Né à Paris en 1968, Nader Takmil Homayoun accompagne ses parents en Iran en 1978. Il est aussitôt confronté à la Révolution et à la guerre Iran-Irak. Critique de cinéma à la revue « Sorush », il intègre la Femis en France en 1993. Après quelques courts métrages, il réalise le documentaire « Iran : une révolution cinématographique » en 2005. Primé à Venise en 2009 et à Angers en 2010, Téhéran est son premier long métrage de fiction.
Chronic’art : Vous êtes franco-iranien et Téhéran est votre premier long métrage. Pouvez-vous nous raconter la genèse du film ?
Nader T. Homayoun : Longtemps, j’ai voulu faire un film en France sans tenir compte de mes origines iraniennes. A l’époque du Shah, beaucoup de réalisateurs venaient en Europe faire leurs études puis repartaient en Iran. Je ne désirais pas faire comme eux. J’ai donc mis sept ans avant de me décider à aller en Iran en me disant : « Peu importe où je tourne, à partir du moment où je réalise le film que j’ai envie de faire ». C’est ainsi que j’ai réalisé Téhéran. Je ne voulais pas faire un film purement iranien ni un film pour le seul public occidental, mais une œuvre qui s’adresse aux deux.
Pourquoi avoir choisi le polar, un genre plutôt rare dans le cinéma iranien contemporain ?
Le genre est ce qui m’attire le plus au cinéma. En voyant d’anciens polars iraniens, je me suis rendu compte qu’au-delà de leurs qualités formelles, ces films portaient un regard sur la société. Le scénario de Téhéran a été écrit avec un ami français. Nous avons gardé une marge de liberté car nous savions que nous ne pourrions pas tout tourner et qu’il nous faudrait inventer sur place. On est donc parti à l’aventure, moi, mon co-scénariste et un chef opérateur que je connais depuis la Femis.
Pour les scènes d’action, pourquoi avez-vous pris le parti de l’ellipse ?
En Iran, la violence est partout. On n’a pas besoin de la montrer de façon explicite. C’est ce que je voulais souligner. Les valeurs qui ont été porté par la révolution de 1979 ont été bafouées. Le simple fait que des gens puissent entrer chez vous sous prétexte qu’ils portent l’uniforme des Gardiens de la Révolution est une violence. Le refus d’un prêt islamique montre que les idéaux de la révolution d’il y a trente ans n’existent plus. L’absence de morale est totale.
Le film comprend de nombreuses scènes en caméra cachée qui mêlent la fiction et le documentaire. Comment ont-elles été tournées ?
Je voulais que les spectateurs aient un sentiment de vraisemblance, comme s’ils voyageaient à Téhéran. Mais comment faire ? J’ai trouvé une solution en m’entourant d’une équipe réduite prête à tourner à n’importe quel moment. D’ailleurs, j’avais une autorisation pour un film documentaire et non une fiction. Ce qui m’obligeait à tourner en un temps très court. Je ne voulais pas montrer l’Iran des beaux quartiers mais celui que ne connaissent pas les gens de province comme mes personnages. Pour eux, Téhéran, c’est l’Eldorado. Or, c’est la pire des villes quand on n’y est pas habitué avec des rues saturées de voitures.
Le film joue beaucoup sur le vrai et le faux comme si la société iranienne était placée sous ce dilemme…
L’Iran est un pays codifié depuis toujours et plus encore depuis trente ans avec une séparation nette entre la vie privée et la vie sociale. Les gens jouent en permanence avec leurs apparences. Tout cela crée un climat schizophrénique.
Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis les manifestations de juin 2009 ?
C’est un mouvement surprenant. Pendant longtemps, les images qui sortaient de l’Iran étaient contrôlées par le pouvoir. A présent, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui fabriquent leurs propres images. La société iranienne est en train de se décomplexer en montrant de plus en plus d’elle même. Elle n’est plus contrôlable par le pouvoir. Plus qu’une révolution, on assiste à une évolution dans le bon sens.
Propos recueillis par
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