Pour se faire une idée d’un phénomène, mieux vaut toujours laisser la parole aux principaux intéressés. Rencontre avec ceux qui bloguent, depuis longtemps, ou pas, ou plus. Interview de carnettistes d’influence (Le Tronçonneur de blogs, Kwyxz, Cynapce, Binnie, Nacara, Maïa Mazaurette, Utena et Simone de Bougeoir), en complément de notre dossier « Les néo-blogueurs vont-ils pourrir Internet ? », à lire dans Chronic’art #49, actuellement en kiosque.
Maïa Mazaurette
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Chronic’art : Quand as-tu commencé ton blog ? Quelle en a été l’impulsion ?
Maïa Mazaurette : J’ai commencé mon premier blog en avril 2002, parce que je voulais raconter la suite de mon premier roman en ligne. C’était une démarche générée par l’ennui (France 3 Alsace n’est pas le lieu le plus animé de la planète) et par un souci de gratuité. Je ne pensais pas que mon passe-temps confidentiel prendrait tant d’importance dans ma vie !
Quels ont été les moments forts de ta vie de blogueuse ?
Je dirais qu’il y a eu le moment où je suis devenue une blogueuse… sept mois après l’ouverture de mon blog. Quand j’ai commencé, je tenais ce qui s’appelait encore un « journal intime ». Le côté communautaire, à peine émergent, m’est tombé dessus totalement par hasard. Je suis passée d’une page introuvable (trois lecteurs par jour) à un blog lu (700 lecteurs par jour, c’était beaucoup à l’époque) en 24 heures. C’est sans doute super prétentieux, mais je suis aussi très fière d’avoir été la première blogueuse d’actualité sexuelle – aujourd’hui, environ 500 millions de sites font la même chose. J’ai été vexée quand j’ai commencé à voir le concept repompé partout ; maintenant je me dis que j’ai au moins créé un truc qui rapporte de l’argent (à d’autres que moi).
Les mauvais moments ?
Alors là, j’ai un tas d’exemples. Savoir que ma belle-famille avait lu mon blog, outre les conséquences pas géniales, ce n’était pas facile. Mon blog a été intégralement recopié par un malade mental sur trois plates-formes différentes. Quelqu’un s’est fait passer pour moi et m’a inscrite à plein de conférences ou à des événements bloguesques. J’ai été harcelée par beaucoup de lecteurs. J’ai dû récupérer plusieurs fois le mot de passe de mon ancien blog, gentiment piraté. Et puis évidemment, il y a les insultes dans les commentaires, rarement très agréables (mais maintenant je n’ai plus ce problème).
As-tu noté un changement dans la blogosphère ?
J’ai été hyper déçue de l’arrivée de l’argent dans un monde gratuit, et du nombre de gens prêts à renoncer à leur liberté de ton pour trois centimes. J’ai bossé pour de la pub, pour des sites pro, comme blogueuse « officielle », mais ça a toujours été clair, et surtout je n’ai jamais mélangé ça avec mon espace privé. Aujourd’hui, quand je vois les sites d’agrégation de contenu, j’ai honnêtement la gerbe. Autant je trouvais ça génial que tout le monde se mette à bloguer (oui, même les Skyblogs), autant je trouvais naturel que les médias se mettent sur le créneau, autant les rapaces me gonflent. Et il y en a un sacré paquet, qui n’affichent pas toujours la couleur.
As tu senti un effet « blog célèbre » (autocensure en particulier…) ?
Je suis ce que l’on considère comme une vieille blogueuse. C’est un peu absurde parce que ça ne fait que six ans, mais il n’empêche que je fais partie de la première génération de blogueurs francophones, et surtout de la première vague médiatisée. Les gens qui sont arrivés sur le Net parce qu’ils avaient lu un article dans les journaux pensaient que n’importe qui aurait droit à son quart d’heure de célébrité, et que c’était un dû. Blogueur = influent. Sauf qu’évidemment, les blogs qui dépassent les mille lecteurs par jour sont proportionnellement super rares ; et tout le monde s’en fout de ce que tu as mangé le matin. Donc, le premier effet « blog célèbre », disons en 2003, a été de m’en prendre plein la tête, genre « moi je fais mieux et personne ne me lit, t’es qu’une sale vendue, tu fais tout pour te faire remarquer, blablabla ». J’ai supporté ça longtemps avant de fermer les commentaires. Maintenant que le fait d’être un blogueur connu n’est plus exceptionnel, ça s’est calmé. Je ne me fais plus jamais insulter. L’autocensure, oui, ça existe, mais dans une certaine mesure, j’ai toujours été dans l’autocensure, parce que je crois sincèrement que les gens ne sont pas intéressés par ma vie. J’écris pour les autres, pas pour moi. Ne pas tout dire, c’est un corollaire naturel de mon activité.
Qu’est-ce qui t’énerves le plus dans la blogosphère ?
La blogosphère, justement ! Je n’aime pas les tendances, genre les blogs « de fille », « de geek », « de maman », avec leurs micro-communautés et leurs querelles de chapelles de 1cm2 (pourtant, je suis passée par là). Récemment, le mec de Presse-citron a rédigé un post pour dire que 2 000 personnes le suivent sur Twitter. En parlant de blogosphère, d’auto-congratulation et de gens qui regardent plus leurs statistiques que leur contenu, c’est pitoyable. Je n’aime pas non plus les faiseurs de thune, mais ça je crois qu’on l’a bien compris. A intervalle régulier, il y a aussi des types qui s’auto-proclament grands chefs des blogs, genre Loïc le Meur. Il faut absolument leur briser les rotules. Le blog est un outil personnel, je ne vois pas ce que des leaders d’opinion viendraient faire dans ce joyeux bordel.
Faut-il sauver la blogosphère ? Comment ?
Pour sauver la blogosphère, il faut enlever la sphère : interdire par décret gouvernemental les plate-formes de blog, forcer les gens à élaborer un truc dans leur coin, interdire l’auto-cross-linking, supprimer les tags, détruire Technorati et les classements, et envoyer au goulag ceux qui persistent à avoir une blogoliste de plus de dix liens. Je crois que c’est assez simple, finalement.
Propos recueillis par &
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