Le 21 novembre dernier, le défunt label New Rose célébrait ses vingt ans avec quelques-uns de ses artistes fétiches à l’Elysée Montmartre : Chris Baley et The Saints, Brian James, Alex Chilton, Calvin Russel et Elliot Murphy. Dans un Paris phagocyté par la musique électronique et ses performances sans saveur, la New Rose Party présentait des artistes « historiques » incroyablement vivants, dont les musiques ont marqué les riches heures du rock’n’roll des années 70 et 80. Retour sur cette aventure unique avec Patrick Mathé, un des co-fondateurs du label.
Chronic’art : Vous avez signé beaucoup de légendes : Alex Chilton, Johnny Thunders, Roky Erikson, Bo Diddley…
Patrick Mathé : Je suis comme tous les fans, j’aime bien travailler avec mes idoles. Entre la réputation que donnent les magazines spécialisés et la réalité, il y a souvent une grande différence. Alex Chilton, on me l’avait présenté comme quelqu’un de très fantasque, menant une vie complètement dingue. Moi, j’ai découvert le mec le plus zen que j’ai rencontré dans ma vie. Pour les Cramps c’est pareil : ils sont fous sur scène, c’est vrai, mais dans la vie il n’y a pas plus charmants. On se fait beaucoup de cinéma là-dessus, ce sont des gens comme les autres. Mais mon but n’était pas la recherche forcenée des légendes. Il se trouve que nos chemins se sont croisés.
Comment les avez-vous rencontrées ?
C’est une histoire différente avec chaque artiste. Alex Chilton, je le cherchais depuis très longtemps. Dès la sortie de Like flies on sherbert, je rêvais de travailler avec lui. Ca m’a pris un certain nombre d’années avant de le rencontrer. Je lui avais fait parvenir des messages par l’intermédiaire d’amis musiciens en relation avec lui. Notamment un guitariste de Gun Club qui avait joué dans Panther burns. Jamais il ne s’était manifesté, jusqu’au jour où Youri Lenquette, le photographe-journaliste, s’est trouvé dans le même appartement qu’Alex à New York. Youri savait que je voulais à tout pris le rencontrer et il a réussi à le convaincre de m’appeler. Roky Erickson (ex-13th Floor Elevator), je l’ai connu grâce à un ami, Speedy Sparks, ancien bassiste de Sir Douglas Quintet. Il m’a fait découvrir toute la scène d’Austin. Quand on a un réseau d’amis, de contacts à droite à gauche dans le monde, tout finit par arriver. Très souvent, ça arrive naturellement, sans qu’on le cherche.
Quelle est la rencontre la plus mémorable ?
Il y en a deux mémorables. L’une avec Chris Baley, parce que c’est avec lui que tout à commencé. Je me suis pointé avec ma bouteille de Ricard, il vivait dans un appartement pas terrible. Dès la première soirée, on a parlé toute la nuit et le lendemain matin, on a décidé de sortir un disque des Saints. Le premier disque du label New Rose en 1980. Avec Calvin aussi, c’était une rencontre fantastique. En 1989, alors que j’allais régulièrement à Austin depuis cinq ou six ans, j’écumais les clubs, mais jamais je n’avais entendu parler de lui. Un jour, Speedy Sparks m’invite à l’anniversaire d’un musicien local dans la banlieue d’Austin. Tout le monde s’est mis à bœufé dans le jardin et à un moment donné, Calvin s’est pointé. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il a chanté deux chansons dans l’indifférence générale. Comme sa gueule m’avait interpellé, je suis resté et il y a eu un déclic. Ce qu’il faisait ressemblait à tout sauf à la musique d’Austin. Je suis allé le voir après qu’il avait chanté ses deux chansons. Il m’a filé une cassette de ses enregistrements, sans y croire car il s’était fait jeter de partout. C’était la bande de Crack in time, le premier album. Le lendemain matin, j’ai écouté le morceau dans l’avion, et dès mon retour à Paris, je l’ai rappelé. Dix ans après, notre collaboration continue… J’ai toujours veillé à signer des gens avec qui je savais que je m’entendrais bien et pendant longtemps. Et je me suis rarement trompé. Les gens qui étaient là le 21 novembre sont des artistes avec qui je travaille depuis dix-vingt ans.
L’anthologie New Rose story donne envie de redécouvrir le rock des années 80. Un genre un peu oublié depuis la vague électronique et hip-hop.
Le rock, ça fait plus de quarante ans que ça dure. Il y a des années où on est à la mode, d’autres où on est considéré comme has-been. Il suffit de tenir le cap. En France, on a beaucoup enterré le rock mais c’est resté quand même pas si mal (rires). J’en ai toujours été convaincu, mais un certain nombre de gourous et de médias branchés ont décrété que le rock était mort. Il a encore de belles années devant lui à mon avis. Si j’ai sorti cette anthologie, ce n’est pas uniquement par nostalgie, c’est aussi parce qu’il y a des choses très actuelles là-dedans. Il y a plein d’artistes très actifs aujourd’hui. Que ce coffret ait débouché sur la soirée de l’Elysée Montmartre, c’est peut-être le côté le plus excitant. Je suis en train de parler avec Brian James d’un nouvel album. Un live de la soirée New Rose party sortira également en 2001.
Des regrets de ne pas avoir signé d’artistes électroniques ?
Franchement, aucun, car la plupart des choses que j’entends ne m’attire pas. S’il n’y a pas de mélodie dans une musique, ça ne m’intéresse pas. Je conçois que l’on puisse s’éclater sur de la techno si on est dans l’état approprié. Moi, ça me laisse complètement froid. Krafwerk, Devo, les Residents, là il y avait vraiment de la création, du talent. Aujourd’hui, un mec s’amuse avec son petit matériel chez lui et fait un disque pour 2 000 F. Il se trouve que le public et les médias ont accroché. Tant mieux pour eux, mais qu’est-ce qu’il en reste à l’arrivée ? Pas grand-chose à mon avis. Quand on fera le best-of de la techno dans vingt ans, on aura du mal à remplir un disque. Seule la musique populaire m’intéresse. La musique élitiste, franchement, quand ça touche trois arrondissements de Paris, je ne vois pas l’intérêt.
Pourquoi avoir d’abord monté un magasin de disques avant de créer le label ?
Démarrer un label quand on n’a pas beaucoup d’argent et qu’on n’a pas de catalogue, c’est compliqué. Il faut être riche, très patient et avoir le goût du risque pour en vivre. Un magasin permet de faire bouillir la marmite au jour le jour. Quand le magasin s’intéresse à des styles et des créneaux où il se passe des choses, ce qui a été le cas à partir de 77 pour le punk et la new-wave, c’est une source d’informations exceptionnelle. Un laboratoire, un lieu de rencontres, un instrument de promotion. Je n’ai rien inventé, je suis allé à Londres, j’ai vu comment ça se passait chez Rough Trade, Beggars Banquet, tout un tas de magasins-labels comme ça. J’ai trouvé que l’idée était géniale. En France, l’Open Market a fermé la semaine où on a ouvert New Rose. En quelque sorte, on a pris le relais.
Les groupes français sont les grands absents de la soirée anniversaire du coffret New Rose story. Pourquoi ?
C’est un parti pris. Déjà, presque tous les groupes français ont disparu : Les Soucoupes Violentes… La Souris Déglinguée, je ne sais pas s’ils existent encore d’ailleurs. Pratiquement tous ont stopper leur carrière, je n’allais pas les faire remonter sur scène pour la circonstance. S’agissant du coffret, c’est vrai, je me suis posé la question. Intercaler Charles de Goal entre les Troggs et les Cramps (soupir), ça fait bizarre, un peu fourre-tout. Je voulais quelque chose d’un peu cohérent à l’oreille, et honnêtement je trouve que la plupart de nos groupes français n’avaient pas leur place dans l’anthologie. Et puis sans vouloir vexer qui que ce soit, je trouve qu’il y en a beaucoup dont la musique a mal vieilli. J’ai aussi songé à faire un disque séparé de groupes ou d’artistes français. Même si chacun a de bonnes chansons dans son répertoire, le résultat final ne tient pas la route. Sinon, il y a quand même deux groupes français sur le coffret : Les Lolitas, mon groupe favori chez New Rose, et mon pote Dick Rivers. Le titre des Lolitas a été enregistré à Memphis avec Alex Chilton, ça ne sonnait pas trop franchouillard… Quant à Dick Rivers, je le place hors catégorie.
Euh… Dick Rivers ?
Je sais, à l’époque, on s’était fait quasiment insulté par les intégristes du rock’n’roll. J’étais fan de Dick Rivers quand j’avais 13 ans. Quand je suis fan, je le reste longtemps J’ai rencontré Dick Rivers en 1991, on a sympathisé, c’est devenu un de mes meilleurs amis. Je n’allais pas demander l’autorisation de mettre Dick Rivers sur mon label, donc je l’ai fait (rires).
Pourquoi avoir revendu le label New Rose à la Fnac ?
Le tournant des années 90 a été extrêmement dur pour tous les indépendants en France. Il y a eu la récession, la guerre du Golfe, les magasins qui se sont cassés la gueule, la mort des petites radios libres au profit des gros réseaux Il y a eu tout un tas de mutations qui allaient dans le mauvais sens, qui ont été assez catastrophiques pour nous. En un an, la moitié des labels que je distribuais se sont cassés la gueule. C’était une question de survie. Un des problèmes des indépendants, c’est la trésorerie. On se demandait comment on allait faire pour être là le mois suivant. Cela a persisté pendant toute la vie du label. La GMF, propriétaire de la Fnac à l’époque, avait décidé de monter une maison de disques dont l’ambition était de devenir LA major française, sachant que la Fnac était le plus gros débouché, et de loin, des labels indépendant comme le nôtre. Je me suis dit que c’était pas idiot de se lancer dans cette aventure. Finalement, c’était une très mauvaise idée puisque la Fnac Musique avait de très mauvaises relations avec les autres magasins Fnac. Ca n’a pas été bien géré, il y a eu des erreurs dans les signatures ainsi qu’un gaspillage financier colossal qui s’est traduit pas d’énormes pertes. Fin 94, les actionnaires de la Fnac, qui avaient changé deux fois, ont tout arrêté.
Qu’est devenu le catalogue New Rose ?
Peu avant la fin de Fnac Musique et donc de New Rose en 1994, j’ai créé un nouveau label, Last Call Records, sur lequel j’ai sorti un disque de musique tibétaine. De plus, j’ai pu racheter une bonne partie de mon catalogue. Ca m’a aussi permis de tourner la page et de faire un label qui, même s’il est dans la continuité de New Rose à certains niveaux, est aussi ouvert à d’autres musiques. Je n’ai aucune nostalgie, ni aucun regret par rapport à tout ce qui s’est passé. La preuve, j’étais ravi de me retrouver à l’Elysée Montmartre avec les vieux potes.
Pas de regrets?
Si, il y a une personne avec qui j’aurais aimé faire un album, mais ce n’est pas un regret, c’était inaccessible. C’est Ray Davis des Kinks.
Pourquoi était-ce impossible ?
Impossible je ne sais pas, mais on ne s’est jamais rencontrés. Je l’ai vu une fois en 1967. Il m’avait signé un autographe et il avait chanté La Marseillaise, mais j’avais 17 ans à l’époque… Sinon, on peut toujours fantasmer, on peut trouver des tonnes des gens avec qui on aurait aimé travailler. J’ai déjà eu la chance de travailler avec une centaine de gens géniaux, je suis comblé. Il faut bien en laisser pour les autres aussi (rires).
Votre disque préféré?
Les pionniers du rock’n’roll : Fats Domino, Jerry Lee Lewis, Buddy Holly. Dans les générations plus récentes, il y en a un dont je suis inconditionnel, c’est Randy Newman, selon moi un grand génie. Je l’ai vu plusieurs fois sur scène, c’est éblouissant. Il n’y a pas de semaine sans que je n’écoute Randy Newman. Sinon, beaucoup de blues, je ne m’en lasse jamais. Quand mon pote Chris Baley passe à Paris, on passe nos nuits à écouter du blues : Mudy Waters, Magic Sam, Skip James…
Et à boire du bourbon ?
Moi pas trop. Lui non plus, il préfère le vin. Moi aussi d’ailleurs. En ce qui me concerne, c’est avec modération (rires).
Last Call Records a sorti un superbe coffret de 4 CD » New Rose story », parcourant en 85 titres les 349 albums sortis sur New Rose entre 1980 et 1994. Un site non officiel est consacré à l’histoire et à la discographie de New Rose et de ses sous-labels (Fan Club, Lively Art)