Loin des rendez-vous institués, Nintendo a convié fin février 2010 la presse européenne à la présentation d’une poignée de titres censés remettre dans ses petits papiers la frange la plus dure et légitimement excédée par le flou artistique du catalogue Wii sur le terrain du jeu gamer et exigeant. Compte rendu d’une tentative de réconciliation.
Suivre Nintendo à Londres avec une trentaine de journalistes des médias généralistes et spécialisés pour la présentation d’une poignée de titres Wii et Dsi, c’est remonter le cours d’une communication en voie de rétablissement avec le public des joueurs. Parce que la Wii est devenu un concept valise, rarement l’image d’une console n’aura autant souffert de son succès public. Profits records, phénomène de société, ligne de mire pour ses concurrents forcés de suivre un peu sur le tard la tendance du jeu à capteurs de mouvement (« Projet Natal » chez Microsoft, « PS3 Motion Controller » chez Sony), la Wii et Nintendo sont sans conteste les grands gagnants de cette génération de console… et les acteurs désormais les plus méprisés de l’industrie par les coregamers du fait d’un catalogue moins alimenté en titres forts par les éditeurs tiers que ceux de la PS3 et de la Xbox 360. Une situation qui a donné lieu, par la voie du président de Nintendo, Satoru Iwata, il y a quelques semaines, à un étonnant mea culpa. « Nous n’avons pas su alimenter à un rythme suffisamment régulier le catalogue Wii en titres de qualités », voilà en substance ce que le visionnaire président de la firme de Kyoto affirmait. Et voilà, lors d’un Nintendo Gamers Summit (2010), justement nommé, l’occasion de rétablir la balance vis-à-vis du noyau dur des loyalistes de la firme légitimement inquiets quand aux blancs laissés dans le calendrier des sorties de cette année.
Devant une centaine de journaliste de toute l’Europe, dans une salle du complexe O2, une jeune femme visiblement éprouvée s’exprime sur un ton monocorde, aux accents graves, en tailleur blanc crémé sur un fond noir. Elle pourrait tout aussi bien faire l’éloge funèbre d’un général des armées. Mais non, elle est effectivement là pour une savante compétition de bonnes nouvelles, elle parle de Super Mario galaxy 2. Qui sort en Mai ?! Présenté pour la première fois à l’E3 2009, Super Mario galaxy 2 sortira moins d’un an après sa première annonce et moins de trois mois après sa première démonstration. Pour une industrie qui fonctionne à l’effeuillage à longue durée et aux reports multiples… la machine marketting Nintendo est une délicieuse aberration. Qu’elle annonce la gratuité du Online de Monster hunter tri ou la sortie de Metroid : Other M. au troisième trimestre de cette année ou celle de Dragon quest 9 pour l’été, son ton nous dit « j’ai le regret de vous annoncer… ». Comme pour donner un pendant gaming credibility aux (insupportables) explosions de bonnes humeurs accompagnant, lors des derniers E3, les démonstration des jeux casuals Wiifit, Wii music, etc.
Malgré l’étrangeté du ton employé, étonnamment froid, la réaction des journalistes est unanimement enthousiaste. Sitôt la succincte présentation achevée, la jeune femme annonce : « Now, it’s time to play ». Le rideau se lève sur la scène, une armée d’hôtesses et d’hôtes attend devant une vingtaine de bornes de démonstration et fauteuils en cuir. Silence de mort. Personne ne bouge. Au bout de 30 secondes, les premiers rangs se précipitent… tout le monde veut essayer Super Mario galaxy 2, tandis qu’un premier groupe est appelé pour voir et essayer Metroid : Other M. présenté à l’étage derrière un épais rideau noir. Dès les premiers pas dans Galaxy 2, on retrouve ce gameplay gravitationnel, remis en scène à travers de nouveaux mécanismes. Une visse-foreuse tout d’abord, qui permet de passer d’un hémisphère à l’autre en passant par le centre, permettant de résoudre des énigmes basées sur les différences de hauteur et d’atteindre des plate-formes haut perchées. L’arrivée de Yoshi reste évidemment l’ajout le plus délibérément fan service, s’adaptant pourtant complètement au exigences du gameplay gravitationnel. Un fruit rouge, et il courre sur des surfaces trop abruptes pour Mario tout seul ; un fruit bleu, et il enfle comme une montgolfière à l’assaut de niveau verticaux. Plus fort, il attrape à la volée des missiles et peut les recracher en visant directement l’ennemi à l’écran façon rail shooter. Super Mario galaxy 2 poursuit de fort belle manière l’exploration des possibles sphériques entamée avec le brillant Galaxy et pousse plus loin son goût pour les architectures fantasques, poétiques et improbables tout en rappelant une vieille mascotte, Yoshi (remarquablement contextualisé) pour éviter de sombrer dans l’abstraction d’une démonstration scolaire. Si l’on peut déplorer un niveau de difficulté équivalent à celui de Galaxy (facile, donc), on peut aussi louer une qualité de sensation, un enchantement du geste toujours aussi enivrant dont il faudra vérifier la durabilité lors de la sortie du titre en mai.
Marque de l’association Nintendo / Capcom, Monster hunter tri s’offre pour la première fois en Europe dans une déclinaison de salon et online, tirant également avantage du Wiispeak. Ici n’était présentée que sa partie coopérative. Un plaisir de jeu renforcé par rapport aux versions PSP grâce à une caméra plus souple et mieux gérée, des graphismes plus fins, de nouveaux monstres, de nouvelles armes et des niveaux sous-marins. Pour l’essentiel, ce nouveau titre conserve les bases qui ont fait le succès de la série : la collectionite et des parties de chasses héritées de Phantasy star online. Avec la gratuité du service désormais acquise (il nécessite un abonnement payant au Japon), la Wii se dote d’un titre fort revendiquant son label console sur le terrain du Online. Plus confidentiel, Fling smash à sortir cet été sur Wiiware démontrait modestement une nouvelle proposition de jeu à la Wiimote. Entre le flipper, le casse-brique et le jeu de plate-formes, au joueur de faire évoluer une petite boule jaune dans des niveaux à scrolling automatique. Peu convaincant sur le fond et dégageant une sensation d’imprécision agaçante malgré son utilisation du Wii Motion Plus, Fling smash faisait clairement figure de clin d’oeil kiddie au sein d’une ribambelle de titres à l’adresse des gamers. Pour un titre déjà sorti au Japon (comme Monster hunter tri), la présentation du second épisode de Sin and punishment demeurait la plus chiche en nouveauté. Il n’empêche : toujours signé par l’imparable studio Treasure (Gradius V, Ikaruga…), Star successor faisait montre d’un rythme échevelé et de nouvelles – quoique discrètes et toutes en continuité – mécaniques de mouvement pour enrichir la formule du shoot sur rail. Notre verdict en avril 2010.
Sur le terrain du jeu à faire soi-même, la Dsi présentait deux titres donnant un éclairage nouveau au genre. Comme son nom l’indique, Photo dojo tire parti de la fonction APN pour fabriquer soi-même son (presque) Street fighter. En clair, il s’agît de se prendre en photo avec des amis qui n’ont pas peur du ridicule dans des poses martiales (coup de poing, coup de pieds, dragon punch, kamehameha, pose de victoire ou de défaite), se détourer et fabriquer son propre jeu de combat. Une initiative qui compense l’imprécision des collisions par une avatarisation photoréaliste et homemade rafraîchissante qui rappellera sans doute les grandes heures des premiers Mortal kombat à coup de digit potache. Avec des enjeux plus didactiques, Wario ware D.I.Y. propose rien moins que la création ex nihilo de mini jeux selon la formule qui a consacré la série. Au programme de son tutoriel (section pour le moins déterminante pour ce type de produit), une série d’exercices encourageant le joueur-concepteur à remplir une des étapes de la création du jeu (dessiner un ennemi, assigner une fonction, etc.). L’ensemble est soutenu par une interface inspirée de celle de Flipnote (le logiciel de création d’animation) et affiche des ambitions communautaires prometteuses (publication en ligne de ses mini jeux, recherche des créations d’autres joueurs, accès à des forums privés…). En dehors de l’intuitivité de l’interface, c’est bien l’adhésion massive ou non à ce mode de production participative (remember la difficulté à trouver un niveau valable issu de la communauté Little big planet) qui déterminera le succès de cet outil et la validité de son concept.
A 14h45, notre groupe est enfin appelé à l’étage pour essayer le fruit de la collaboration de la Team Ninja (Ninja gaiden, Dead or alive…) et du producteur historique Yoshio Sakamoto, Metroid : Other M. Chronologiquement situé juste après Super metroid (Super Nintendo) et la destruction de Mother Brain, le scénario offre une perspective, ponctuée par de nombreux monologues parlé de Samus (pour la première fois on entend sa voix), étonnamment sombre et symbolique. Abordant le thème de la maternité par le lien unissant Samus et un bébé Metroid, Other M constitue avant tout une réinvention de la série par le beat / shoot à la troisième personne. Surprenant dispositif, Samus se commande à l’aide de la seule Wiimote. Tenue à l’horizontale, elle offre un spectacle nerveux de « nettoyage de zone » de ses occupants hostiles, tandis que la position horizontale (pointée vers l’écran) permet de passer à une vue à la première personne assurant le lien avec la trilogy Prime, la liberté de mouvement en moins. Doté d’un habillage sonore glacial et angoissant, d’une direction artistique impeccable, d’une mise en scène et d’un scénario résolument adulte, Other M affiche autant une volonté de rupture (s’inscrire dans un autre genre, mettre à profit un contexte de solitude psychologique pour l’emmener vers des thématiques plus torturées) que de retour aux sources (l’exploration, la vue à la troisième personne). Si la fébrilité d’y retourner des observateurs présents pouvait servir d’indicateur, il est désormais acquis que Metroid Other M. sera sans doute le titre fort du catalogue Wii en 2010.
Au final, malgré le peu de titres présentés, cet événement résolument gamers remplissait plus que correctement son office de retour aux affaires pour Nintendo. Bien sûr, si les rumeurs de nouveaux hardware (Wii HD ? Nouvelle DS ?) vont bon train, il est à parier que l’E3 2010 sera quand même l’occasion pour Nintendo de séduire en priorité les nouveaux joueurs et d’hérisser le poil des coregamers. Pour l’heure, la firme au plombier peut se targuer d’avoir garanti (à vérifier toutefois dans les versions définitives des titres présentés) pour les six prochains mois un soutien massif à la frange la plus exigeante de son public. Mission complete !