Après un « best of » et une compilation d’enregistrement de sessions BBC -sortis dans la hâte, juste histoire d’en finir avec un contrat qui les liait à la major Reprise-, Mudhoney est de retour avec un véritable nouvel album. De retour chez Sub pop, le groupe semble avoir retrouvé toute sa vigueur. Entretien avec trois des membres.
Chronic’art : Avec Since we’ve become translucent, votre musique prend un virage bien plus psychédélique. Est-ce dû à l’arrivée d’un nouveau membre dans le groupe ?
Mark Arm : C’est tout simplement dû au fait que nous sommes tous devenus vieux… (rires). Non, c’est une blague. L’arrivée de Guy Maddison a effectivement eu un impact sur notre manière de travailler, puisqu’il est également le bassiste de Bloodloss -un groupe très psychédélique (dont Mark Arm fait également partie, ndlr). Mais ce tournant n’est pas spécialement du à une volonté de rupture, de changement. C’est quelque chose qui est arrivé naturellement dans Mudhoney. On a ressenti l’envie de le faire comme ça, c’est tout.
Ed Renestair Jr -membre de Bloodloss- jouait du saxophone sur My brother the cow, votre album sorti en 95. Pourquoi avoir pris quelqu’un d’autre aux cuivres ici ?
Mark Arm : C’est tout simplement parce que Ed habite à l’autre bout du pays. Sur notre nouvel album, nous avons travaillé avec Craig Flory qui a joué du sax ténor, et du sax baryton.
Guy Maddison : Craig s’est également chargé de tous les arrangements des cuivres. Un boulot monstrueux…
Mark Arm : Et puis on a déjà pris Guy à la basse, on allait pas non plus transformer Mudhoney en Bloodloos ! (rires)
Est-ce que Bloodloss existe toujours ? Comptez vous sortir un nouvel album ?
Mark Arm : Oui, on tourne encore… Le problème c’est que nous ne nous voyons pas souvent pour travailler ensemble.
Guy Madisson : Les derniers albums de Bloodloss sont sortis sur un label Australien. Et ces disques ne sont disponibles qu’en Australie… Ils ne sont pas distribués ailleurs.
Mark Arm : Notre meilleur album reste The Truth is marching in et pourtant, il n’est pas distribué en dehors de l’Australie…
On a l’impression que le dernier album de Mudhoney commence exactement où My brother the cow s’était arrêté. Comme si Tomorrow hits today -l’album entre les deux- s’était effacé.
Mark Arm : Je ne comprends pas. Non, on ne renie pas cet album du tout, si c’est ce que tu insinues.
La fin de 1995, dernier morceau de My brother the cow, était un hommage à 1969 des Stooges ; et votre nouvel opus ouvre sur une sorte de L.A. blues psychédélique avec une avalanche de cuivres et de wah-wah. Cette ambiance schizophrène qui clôture 1995 avait disparu dans Tomorrow hits today. Elle est subitement de retour et hante votre nouvel album d’un bout à l’autre.
Mark Arm : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Il est vrai qu’il n’y a pas de cuivres et beaucoup moins de claviers sur Tomorrow hits today, mais on retrouve ce genres d’ambiances sur quelques titres. Beneath the valley of the underdog par exemple, ou encore Oblivion. Les albums sont différents, voilà tout. En fait, la question que tu me poses est vraiment bizarre… Tu sais, la semaine dernière, un autre journaliste m’a dit que Since we’ve become translucent était un album qui commençait exactement là où s’arrêtait Tomorrow hits today. (rires)
Sur le titre In the winner’s circle, vous chantez « I’m a winner cause I’ve got nothing left to loose ». Quelle signification y a-t-il à trouver dans ces paroles ?
Mark Arm : En fait, quand j’écris des paroles, je ne me fais pas chier à tout le temps y donner une signification. Faut juste que ça sonne avec la musique, c’est tout. C’est déjà énorme en fait. Pourquoi, t’y vois quoi toi ?
Plusieurs choses en fait, je ne sais pas trop…
Mark Arm : Allez, allez !
Tout d’abord, on pense au fait que Mudhoney a toujours été un groupe mythique qui n’a jamais réellement trouvé un fort succès commercial. Avec cette chanson, je me suis rendu compte qu’après quinze années d’existence, vous ne cherchiez plus du tout à rencontrer ce succès.
Mark Arm : (rires) Ouais… En fait, lorsque je regarde derrière moi, je me dis que le parcours accompli est plutôt pas mal. Je suis vraiment content de ce qu’on a fait. Je ne sais même pas comment on aurait réagi face à un fort succès commercial. Je ne m’en soucie pas en fait, je suis content que les choses se soient passées comme ça.
Dan Peters : On a tout de même vécu presque dix années grâce à notre musique. Aujourd’hui, c’est plus pareil. Actuellement, on est en tournée, mais dès le retour à la maison, il va falloir reprendre le boulot pour manger !
Mark Arm : Sinon, dans les interprétations des paroles de Winner’s circle, tu pensais à quoi d’autre ?
Le grunge mort et enterré, la fin d’une époque mythique.
Mark Arm : Ooohh, laissons tomber ces conneries, tu veux ? Et à part ça ?
Je pensais au départ de votre major pour revenir chez Sub Pop, votre premier label.
Mark Arm : Oh non, pas du tout. On est vraiment très content d’être de retour chez eux. C’est vraiment bien plus confortable que d’être chez Reprise. Financièrement c’est moins aisé, bien sûr. Mais au moins, on se sent chez nous avec eux.
Dan Peters : On a sorti trois vrais albums chez Reprise. Sortir le dernier, c’était comme un calvaire pour eux. Ils l’ont travaillé par dessus la jambe. C’était pour eux un énième disque inintéressant à sortir uniquement pour des raisons de contrat. Nous, on était comme des cons et on n’avait pas notre mot à dire… Une fois le contrat terminé, nous sommes revenus chez Sub Pop. Pour un label de l’envergure de Sub Pop, nous sommes des superstars : du coup ils bossent notre album comme des furieux et ils y mettent du coeur.
C’est exactement ce que disait Tom Waits par rapport au label Anti.
Dan Peters : Ca se comprend, non ? Dans une major, un groupe comme Mudhoney n’est qu’un énième produit à bosser parmi tant d’autres. Donc pour nous, ils on fait le minimum syndical et rien de plus. Franchement, ça fait du bien d’être de retour chez Sub Pop.
Mark Arm : C’est des potes…
Par le passé, vous avez sorti un split single avec les Spacemen 3. Que pensez vous aujourd’hui de leur reconversion en Spiritualized ?
Mark Arm : J’aime beaucoup leur disque Ladies and gentlemen, we are floatting in space. Par contre, je trouve leur dernier assez mauvais. J’ai l’impression d’entendre de la musique en plastique.
Vous avez également fait une reprise de Martin Rev. Que pensez vous de la musique électronique ?
Mark Arm : Musique électronique, c’est très vaste… J’adore Suicide et les travaux solos de Martin Rev. Pourtant, je trouve que ça reste une musique très rock’n’roll. Même si c’est fait avec des synthés… Pour moi, Suicide est un putain de groupe de punk !
Mark Arm : T’entends quoi par « musique électronique » ? Tu sais, j’adore le kraut-rock, j’adore Kraftwerk aussi, mais je ne considère pas ça comme de la musique électronique pure. A côté de ça, je déteste la techno, je hais la house music. Enfin, la house music d’aujourd’hui.
Que Pensez vous d’un groupe comme le Jon Spencer blues explosion qui se fait remixer par des artistes électroniques comme Dan The Automator, John Oswald ou encore Moby ?
Mark Arm : C’est le disque Experimental remixes ? Je n’ai jamais eu l’occasion de l’écouter. Par contre, je connais les morceaux de R.L. Burnside remixés par des artistes techno. Honnêtement, c’est de la chiotte. Burnside est tellement bon lorsqu’il fait du rythm’n’blues… A quoi ça sert de défigurer ses morceaux comme ça ?
Votre dernier album est de loin le plus expérimental dans la production. Etait-il difficile à produire ? Est-ce pour cette raison que la plupart des morceaux ont été enregistrés dans des studios différents avec plusieurs producteurs ?
Mark Arm : Il n’était pas spécialement plus difficile à produire, c’était juste différent. Notamment au niveau du travail des cuivres et des effets. C’est vrai que Sonic infusion est l’un des titres les plus expérimentaux qu’on ait fait… Si on a enregistré dans plusieurs endroits, c’est simplement parce que le label n’avait pas de quoi nous payer une longue location de studio. Donc on a enregistré par-ci par-là lorsque c’était possible. Chaque enregistrement était différent, on a bossé dans diverses directions à chaque fois. C’est peut être pour ça que l’album est aussi riche au final.
Dan Peters : Par exemple, Inside job est l’un des plus vieux morceaux sur le disque. Il a été enregistré à l’époque du départ de Matt Lukin (ancien bassiste du groupe, ndlr). Il était prévu depuis un bout de temps que l’on travaille avec Wayne Kramer, le guitariste du MC5. On lui a donc demandé de jouer de la basse sur ce morceau. C’est plutôt marrant… En fait, l’enregistrement de ce disque de cet album était une sorte de succession d’épisodes.
Le titre de votre album est un peu troublant. Il laisse penser que vous vous êtes effacés… Que vous êtes un groupe fantôme qui n’intéresse plus personne… Qu’avez vous à répondre à un fan qui vous écoute depuis 11 ans, pour qui vous n’avez jamais disparu une seule seconde ?
Mark Arm : Qu’est-ce que je peux répondre à ça ?
Dan Peters : C’est grâce à des gens comme toi qu’on continue à faire de la musique… Vraiment. Bon, l’interview est terminée ? Tu veux une bière ?
Propos recueillis par
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