Les discours féministes des hommes sont-ils condamnés à verser dans une imagerie romantique de la femme ? La rêver tendre et maternelle, c’est la figer dans un rôle affectif et finalement la maintenir au service de l’homme.
Est-ce un signe des temps ? Les deux livres qui caracolent en tête des ventes en cette rentrée sont deux réflexions, l’une romancée, l’autre théorique, sur le rapport de l’homme à la femme. Et toutes deux achoppent sur une conclusion qui ressemble à une chansonnette, à savoir que la femme est l’avenir de l’homme.
L’essai de Pierre Bourdieu, La domination masculine, et le roman de Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, décrivent un monde d’oppression, de violence, de misère sexuelle, un monde dominé par une bête barbare et aux cortex peu développé : le mâle. Principal chef d’accusation : « Le pouvoir de séparation », ce qui veut dire pour les profanes que le primate velu a créé un monde qui repose sur la division, ou, version plus directe, et maintes fois entendue côté féminin : « Les mecs mettent tout dans des cases. » Cette division, en créant un monde d’oppositions symboliques entre tout ce qui est de l’ordre du fort, c’est-à-dire du masculin, et tout ce qui est de l’ordre du faible, i.e. du féminin, se traduirait dans les différences décrétées entre l’homme et la femme, différences qui engendreraient immanquablement le conflit.
Admettons. Mais quelle est la solution que proposent Bourdieu et Houellebecq ? C’est simple : noyer le monde dans un flot de tendresse féminine, car rien ne vaut la douceur femelle, etc. D’abord, on a envie d’applaudir, surtout quand cette tendresse féminine qui nous tombe soudain dessus est comme chez Houellebecq si érotique (ce qui n’est que sous-entendu chez Bourdieu, respectabilité oblige). Tout hétérosexuel mâle a un jour ou l’autre rêvé d’un monde gouverné par de tendres femmes qui exciteraient amoureusement nos sens, par pure générosité. Passé le moment du fantasme, on se dit qu’il y a subterfuge, qu’il suffit de fréquenter un peu les femmes (ce que nos auteurs doivent tout de même faire…) pour oublier le mythe de leur tendresse universelle, qui est en réalité une vision tout à fait machiste. Certes les femmes sont souvent dominées et opprimées dans le monde, mais leur gentillesse, et l’amour pur dont vous rêvez, MM. Bourdieu et Houellebecq ne seraient-ils pas, au pire, une stratégie de dominé, au mieux, quelque chose de simplement… humain ?
Je suis de ceux qui soutiennent l’égalité des sexes, au sens ou Robert Musil parlait de camaraderie sexuelle (c’est-à-dire à un point où « masculinité » et « féminité » sont également partagées par l’homme et la femme). Prêter au femmes des vertus divines est leur ajouter un fardeau supplémentaire.
Luis de Miranda a écrit deux romans :
Joie (Éditions Le Temps des Cerises, 1997),
et à paraître en octobre, La Mémoire de Ruben(Éditions Gammapress, 1998)
Pierre Bourdieu
La Domination masculine(Grasset)
Michel Houellebecq
Les Particules élémentaires(Flammarion)