Les amateurs d’histoires courtes connaissent bien le nom de François Ozon. Il est synonyme d’originalité, de culot et de talent. Nul doute que le cercle des inconditionnels de ce jeune réalisateur va s’agrandir. Lauréat de nombreux prix dans les festivals de courts métrages, François Ozon voit en effet deux de ses films –Une robe d’été et Regarde la mer– sortir en salles. L’occasion idéale pour le rencontrer, d’autant qu’il achève actuellement le montage de Sitcom, son premier long métrage annoncé pour le printemps prochain.
Tête de l’art: Comment est née l’idée de Regarde la mer ?
François Ozon : Ce film est né d’un projet avorté dont est issu aussi Une robe d’été. Les deux histoires ont lieu en été au bord de la mer, mais les deux films sont très différents.
Regarde la mer est un film manipulateur, fait de sensations plus que de certitudes pour le spectateur.C’était votre but ?
Oui, c’est un film d’angoisse sourde. Sous une apparence de réalité normale et de banalité, on trouve des strates d’angoisse, d’horreur… jusqu’au dénouement final qui n’est pas pour moi l’enjeu du film. Le plus important, ce sont les questions que se pose le spectateur. Les trous dans la narration lui donnent, je pense, une position active.
Vous prenez à contre-pied les conventions propres au film d’horreur ?
Je trouve que l’on est trop mené par la main dans la plupart des films d’horreur. Ce qui est intéressant, c’est la perte de repères du spectateur. Qu’il se retrouve confronté à sa propre horreur. Dans mon film, je lui donne des indices, des pistes mais pas vraiment de réponses. C’est à lui de faire le lien entre les éléments que je lui donne et, du coup, d’avoir des interprétations différentes, voire même monstrueuses.
Pourquoi ce parti pris de raconter une telle histoire dans un lieu aussi « charmant » ?
Contrairement à bon nombre de films américains comme Seven ou sous prétexte d’un sujet glauque, l’image aussi doit l’être. Je trouvais plus intéressant qu’il y ait un décalage entre le décor, l’espace et ce qu’il se passe réellement. La beauté du décor et la luminosité décuplent je crois la monstruosité de la situation.
Le format du film (52 minutes) est court. Malgré tout, vous prenez votre temps…
En fait, au départ, je n’avais pas de scénario écrit, j’avais une ligne directrice et je tenais surtout à travailler sur la temporalité. Donner l’impression du temps qui passe en essayant de ne pas ennuyer le spectateur. C’est la première fois que je montre par exemple des trajets de personnages dans la continuité alors que d’habitude je les aurai coupé au montage. Ces moments permettent, je crois, au spectateur de s’interroger sur ce qui s’est passé avant.
Parlez-nous de vos actrices…
Sasha Hails est une amie, je la connais depuis longtemps. Elle a tourné dans un de mes court métrage Une rose entre nous, et j’avais envie de la retrouver. Elle a tourné dans Regarde la mer sans connaître une ligne du scénario. Elle tournait au jour le jour avec son bébé sans savoir ce qui allait lui arriver.
Marina de Van, c’est une réalisatrice et comédienne que j’ai rencontré à la FEMIS. Évidemment, elle était au courant de l’histoire car c’est elle qui vient semer le trouble au sein de la maison.
Le fait que Marina soit réalisatrice est un véritable avantage. Comme elle sait ce qu’il se passe derrière la caméra, elle n’est absolument pas chiante avec son image comme beaucoup d’actrices qui veulent tout contrôler, être belle en permanence. Elle a compris dès le début qu’elle ne serait pas belle mais étrange. Et finalement je crois que c’est tout à son avantage.
Dans tous vos films, on retrouve deux personnages principaux. Ces duos se trouvent perturbés ou révélés par une tierce personne. Un élément extérieur…
Effectivement, je ne l’avais jamais vraiment perçu mais c’est exact. Je pense qu’à chaque fois il y a une demande au sein de ce duo, de ce couple pour un élément extérieur. Dans Une robe d’été, c’est vraiment ça! L’arrivée de la fille -et de la robe- permet au garçon d’assumer une part de sa sexualité. Dans La petite mort, la soeur est là pour ressouder la relation frère/père et dans celui ci, on vole la notion de couple entre la mère et son bébé.
Vos deux précédents courts étaient des films de « mecs », dans celui-ci les hommes sont absents ou seulement évoqués. C’est un désir de vous démarquer ?
J’avais très envie de faire un film avec seulement des femmes, filmer la féminité, la montrer sous un angle un peu nouveau. C’était aussi un désir de filmer la sexualité féminine car jusqu’à présent je parlais plutôt de la sexualité masculine.
D’où cette scène étonnante dans le sous-bois avec des hommes entre eux, et ou s’immisce Sasha, abandonnant momentanément son bébé sur la plage pour un plaisir furtif ?
Oui. (rires) C’est totalement invraisemblable en soi mais bon ! J’avais envie de montrer ça. Cette femme qui vient d’avoir un bébé a toujours un désir, une frustration. Les femmes sont capables aussi bien que les hommes d’avoir des relations furtives sans culpabilité. Ici, je pense que la culpabilité est non pas chez cette femme, mais chez le spectateur qui voit cette mère laisser son enfant sur la plage avec les vagues et le danger que peuvent représenter, dans ce cas, le soleil et la mer.
Scènes de lit, court métrage en sept chapitres que vous avez réalisé cette année, vient de se voir attribuer par la Commission de classification une interdiction aux moins de 16 ans pour deux épisodes et une interdiction aux moins de 12 ans pour deux autres. Etes-vous surpris de ces avis ?
Ce que je trouve le plus triste, ce ne sont pas ces interdictions, mais plutôt la justification qui en est faite. Par exemple, sur un épisode ou l’on voit deux garçons s’embrasser, le commentaire est : « Film de propagande homosexuelle ». Je trouve quand même grave d’avoir ce type de jugement en 1997. Je trouve ça totalement idiot, mais je ne vais pas me battre contre des moulins à vent. Je n’ai pas l’impression de faire de la provocation et de vouloir choquer à tout prix. Je pense faire des films qui me ressemblent le plus possible. Peut-être que ma manière de voir les choses est choquante, mais ce n’est pas pensé ni voulu pour emmerder la censure ou qui que ce soit.
Propos recueillis par