrée littéraire.
Peut-on à la fois écrire de mauvais livres, avoir des idées stupides sur la littérature et ne pas supporter la critique ? Le collectif « Qui fait la France ? » prouve que oui en s’élevant de tout son coeur contre une critique négative de Fabrice Pliskin parue dans le Nouvel Obs à propos de leur recueil Chronique d’une société annoncée, ensemble de textes dont Chronic’art dit tout le bien qu’il pense dans son numéro d’octobre (Chronic’art #39, en kiosque le 1er octobre 2007 + chronique en ligne à venir). Dans cette critique qui, pour n’être pas positive, n’était pas exagérément violente non plus, Pliskin avait gentiment ironisé sur la sottise et le langage bureaucratique aberrant du « Manifeste » placé en tête de volume par le collectif, soulignant que ça n’était pas en adoptant les tics de langage bien-pensants des discours politiques qu’on apportait quelque chose à la littérature contemporaine. Autrement dit : même avec les meilleures intentions politiques du monde (amener la littérature à s’intéresser à la réalité des banlieues, la pousser à s’emparer du réel, la faire contribuer à la renaissance du « vivre-ensemble », pour employer un terme dépourvu de sens mais dont ledit « Manifeste » se gargarise), un mauvais texte reste un mauvais texte et, partant, un recueil de mauvais textes reste un recueil de mauvais textes.
Comiques
Tout ceci était bien innocent, et semblait faire partie du fonctionnement normal du jeu littéraire : des livres paraissent, des critiques les lisent, ils émettent des opinions, la vie suit son cours. Sauf que les « Qui fait la France ? » ne sont pas des comiques, qu’ils n’ont aucun sens de l’humour et qu’ils n’ont pas du tout apprécié qu’on ose proférer des réserves à l’égard de leur livre. D’où une réponse de 50 kilomètres sur leur site web, sportivement répercutée par celui de l’Obs. Titre : « En réponse à l’article de M. Fabrice Pliskin consacré à notre ouvrage dans Le Nouvel Observateur de cette semaine ». On sent déjà l’ouverture d’esprit. Incipit : « Toutes les critiques sont acceptables pour autant qu’elles restent dignes et ne visent pas, sous couvert de dérision, à dénigrer, à humilier et en somme à asseoir ou conforter une domination sur celles et ceux qu’elles visent ». Compris ? Ca continue comme suit : « La critique que vient de nous consacrer le Nouvel Observateur (…) n’est même pas une critique littéraire, ou alors ratée. Elle se contente, au prétexte de débusquer les lieux communs, d’ânonner péniblement (en comparant le « Manifeste » pondu par le collectif et les articles et romans de l’excellent Pliskin, le terme « péniblement » prend une certaine saveur, ndlr) quelques lignes sans substance, mortes, vitupérant sans verve et avec des relents pestilentiels (?) contre les sujets de nos nouvelles ». Inversement, on apprécie chez les victimes l’aisance du style, la densité du contenu, la vie, la verve et les relents parfumés de la langue.
Ecrivains, c’est eux qui le disent
La suite : « Cette critique (…) ne vise pas notre littérature, elle vise notre démarche, notre rencontre, nos personnalités, ce que nous représentons, bref, tout ce qui flotte autour de nos textes et nous écarte de ce que nous sommes, qu’on le veuille ou non, c’est-à-dire des écrivains ». Eh bien ! On n’a pas une petite opinion de soi-même, chez les « Qui fait la France ? » ! On n’attend pas que le sentiment général ou la postérité vous désigne comme écrivains, on s’autoproclame tels. C’est plus rapide, et beaucoup plus sûr. Et puis enfin, qui mieux qu’eux-mêmes peut émettre un jugement assuré sur leur propre valeur, qui mieux qu’eux-mêmes peut dire si oui ou non ils méritent d’être appelés « écrivains » ? La suite : « Vous nous direz: un article attaque votre collectif ? La belle affaire! Il faut que l’on s’y fasse. Soit, nous sommes prêts à recevoir les critiques ». (On ne dirait pas). « Mais cette critique-là, celle du Nouvel Obs, n’arase pas notre écriture – elle en parle à peine -, elle nous traite de haut, elle nous considère comme des intrus, elle nie notre présence ». (On n’a pas dû lire la même). « Car si l’on s’était contenté de nous traiter comme des écrivains médiocres, nous aurions été tristes, mais compréhensifs. Puisque l’on refuse même de nous traiter comme des écrivains, puisque certains ne le supportent pas, nous serons implacables ». (Il faudra bien vous y faire, pourtant). Suite, toujours : « Oui, notre collectif parle de diversité. Oui, nous assumons notre diversité et celle de la France. Quel affreux mot, selon eux, que celui de diversité ! Parce qu’il a été maintes fois disqualifié, déformé, usurpé dans l’arène politique, on va donc sur le champ, sans discernement, pourfendre tous ceux qui s’en réclament, tous ceux qui l’utilisent ?
Ce ne sont pas nos mots qui sentent la naphtaline, celle d’Henri Guaino comme le dit l’article, ou, pourquoi ne pas le dire, car sous-entendu, de Nicolas Sarkozy ; ce sont les leurs, ceux d’une élite intellectuelle moribonde, emprunts d’un paternalisme crasse, d’un mépris glouton, d’une peur ridicule d’en voir d’autres qu’eux venir à bride rabattue sur le devant de la scène, celle qu’ils occupent l’esprit serein depuis des décennies, qu’ils serrent dans leurs poings exsangues, pour ne pas la lâcher ».
Droits d’auteur
Résumons : 1) Les « Qui fait la France ? » écrivent comme Henri Guaino. Pliskin le dit, nous approuvons, et eux-mêmes ne le démentent pas. 2) Les mots de « Qui fait la France ? » ne sentent pas la naphtaline. Donc : 3) les mots d’Henri Guaino ne sentent pas la naphtaline. « Qui fait la France ? » serait-il donc une officine dépendant du secrétariat d’Etat de Fadela Amara ? Des sarkozystes cachés ? Des anti-intellectualistes, comme semble l’indiquer cette pique pleine d’esprit contre « l’élite intellectuelle moribonde » qu’incarne le Nouvel Obs ? Allons bon ! On n’aurait donc rien compris à leur livre ? Voyons la suite : « Tant pis si le Nouvel Obs ne parle pas de cette association qui voit le jour en ce moment et qui a vocation, partout en France et pas seulement en banlieue, à soutenir les projets artistiques de jeunes en difficultés, au-delà de leurs origines ou de l’endroit où ils habitent ». Tant pis, en effet. Fabrice Pliskin n’avait semble-t-il l’intention que de parler littérature. Vous êtes des écrivains, non ? C’est vous qui le dites. Souffrez donc qu’on vous parle littérature, et qu’on émette des jugements littéraires. Pour des écrivains, ça doit être dans vos cordes. Suite : « Tant pis s’il ne s’attarde pas sur ces droits d’auteurs que nous ne toucherons pas et qui nous permettront de financer des initiatives culturelles ». Ah ! Excellent. Il est en effet indiqué dans le dossier de presse du livre que les droits d’auteurs seront reversés à l’association, pas perçus par les individus qui la composent et qui ont écrit les nouvelles. Ca, c’est un argument littéraire ! Voilà, au moins, quelque chose qui a sa place dans une chronique littéraire ! Que nous parlez-vous de style, de langue, d’esprit ? Nous vous parlons droits d’auteur, contrats, argent, subventions ! Le voilà, le véritable langage de l’écrivain ! Nous sommes en 2007, Monsieur !
Le retour de la réaction
Suite : « Tant pis si le sens de notre démarche commune lui échappe complètement [à nous aussi, de plus en plus], s’il ne comprend pas que notre collectif n’a pas une seconde vocation à servir notre ambition politique, mais à aider les autres (voilà donc l’objet de la littérature, en 2007 : « aider les autres » – c’est beau, c’est sublime), ceux qui sont restés derrière, cette armada de jeunes talentueux et oubliés qui peuplent nos campagnes et nos banlieues misérables ». La fin du texte est admirable, presque surréaliste : « L’attaque contre notre collectif, et non notre prose, est une attaque politique à laquelle il faut donc répondre de manière politique ». Ah ! Superbe ! Pliskin, mon cher confrère, sachez que c’est par erreur que votre journal vous a attribué le titre de « journaliste littéraire », censé s’occuper de « littérature », et placé sous les ordres du chef du service culturel : en réalité, vous êtes un éditorialiste, le style vous importe peu, la littérature vous est une notion étrangère, vous ne vous occupez que de politique. Concevez donc qu’on vous réponde sans faire de style (vous y êtes habitué, après tout, vous avez lu Chroniques d’une société annoncée), politiquement. « Cela ne nous étonne pas de la part d’un journal qui est désormais – et c’est assez triste de le dire – l’agent d’une Réaction intellectuelle féroce, d’un conservatisme social sinistre ». Sublime ! De plus en plus sublime ! La « Réaction » (avec une majuscule) ! Le « conservatisme » ! (Qu’on nous permette de nous demander, au passage, en quoi un » conservatisme » peut bien être « sinistre », et si c’est bien l’adjectif approprié – mais peu importe). « Nous connaissons ses positions, ses prises de partis, ses analyses. Pour lui, tout ce qui vient des quartiers est forcément néfaste, toute forme artistique, toute revendication politique, toute révolte inspirée par le déclassement est a ses yeux embrumés assimilable à de la haine, du fanatisme, de la violence gratuite, bref, quelque chose à mettre en quarantaine, à éviter comme la peste, à côté de laquelle il faut passer en se bouchant le nez ! ». On entre doucement dans le délire, remarquez-le : paranoïa, imputation à l’adversaire d’opinions fantasmées. Encore deux ou trois paragraphes, et Pliskin sera sataniste. Soyez patients, ça va venir.
Même l’Algérie y passe
Suite, encore (c’est long, on sait) : « Nous sommes pourtant de cette veine-là, hélas pour vous. Nous appartenons à cette France lointaine, celle que beaucoup méprisent sans connaître, celle que l’on répudie sans frôler, celle qu’on insulte facilement, dans les colonnes, parce que, mon dieu, elle effraie tant avec son écume aux lèvres, avec sa rage débordante, son énergie du désespoir et cette effervescence, pas toujours contrôlée c’est vrai, qui la caractérise.
C’est à cette France que nous parlons, que nous nous adressons, pas à la France flétrie de l’intelligentsia parisienne, celle qui officie dans les couloirs mornes et blancs des salles de rédaction. Nous parlons de France diverse, oui, fièrement, parce que c’est celle-ci que nous aimons et qui est éternelle, et non ce parti de la peur, arc-bouté sur ses privilèges et sa noblesse d’âme, que vous incarnez. Quelle tristesse, lorsqu’on y pense, qu’un journal comme le Nouvel Observateur, naguère si courageux, au temps de la guerre d’Algérie, soit aujourd’hui encalminé, rabougri dans le mépris de l’autre, du faible, de l’opprimé ». Résumons, une nouvelle fois : 1) Les Chroniques ne s’adressent pas au Nouvel Observateur, organe de l’intelligentsia rance. 2) Mais les auteurs des Chroniques ressentent tout de même l’impérieux besoin de s’adresser au Nouvel Observateur pour leur rappeler que les Chroniques ne s’adressent pas à lui. Ingénieux.
Et les colonies, aussi
Suite, encore (bis repetita placent) : « L’article qui nous est consacré s’inscrit dans le sillage de cette impotence, et d’un état d’esprit plus général, hélas, qui règne depuis quelques années sur notre pays. L’arsenal de stéréotypes que vous déployez à notre encontre, et avec une joie maligne, est directement hérité d’un paternalisme périmé, instrument de la domination coloniale (de plus en plus fort, ndlr), qui nie nos capacités à penser de façon autonome, qui nous infantilise et, pire, nous chosifie. Nous ne serions ainsi que les agents perturbateurs d‘une époque, la nôtre, qui échappe totalement à tant de ceux qui se targuent de savoir la décrypter. Une nouvelle fois, nous constatons que dès que nous sortons des rôles auxquels une partie des élites françaises souhaitent nous assigner, par exemple faire le clown, être gentil et reconnaissant, jouer le voyou repenti, le « grand frère », qui veut s’en sortir, le méchant épouvantail, le sportif, la beurette victime de l’oppression de ses frères, le beur en colère, bref dès que nous aspirons à penser de façon autonome, nous sommes disqualifiés, séance tenante « . Nous aurions plutôt écrit : » dès que nous aspirons à faire de la littérature, nous sommes disqualifiés », ce qui est plus proche de la vérité. Mais ne perturbons pas le cours de l’exposé, la leçon n’est pas tout à fait finie.
Nique ta race
Suite, donc, et fin : « Manque de chance, nous ne sommes plus dupes de ces mécanismes de domination. Encore un peu et nous aurions été traités de minables communautaristes ! Bien sûr, allez, qu’on le dise, il n’y a presque que des Noirs et des Arabes dans notre collectif, et puis presque pas de femmes, aussi. C’est si louche, tout cela… ». Bof, pas tant que ça. Qu’il n’y ait que de mauvais auteurs, en revanche, ça, c’est statistiquement tout à fait curieux. « Mais regardons donc du côté du Nouvel Obs, mais aussi de tous ces médias de gauche, affirment-ils, qui consacrent des pages et des pages, de si brillante facture, à ces marronniers tellement vendeurs que sont la violence urbaine, le communautarisme, l’islam, l’intégrisme, les banlieues à feu et à sang, les casseurs, le danger de l’autre côté du périph, les sales gosses et les cancres qui ont détruit l’école républicaine, les voyous qui rôdent, partout, qui sont là, en bas de chez nous, attention ma bonne dame, vous risquez de vous faire tuer en sortant de chez vous, en prenant le RER… ! Et là, on se dit que, finalement, de Sarkozy à la gauche caviar, du Figaro au Nouvel Observateur, de Kouchner à Fillon, il n’y a sur l’intégralité de ces sujets-là, pas l’ombre d’une différence, pas l’épaisseur d’un papier à cigarette. Il y a un consensus, un sale consensus qui pèse au-dessus de notre tête comme une chape de plomb…. (remarquons l’audace du rédacteur en matière de ponctuation : quatre points, pas trois. C’est cela, la liberté). Et cela nous encourage, nous réconforte, nous galvanise. Notre légitimité, celle de notre écriture comme celle de notre action, vient de la rue, du bitume, de la chaleur des dalles en été, de la terre de France ; elle ne vient pas des lignes mesquines d’un hebdo en papier glacé. Si notre cher pays est encore aujourd’hui, en face du monde, une cage post-coloniale que l’on veut, de toutes nos forces, ouvrir un peu, c’est en partie à cause d’articles tels que celui que nous consacre le Nouvel Obs. Et si, avec ce livre, nous avons cru bien faire, même si, c’est vrai, on ne fait pas de la littérature avec de bons sentiments (ils doivent raffoler de cette citation !), promis, la prochaine fois, on vous niquera votre race ! » Promesse qui nous fait frémir d’impatience, soyez-en sûrs. En attendant de nous faire niquer notre race grave, on espère de tout cœur que les « Qui fait la France ? » pondront une réaction à chacun des articles négatifs qui seront consacrés à leur recueil, et en particulier à celui de Chronic’art.
La critique de Fabrice Pliskin, c’est ici
Le site de « Qui fait la France ? », c’est là