Bonne nouvelle : Olivier Rolin n’a pas le Goncourt. Mauvaise nouvelle : du coup, il va à Pascal Quignard. Le Renaudot, lui, récompense Gérard de Cortanze. On est cernés !
On s’attendait tellement à ce qu’Olivier Rolin et son Tigre en papier paradent ce lundi au premier étage du Café de Flore entre un bataillon de photographes et une nuée de journalistes frétillants qu’on prendrait presque la consécration de Pascal Quignard pour un soulagement. Las : en attribuant, après trois tours et à une nette majorité (6 voix contre 2 à Rolin et 2 à Cortanze), la plus rémunératrice des sucettes d’automne aux Ombres errantes, premier volume de ce qui n’est pour l’heure qu’une trilogie (Dernier royaume) mais qui promet d’être étendu ad nauseam, Edmonde Charles-Roux et ses collègues n’ont pas exactement consacré cette « littérature indépendante, non académique, non conformiste, non mondaine, non commerciale », cette littérature justement « indifférente aux consécrations littéraires et aux succès » dont parlait André Billy en résumant la pensée d’Edmond de Goncourt. Non académique, Pascal Q. ? No comment. Non conformiste ? Même remarque, encore qu’on ait du trouver délicieusement avant-gardistes les fragments sentencieux et érudits de son livre du côté de chez Drouant. Les dépêches à son sujet bruissent de mots incongrus : « originalité », « exigence », « inclassable », « difficulté d’accès ». Encore quelques uns comme ça et on invoquera Guyotat pour caractériser son minimalisme kitsch et ses petites envolées philosophantes sur la vie, le temps, l’amour, la mort, tout ça. Pour le reste : indifférent aux consécrations littéraires, l’auteur de Tous les matins du monde ? Les mots font presque sourire. Les prix, ça se gagne à la quantité. On progresse dans le cercle des écrivains qui comptent comme on est promu dans l’administration d’Etat : à l’ancienneté, au nombre de postes occupés, de relations bien choisies. Le Goncourt est aux carrières littéraires ce que les Palmes Académiques sont à la fonction publique : pondez tant que vous le pourrez, vos oeufs finiront bien par arriver dans les cuisines de chez Drouant. Voici deux ans, les Immortels avaient attribué leur prix et le chèque de 100 000 francs qui allait avec à Terrasse à Rome, du même Quignard (chez Gallimard, à l’époque). Depuis, il a eu la bonne idée de transférer sa boutique Rue des Saints-Pères et d’aller se domicilier chez Grasset : l’éditeur n’avait pas eu le Prix suprême depuis 1997. Triple bonne affaire, au demeurant, puisque Les Ombres errantes sont donc le premier volume d’une trilogie (les deux suivants s’intitulent Sur le Jadis et Abîmes) qu’il faudra sans doute se mettre à plusieurs pour offrir à sa grand-mère à Noël. Bien joué.
Quelques mètres plus loin, comme tous les ans depuis 1925, on décernait le prix Renaudot. Gérard de Cortanze n’avait pas ménagé ses efforts pour être de la partie cette année : il a eu raison, non sans mal cependant. Il aura fallu cinq tours au jury présidé par l’ex feuilletonniste du Figaro Littéraire, André Brincourt, pour couronner l’un des actuels chroniqueurs du Figaro Littéraire (également en poste au Magazine Littéraire) et son Assam (Albin Michel), lequel « raconte sur le mode du roman historique un voyage initiatique. Il est basé sur l’histoire vraie d’Aventino Di Cortanze, aristocrate rebelle, ancêtre du narrateur, qui part en Inde à la recherche d’une hypothétique pousse de thé » (dixit l’AFP). Beau prix de consolation : le Goncourt, ce sera pour la prochaine fois. Au théâtre de la comédie littéraire, le facteur repasse toujours deux fois. Au moins.
Le Renaudot de l’Essai récompense Claude-Michel Cluny pour Le Silence de Delphes (La Différence). Le Flore a été décerné la semaine dernière à Grégoire Bouiller (Rapport sur moi, Allia), le Grand Prix de l’Académie française à Marie Ferranti (La Princesse de Mantoue, Gallimard).
Rebelote la semaine prochaine avec le Médicis, le Femina puis, enfin, le Prix Décembre…