A l’occasion de la sortie de Vidange le 21 octobre prochain, le réalisateur Jean-Pierre Mocky évoque pour Chronic’art quelques thèmes qui lui tiennent à cœur et qui sont à l’origine de son dernier film. L’occasion pour nous d’entendre un Mocky sans langue de bois et plutôt corrosif. Ca vous étonne ?
Chronic’art : Pour votre dernier film Vidange, vous avez choisi comme nouvelle cible un sujet brûlant, celui de la corruption dans les hautes sphères politiques. Etait-ce un désir de coller aux affaires qui sont dans l’air du temps ? Ressentiez-vous un besoin de dénonciation ?
Jean-Pierre Mocky : D’habitude je précède l’actualité. Là, il se trouve que depuis un bon bout de temps, il y a des types de gauche et de droite qui sont mouillés. Ca veut dire que la corruption n’est plus le fait de quelques malfrats comme dans le temps. Aujourd’hui toute personne qui a une responsabilité, donc de l’argent, est concernée par la corruption que cela soit pour une caisse de retraite ou pour la Croix-Rouge.
Donc vous pensez que dès qu’il y a budget, il y a corruption ?
Mais évidemment, dès qu’il y a budget, il y a tentation. Je me suis posé la question, vous savez, mon film ce n’est pas de l’opportunisme. C’est plutôt une conjonction, cela m’a paru essentiel de parler de ça parce qu’il y aura de plus en plus de corruption, de plus en plus de Sida. D’ailleurs pour moi les deux choses sont liées. Elles sont apparues en même temps comme par hasard. Malheureusement je crois que l’on est dans une période qui a besoin de plus en plus de films comme Vidange. Je ne le fais pas pour l’argent car de toute façon c’est un thème qui n’attire pas beaucoup les gens.
En même temps ça fait du bien de voir un film où les choses sont explicites et clairement montrées.
J’aimerais que des films comme Vidange permettent aux jeunes mais aussi à des personnes âgées de prendre conscience de ce qui se passe, grâce à la fiction.
Ce qui est intéressant c’est votre manière de faire évoluer votre personnage, Castellin, comme si vous connaissiez parfaitement le milieu des secrétaires d’état et des procureurs de la République. Avez-vous connu un Castellin ?
Oui, j’ai bien connu un type comme celui que je joue. C’est une race d’homme politique qui a choisi de rester dans l’ombre.
Dans l’ombre, mais il est tout aussi puissant que ceux qui sont dans la lumière.
Oui, c’est un homme qui connaît bien les gens du milieu, c’est une sorte de deus ex machina capable de faire chanter le tout Paris. Mais ce n’est pas un Tapie, il n’achète ni ne vend rien.
Qui plus est, Tapie est un homme de la lumière.
En plus. Castellin ne fait pas du business, il touche seulement des sommes pour les affaires qu’il arrange. Ce qui est intéressant c’est que ces personnes là existent. Ils sont des intermédiaires, on les contacte pour arranger des affaires, pour acheter des juges et étouffer des faits compromettant les hommes de la lumière.
Castellin est un personnage qui a l’air désabusé du genre humain. Il fait cela parce qu’il méprise les gens, et que pour lui, ça ou autre chose, c’est pareil, non ?
C’est ça, et donc c’est un personnage qui m’a intéressé parce que j’en ai connu deux ou trois. Ces gens là terminent souvent dans un monastère ou finissent par se suicider. Au bout d’un moment quand on côtoie trop la saloperie on finit par éprouver une espèce de dégoût et là, le dégueuli, en général, c’est le suicide.
J’aimerais maintenant que nous évoquions le personnage du juge, Mireille Bertillet, joué par Marianne Basler qui trouve là un de ses meilleurs rôles.
J’ai choisi Marianne, parce que j’aime bien changer les gens. Avant, elle n’avait que des rôles de prostituée ou de soubrette. Quand elle est venue me voir pour le rôle, elle avait beaucoup maigri et son visage émacié m’a convaincu. Elle ressemblait à Meryl Streep jeune. Il fallait une femme qui n’ait pas l’air d’une pute, mais qui ait l’air plutôt refoulée sexuellement. Le genre de femme qui fait passer sa carrière avant tout.
Mireille Bertillet est une femme forte et dynamique mais vous n’oubliez pas sa sensibilité, en fait vous la filmez comme si vous l’admiriez ?
Ah, mais je l’admire ! Je connais pas mal de femmes juges, elles sont vraiment très bien.
Admirez-vous par exemple le travail d’Eva Joly ?
Oui, mais ce n’est pas la punition qui m’intéresse. Pour moi la punition n’est pas une fin en soi. La véritable punition à mon avis, c’est d’être découvert et que l’on sait que vous êtes coupable. Ce qui me fascine c’est plutôt la découverte de la vérité.
Dans Vidange, vous allez très loin quand vous faites intervenir la mafia dans les affaires de l’Etat ou que vous impliquez l’Eglise dans un réseau de prostitution. Est-on dans le domaine de la fiction ou de la réalité ?
C’est malheureusement la réalité. La mafia sollicite des filles, qui viennent souvent de l’Est, et se sert de la religion pour les décider. Ils promettent aux filles un boulot et les loge dans un monastère. Quand je parle de l’Eglise, c’est plutôt les sous diacres qui sont concernés. Dans mon film l’archevêque n’est pas au courant du trafic des prostituées. C’est un salaud quand même parce qu’il essaie néanmoins de couvrir l’affaire. La prostitution, c’est très structuré, les filles tombent pas comme ça dans la prostitution. Dans mon film j’ai voulu montré ça, parce que j’ai appris que ce réseau existait. Moi, je n’ai rien inventé.
Après Vidange, vous allez vous attaquer à quoi ?
Le film que je viens de finir est la suite de Vidange. C’est l’histoire des gens que l’on exécute sous forme de mort naturelle parce qu’ils sont gênants. C’est ce qui peut arriver aux valets blancs quand ils en savent trop. Quoi que dans le cas de Castellin, c’est plus flou. Est-il vraiment mort, ou a-t-il monté cette histoire ? Ce qui est passionnant c’est que toute l’histoire de ces cinquante dernières années est faite de ces morts soi disant naturelles : Marilyn Monroe, Bérégovoy, l’affaire Chevènement, etc. Quand un personnage devient gênant, on le liquide, et généralement d’une façon tellement secrète et bizarre qu’on se demande si c’est une mort naturelle ou un meurtre.
Deux mots sur vos projets avec Jean-Luc Godard ?
Je tourne son prochain film en tant qu’acteur. On est très copains, il m’a d’ailleurs consacré une page dans sa très belle Histoire(s) du cinéma. Bon, c’est encore une image sexuelle, mais c’est quand même un grand honneur. J’ai le rôle principal dans son film, et après c’est moi qui le dirige avec Juliette Binoche. En fait c’est mon meilleur ami, il se sent à l’aise avec moi comme moi je me sens à l’aise avec lui.
Propos recueillis par
La critique de Vindange de Jean-Pierre Mocky mardi prochain sur Chronic’art…