Directeur du théâtre de la Tempête, où deux de ses mises en scène sont actuellement à l’affiche, Philippe Adrien investi aussi, depuis trois ans, le très institutionnel théâtre du Vieux-Colombier. Sa foisonnante actualité nous permet de nous arrêter un moment sur cet homme, à la fois artisan et jardinier traversé par le théâtre intello et fantaisiste, qui sait si généreusement nous donner de bonnes nouvelles des auteurs.
Chronic’art : Votre biographie de metteur en scène commence en 1980. Elle mentionne aussi que vous êtes auteur depuis 1965 ; mais avant cela ?
Philippe Adrien : Avant, il y a le Vieux-Colombier. J’ai déjà présenté trois spectacles dans ce théâtre et mon quatrième, qui sera une mise en scène du texte de Véronique Olmi, Point à la ligne, m’y ramène à nouveau. Quand je me retrouve dans la salle de répétitions, je me souviens que j’ai été élève, là, à la fin des années 50, avec pour professeur un monsieur qui s’appelle Claude Mathieu.
L’actualité est multiple pour vous : la Tempête, le Vieux-Colombier, la Comédie-Française…
Oui, il y a dans l’une des deux salles de la Tempête la reprise de L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer de Copi et dans l’autre, la pièce écrite de Roger Vitrac, Victor ou les enfants au pouvoir. Dans le courant du mois de novembre, je présenterai Point à la ligne et, presque dans le même temps, il y aura la reprise de Arcadia dans la Salle Richelieu. Une reprise qui se fera sans Micha Lescot, puisqu’il jouera encore Victor…, et qu’il répétera Casimir et Caroline, mis en scène par Jacques Nichet… Ce qui pose un problème qui n’est pas encore totalement résolu.
Comment aborde-t-on Victor…, quand on sait que Antonin Artaud et Roger Planchon s’y sont déjà essayés?
C’est drôle parce que hier Planchon, qui avait en effet monté cette pièce en 1954, est venu voir la représentation. Il m’a dit qu’il trouvait cela bien ; c’était à l’entracte… Après, je ne l’ai pas revu.
J’ai le sentiment que Victor ou les enfants au pouvoir est étroitement lié au fait que j’ai fait du théâtre. Un jour, on m’a parlé de cette pièce et je l’ai lue. Ceux qui m’en avaient parlé n’étaient d’ailleurs pas des bourgeois. Je suis né dans un milieu bourgeois, petit bourgeois peut-être ; mais j’avais des amis qui habitaient une grande maison à Montmartre. Ils étaient toute une famille, remplie d’oncles, de tantes, d’enfants…Tous étaient artistes. Il y avait deux pièces dont ils parlaient : Ubu et Victor… : deux bombes lancées à la fin du siècle dernier et début de celui-ci par ceux qui allaient faire pousser cette dimension un peu folle, fantaisiste, absurde dans le théâtre du XXe siècle. C’est resté pour moi une espèce de point de repère vers lequel je savais qu’un jour ou l’autre j’allais revenir.
Quand on voit Victor ou les enfants au pouvoir, on peut décèle beaucoup de références cinématographiques, qui vont de Murnau à Léo McCarey, et on ne peut s’empêcher de se demander quand vous allez passer au cinéma ?
On peut aussi penser à Méliès. Mais vous savez je fais très peu de références dans mes spectacles. Certains journalistes me taxent justement de me livrer à ce genre de sport. Ce n’est pas du tout mon état d’esprit. Je cherche avant tout à conduire le récit. De temps en temps, je dis : « Tiens, on pourrait faire comme… », mais c’est pas mon truc… Quant au long métrage, j’y pense depuis très longtemps. J’ai trimballé un scénario pendant au moins 4 ou 5 ans ; je crois que tout Paris l’a lu. On m’en disait plutôt du bien, et puis rien… C’est de plus en plus difficile pour moi d’avoir quelque espoir dans ce domaine. Je travaille tellement au théâtre que je n’ai guère le temps de m’occuper d’autre chose. Je crois que pour faire un film, surtout un premier film, il faut être prêt à y risquer sa vie et éventuellement à passer des années pour parvenir à le mener à terme. Moi, j’ai essayé de réaliser un film, mais de façon annexe. C’est dommage parce que j’avais le goût à le faire. Lorsque je sors de répétitions, il m’arrive très souvent de prendre ma voiture, je regarde le ciel et je me dis : « Oh zut ! c’est dommage de ne pas pouvoir faire ça dehors ». Pouvoir faire tout ce que je fais à ciel ouvert serait pour moi un bonheur immense. Ceci dit, j’ai de grandes joies dans mes salles obscures !
Certains metteurs en scène sont inspirés par des peintres, vous c’est plutôt le cinéma…
Oui. Pourtant il y a un peintre dans Victor…, c’est Paul Delvaux. Mes références picturales sont peu nombreuses, mais j’ai souvent pensé à Delvaux qui est un peintre très théâtral, si l’on peut dire. Une sorte de surréalisme doux, quoi ! Et j’ai l’impression que pour Victor…, c’était la tonalité qu’il fallait obtenir. Ne pas trop mettre à mal par la mise en scène, par l’esthétique, par l’univers dans lequel ça se passe… Cependant, le spectacle bénéficie de ce léger décalage, qui fait que, bien qu’on soit dans cette famille bourgeoise, le soir de l’anniversaire du jeune Victor, on est un peu ailleurs.
Dans un salon bourgeois, dans un décor de conte fantastique…
Le décor est de Gérard Didier qui est aussi le décorateur de L’Homosexuel…En effet, quand on lit la pièce, on se dit que c’est un salon bourgeois et basta ! Gérard Didier supportait mal l’idée de reproduire cette esthétique du Boulevard, mais moi, je tenais à ce qu’il y ait au moins les fauteuils Louis XV ; alors on a parlé d’Adèle Blancsec, et puis le nom de Delvaux est arrivé…
On avait envie d’explosion végétale, ce qui a donné l’événement final, même si on ne voit pas tout à fait que Godzilla est vêtu de feuillage. Je voulais mettre Victor… dans le genre de végétation qui entoure mon jardin. J’habite en banlieue et j’ai des thuyas qu’il faut tondre, surtout en cette saison, car c’est une engeance pas possible !… Puisque dans la pièce il est question de jardin, je me suis dis qu’il fallait l’inscrire dans ce qui, de nos jours, entoure une maison bourgeoise. L’insolite de la chose tenant au fait qu’on est dans un salon, mais aussi dans un jardin auquel personne ne prête attention : on entre et sort de là comme si on passait des portes ! (…)
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