A l’occasion de la manifestation de soutien au film Baise-moi qui avait lieu mercredi 5 juillet devant le MK2 Odéon, Chronic’art a rencontré les « portes parole » de ceux qui s’insurgent contre la classification X de cette œuvre : Marin Karmitz, exploitant des salles MK2, et la cinéaste Catherine Breillat.Chronic’art : Allez-vous être obligé de retirer le film de l’affiche ?
Marin Karmitz : Je n’y suis absolument pas obligé ; personne ne m’a obligé à rien du tout et je n’ai pas l’habitude d’accepter quelque obligation que ce soit si ce n’est celles que je m’impose. Donc, en l’occurrence, je ne suis pas obligé de retirer le film. On le fait parce que Madame Tasca, Ministre de la Culture, a fait des déclarations ce matin pour annoncer qu’elle allait amener des aménagements à la loi qui permettent que cette situation ne se reproduise pas, à savoir qu’un film soit détruit par un « ixage » et que donc il ne puisse plus être vu. Elle a pour projet de ramener cette loi à une interdiction aux moins de 18 ans, ce qui permettrait de sortir de cette situation détestable.
Mais pour Baise-moi en particulier, que va-t-il se passer à présent ?
Pour ce film, le producteur, qui a pris bonne note des déclarations de Madame Tasca, attend que ce décret soit passé et va donc représenter son film à la Commission de Contrôle. Celui-ci aura à nouveau son visa de censure et nous pourrons le ressortir.
Et il sera donc interdit aux moins de 18 ans.
Exactement, ce que j’avais déjà fait de mon propre chef puisque j’avais mis une grande pancarte « Interdit aux moins de 18 ans » à l’entrée des salles, ce qui me semble normal étant donné que la majorité est actuellement à 18 ans.
Est-ce Madame Tasca qui vous l’a expressément demandé ?
Non. Nous avons pris note du fait qu’elle allait changer la loi. Donc, il est évident qu’à partir du moment où on demande des changements de loi, on soit aussi amené à la respecter. Dans ce contexte-là, je ne vais pas demander d’un côté qu’on change la loi et de l’autre, dire qu’elle n’existe pas, c’est absurde ! Le producteur est dans la même situation que moi.
C’est donc une décision que vous avez prise aujourd’hui, mercredi 5 juillet 2000, à 14 h?
Oui, en commun accord avec le producteur et les auteurs, dans le cadre d’une réflexion sur la meilleure situation possible pour le film. On s’est interrogé sur ce qu’il fallait faire pour qu’il existe et surtout comment faire pour qu’ensuite, il n’y ait pas d’épée de Damoclès qui règne sur la tête de tous les créateurs. Faire en sorte d’éviter le recours d’une association d’extrême droite devant le Conseil d’Etat.
Quand reverra-t-on Baise-moi dans les salles, à votre avis ?
A la rentrée, j’espère. Le plus rapidement possible !
Qu’est- ce que cette décision du Conseil d’Etat vous révèle à vous, producteur et homme de cinéma sur l’état actuel du pays ? Réactive-t-elle ou cautionne-t-elle une situation dont on se doutait ?
Ca fait déjà un long moment que l’on voit l’extrême droite s’attaquer à la culture. On l’a vu à Châteauvallon, à Toulon, à Orange ; c’est pas nouveau. On voit bien que le premier objectif de l’extrême droite, c’est de commencer par s’attaquer à la culture. Il faut savoir que ces gens sont là, présents. C’est un combat permanent pour défendre la liberté d’expression et la démocratie contre la barbarie.
Tout à l’heure Catherine Breillat, invectivée par un spectateur qui n’appréciait visiblement pas le film, a prononcé cette phrase: « Le film n’a rien à voir avec la mobilisation d’aujourd’hui. » Que pensez-vous du film et dissociez-vous également les deux faits ?
Je me refuse absolument à rentrer dans ce débat. Je n’ai pas vu le film et le problème pour moi n’est pas là. Il s’agit du problème de la défense de la liberté d’expression et ça s’arrête là ! Et à partir du moment où effectivement on interdit, que ce soit un film, un livre, une œuvre etc., on met la démocratie en danger et il faut se battre.
Avez-vous déjà eu à faire un tel geste dans votre carrière de programmateur de films ?
Ecoutez, j’ai fait tellement de gestes que je ne sais plus. Toujours est-il que ça fait très longtemps que je mène un réel combat pour les valeurs démocratiques, soit en produisant certains films, comme la trilogie Bleu, Blanc, Rouge (liberté, égalité, fraternité) de Kiezlowski, soit en en distribuant ou programmant d’autres. il s’agit de montrer à chaque fois la nécessité de préserver ces valeurs. Si j’ai choisi de faire du cinéma, c’est parce que je pense qu’il doit être porteur de contenu. Mais quel contenu ? Moi, j’ai choisi mon camps, celui de la démocratie et de l’humanisme; d’autres ont fait le choix de la barbarie et du fascisme.
Propos recueillis par et
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