Premier album de Trevor Jackson, le boss heureux du label anglais Output, « Playgroup » oscille entre revivalisme funk et futurisme electro, pour une musique dansante mais pas trop. Interview de l’instigateur penché sur son crumble framboise, dans un resto du Marais.
Trevor Jackson a la gueule des mauvais jours. Pas rasé et l’oeil noir, il répond aux questions en deux mots secs et froids, l’air désespéré devant l’incompétence des journalistes qui l’interrogent : « Tu lis les interviews dans les journaux toi ? Moi jamais. D’abord, c’est toujours mal écrit, et ensuite je me fous de savoir ce que pensent les artistes. Ecouter leurs disques me suffit ». Un peu embêté parce qu’on a oublié de mettre des piles dans le minidisc, on essaye de saisir au vol le débit rapide et agacé de cet anglais d’une trentaine d’années, plus connu sous le nom de Underdog, remixeur chevronné et recherché des années 90, aujourd’hui maître d’oeuvre du groupe-concept Playgroup, de la vraie musique faite par des vrais gens. « J’ai essayé d’oublier tout ce que j’avais pu produire par le passé. Mon expérience en tant que remixeur ne m’a servie à rien, puisque j’ai travaillé ici d’une manière complètement différente, plus live, avec des musiciens et des chanteurs. »
No Dancing
On se dit quand même qu’un tel passé de DJ a dû un peu peser dans la balance, ne serait-ce que pour donner la petite touche groovy-clubbing à un album assez dansant, non ? « Tu as écouté mes remixes sous Underdog ? Ce n’était pas vraiment dansant. Et je n’ai pas voulu faire un album dansant avec Playgroup. Ce n’est pas un disque de club. C’est de la pop, de la pop funky peut-être, mais pas de la house pour les clubs ». On est désolé d’être aussi médiocre et qu’il soit si mal embouché, et on essaye de se rattraper en risquant une hypothèse : justement, le morceau n°6 intitulé Too much, qui est un vrai morceau de house-music classique, n’est-il pas par hasard un morceau ironique sur la musique de club ? Comme s’il y avait de trop, too much, de ce genre de musique aujourd’hui ? Trevor se détend : « Je suis content que tu ai saisi. Il y aura au moins une personne qui aura compris ça. Effectivement, trop de house et trop de coke…, la chanson parle de ça. Ceci dit, on l’a fait à partir d’un sample de Scritti Politi que j’aime bien, quand même ».
La ligne de basse du parti
Puisque ça va mieux, on s’essaye à évoquer les influences de ce disque. Trevor Jackson porte un tee-shirt sur lequel est écrit : « The past sucks ». On lui demande si c’est d’emblée la réponse qu’il donne ainsi aux questions sur le côté rétro de son album. « Oui, j’ai mis ce tee-shirt aujourd’hui pour les journalistes, parce que je savais qu’ils allaient m’interroger sur mon rapport au passé. Alors que je pense que Playgroup ne peut pas être rattaché à une époque, ou à une mode, ou à un genre musical ». Pourtant les influences sont sensibles : de l’electro de Jonzun Crew ou Afrika Bambataa (Pressure) au hip-hop old school (Front 2 back), en passant par le funk, oscillant des Jackson 5 (Number one) à Prince (Fatal ou Hideaway). « Mais ce n’est pas un album rétro pour autant. S’il a un côté funk, il est avant tout pop. Comme du Robert Palmer upbeat, avec une touche d’ironie… » Tout l’album est parcouru de lignes de basses profondes, à la ESG. C’est un groupe qu’il apprécie ? « Oui, mais il n’y a pas que ESG. J’aime les basses de Jah Wobble, de Pil, du dub en général. C’est vrai que je préfère ces basses électriques, qui ont un son chaud et profond, aux basses synthétiques de l’electro d’aujourd’hui. La musique y a beaucoup perdu de son aspect primitif ». On pense alors à la chanson n°5, Medicine man. Cette chanson pourrait résumer le concept Playgroup : un mélange de primitivisme (avec sa basse dub et la litanie mystique du medicine man, le chaman) et de modernité (l’usage des nouvelles technologies, une production sophistiquée). Est-il d’accord ? « Oui ». On n’en demandait pas tant.
Le groupe Playgroup
Playgroup ressemble un peu à un collectif. « Même si j’ai mis Output entre parenthèse ces derniers temps, cet album a été une manière pour moi de prolonger mon travail de label-manager, de mettre en musique certaines connexions entre des gens, des idées. Je n’aurais pas pu le faire tout seul. La présence de featurings était nécessaire au projet. Car c’est un album sur la communication, les relations humaines. C’est un party live record ». A ce propos, on demande à Trevor comment il a rencontré Peaches & Gonzales, le duo de super vilains berlinois. « Peaches m’avait envoyé la démo de son album et j’aurais bien aimé le sortir, mais elle avait déjà trouvé un label. On s’est rencontré à New York avec Gonzales et ils ont accepté de participer à l’album. J’aime beaucoup ce qu’ils font. Le morceau sur lequel ils jouent est basé sur un sample de la B.O. de « Liquid Sky », un film de Slavd Tsuherman que j’adore ». L’ambiance s’est détendue à mesure que le crumble disparaissait dans la bouche de Trevor Jackson, et on a encore un peu parlé de B.O. de films, de Goblin, ce groupe de prog-easy italien, ou de John Carpenter, dont Trevor trouve les B.O. un peu cheap. On s’est quitté en bons termes.