La célèbre artiste-vidéaste expose en images acidulées son univers sensuel. De la musique + de la vidéo – la soupe MTV. Eteignez le poste et allez voir.
Un nom qui claque sous la langue, mi-clownesque mi-enfantin (pipi ? lolo ?), une fille aux cheveux roses, habillée le jour de son vernissage en rouge vermillon (genre petit chaperon en quête de loup), un visage de femme-enfant, grands yeux ronds bleu-vert, concentré d’enfantillage et de vivacité. Telle se présente Pipilotti Rist, pop-star acidulée de la vidéo, en transit à Paris le temps de Remake of the week-end, installation-maison au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. La demoiselle s’était fait connaître en France en 1986 avec une vidéo où on la voyait hurler du John Lennon les seins à l’air. « I’am not the girl who misses much », affirmait-elle alors. Rectifions. Les occasions de l’oublier ne furent pas si nombreuses vu le succès rapide obtenu par cette punkette Suissesse. Au pays du chocolat, Pipilotti déplace des foules de rock star à chacune de ses expositions. Elle fut, d’ailleurs, nommée grand orchestrateur des manifestations artistiques destinées à célébrer là-bas le passage de millénaire avant, finalement, de rendre la main. Dommage.
Comment définir le travail de Pipilotti ? Il faudrait imaginer un Naim Junk Paik, figure fondatrice de la vidéo dite d’art, sexy et sous acide… Rapprochement facile, histoire de signifier que la demoiselle ne sort pas de nulle part. Donc, depuis plus de dix ans, et après avoir touché au design, à la musique (elle fut membre du groupe Les Reines Prochaines, drôlerie faussement féministe), Pipilotti fait de la vidéo -et accessoirement de la sculpture, de la musique, de la mise en scène…
De la vidéo pop, puisqu’elle utilise et détourne l’esthétique populaire, celle de la télévision et des clips MTV. Des œuvres fatalement séduisantes, car sensuelles et bourrées de couleurs flashs, qui s’offrent comme une exploration imaginaire et sans tabou du corps féminin, en l’occurrence celui de Pipilotti… Le corps et ses potentialités sensuelles, l’enfance, l’émergence de l’étrange dans le réel, les espaces rêvés, sont ses thèmes de prédilection. A vérifier et éprouver -jouissance sensorielle garantie- en parcourant son installation parisienne, puisque l’artiste n’envisage pas la vidéo autrement que mise en espace et accompagnée de musique.
Pour Remake of the week-end, Pipilotti transporte son imaginaire dans un espace proposé, tel l’appartement d’une invisible propriétaire au nom littéraire de Himalaya Goldstein. Donc, la dame en question n’est pas là, mais nous, visiteur-voyeur, pouvons parcourir physiquement son intérieur, cuisine grand salon fourre-tout, jardin… et y découvrir ce qu’on y découvre habituellement : l’intimité, grâce à une quinzaine de vidéos ; l’une proposée grand écran sur les éléments muraux d’une cuisine aménagée, d’autres plus intimes, projetées sur quelques livres, sur un verre, sur le flanc d’un canapé. Les dispositifs sont si ingénieux, qu’on ne voit pas les moniteurs, et qu’on reçoit ces images comme par magie. Dans le jardin, représenté par un monticule de sable et sous une tente de nomade, on peut voir « Espace de sang » (Blutraum), vidéo organique faite d’éclats de chair, de filets de sang, morceaux décomposés d’une femme nue dont le sang coule entre les jambes. Plus loin, sur les murs d’une cuisine, s’inscrit une grande « femme de pluie » (I Am called a plant), parcours d’un corps féminin, qu’on suit comme on suivrait un fleuve, tout en écoutant des bruits d’eau. Totalement hypnotique. Comme l’est également la dernière installation de ce parcours, qu’on imagine être la chambre. En face à face, deux murs noirs impriment des images en mouvement, qu’on dirait fantasmées. Un sein tout rond qui tourne sur lui-même, une bouche rouge-sang qui s’ouvre sur une langue-mollusque, une grosse oreille, un pied, un sexe d’homme… Autant de morceaux de corps comme égarés dans un néant cosmique et interpellés par la voix de Pipilotti, qui clame en écho : « tu es une molécule », « tu es du pollen », « tu es different from me »… Autant vous dire que le trip ne laisse pas indifférent.
Au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris
11, avenue du Président Wilson – Paris 16e
Tél. 01 53 67 40 00
Du 22 avril au 19 septembre 1999