Cette année, ce cher petit papa Noël façon Opéra de Paris a l’allure coquette et allègre de la Veuve Joyeuse. Une Opérette donc et pas des moindres puisque la Veuve Joyeuse, qui a assuré à son auteur Franz Lehàr gloire et fortune ad vitam, est l’une des plus jouées du répertoire et sans doute, avec la Chauve souris de Johann Strauss, la plus populaire.
L’Opérette a ses inconditionnels et lorsqu’il s’agit comme ici d’une opérette « à la viennoise », il se trouvera toujours quelque illuminé pour vous vanter le charme irrésistible de cette musique qui se veut légère et entraînante. Franz Lehàr comblera cet amateur-là au-delà de toute espérance ; sa partition badine à souhait avec l’intrigue vaudevillesque ; son orchestration, bien qu’elle permette aux violons de violoniser à n’en plus finir, fera peut-être regretter celle d’Offenbach, moins fine, « claudicante » comme l’a caractérisée en son temps un certain Monsieur Croche, mais tellement plus mordante et sarcastique.
Ce même Monsieur Croche estimait que la musique « bouffe » ne devait tirer son effet comique que d’elle-même. Ici, la bouffonnerie naît de l’argument d’un marivaudage burlesque, de quelques quiproquos amoureux cousus de fil blanc alors que la musique demeure, hélas, trop souvent décorative. Une succession de danses (valses, polkas, mazurkas et même cake-walk et french-cancan) alterne avec ces airs fameux dégoulinant de sentimentalisme qui ont fait les riches heures des boîtes à musique de notre enfance. On pourra m’objecter que la tradition viennoise joue justement de ce sentimentalisme, le revendique, qu’il y a un monde entre Offenbach et Lehàr, que le sarcasme n’a pas sa place ici, tout au plus une satire atomisée.
D’éminents barbons prétendront qu’il y a bien plus de profondeur dans la cadence à trois temps de la valse qu’on ne l’imagine, qu’elle est la parfaite expression musicale du tourbillon mélancolique de nos vies. On peut considérer encore que ces danses gagnent toute leur légitimité parce que précisément elles sont métaphores de séduction et que selon les mots mêmes de Jorge Lavelli, metteur en scène du spectacle, la Veuve Joyeuse « ne parle que de séduction ». C’est à ce propos d’ailleurs qu’il justifie ses choix scénographiques : un seul lieu, point de convergence de tous les chassés- croisés, un dispositif scénique unique dont la géométrie variable est structurée par la lumière.
La mise en scène reste néanmoins très conventionnelle, glose pléonastique d’une musique elle-même déjà conventionnelle à l’extrême. Néanmoins, pour ceux qui prisent le genre, avouons que musicalement cette production est irréprochable.
Une distribution judicieuse, des chanteurs dont les timbres vocaux s’équilibrent parfaitement dans l’interprétation des duos et ensembles (petite mention spéciale pour Juliette Galstian, Valenciennes), l’excellence des chœurs, la direction pétillante d’Armin Jordan… cette opérette est une véritable réussite !
La Veuve joyeuse jusqu’au 31 décembre 1998 à l’Opéra Bastille
Direction musicale : A. Jordan ou R. Bibl en alternance
Mise en scène : J. Lavelli
Avec Frederica Von Stade (Hanna Glawari), Juliette Galstian (Valencienne), Waldemar Kmentt (baron Mirko Zeta),
Hakan Hagegard (Graf Danilo Danilowitsch), Gwyn Hughes Jones (Camille de Rosillon)