Entre chapeaux farfelus, collages hauts en couleurs, courts métrages au montage nerveux, il y en a pour tous les goûts du côté de la Folie 78, galerie intime où Merrill Aldighieri s’est installée pour un mois…
En passant devant la vitrine du Musée de l’Erotisme, le promeneur attentif aura remarqué un écran de télévision diffusant un drôle de dessin animé qui mélange humour et polissonnerie. Des soucoupes volantes en forme de sein kidnappent de charmants petits pénis dansant allègrement, des derrières rebondis se font fesser au point d’être en feu… « Je suis fascinée par les sujets à caractère sexuel, mais j’aime aussi les cartoons. Quand on pense à l’érotisme, on y associe la séduction. Je ne crois pas que mes dessins soient basés sur cette idée mais plutôt sur la crise de fou rire qu’on a après l’amour. » Ainsi parle l’auteur de l’animation en question, Merrill Aldighieri-Balbo, à l’allure aussi douce et paisible que ses créations sont déjantées et bouillonnantes d’un humour irrésistible (des siamoises en bikini -l’une sortie tout droit d’un beach movie, l’autre obèse-, une pin-up accompagnée de la légende « Femme torturée par une insurmontable envie de se gratter » pour ne mentionner que ces photos-là).
Double actualité pour Merrill, en ce moment, avec une rétrospective intitulée Ça me fait tourner la tête à la Galerie 78 Folie et une participation à l’exposition Féminin – Féminin première au Musée de l’Erotisme. Une occasion de se familiariser avec son univers coloré et acidulé, ses dessins aux contours souples et élastiques, ses photos retouchées sur un vieil ordinateur Amiga, unique survivant d’une race éteinte. « La science-fiction m’inspire. J’ai aussi pioché dans Alice aux pays des merveilles. Je ne suis plus autant fan de contes de fées que je ne l’ai été, mais enfant, j’en raffolais ». Sa collection de délirants chapeaux (réversibles, fluorescents, taillés dans d’incroyables matériaux, à essayer et à s’offrir) vole presque la vedette aux kilomètres de vidéos, courts métrages et documentaires, témoignant d’une créativité bouillonnante. A la limite de la boulimie. « Je me suis intéressée très tôt à l’art. Mon père est pianiste de jazz, ma mère, décoratrice d’intérieur. Ils laissaient traîner des livres dans toute la maison. Je viens du New Jersey, d’un endroit perdu dans la montagne, mais pas si éloigné de New York. Enfant, j’ai connu des extrêmes. Je jouais dans les bois, parlais aux arbres et une fois l’an, nous allions à New York changer mes lunettes. J’ai eu la chance, vers 15 ans, d’avoir un professeur qui a obtenu des fonds, avec lesquels il a acheté des caméras aux élèves. C’est là que j’ai réalisé mon premier film, totalement surréaliste. J’ai créé les décors, embauché les élèves de ma classe… Ensuite, au moment des premières manifestations anti-guerre du Vietnam, j’ai pris du LSD et suis allée à Washington ma caméra sous le bras. J’ai tourné un truc complètement surexposé, suis rentrée chez moi pour m’apercevoir que j’avais paumé la pellicule. J’adorais également toutes les autres formes d’art : la musique, l’artisanat, le dessin. Je n’arrivais pas à me spécialiser dans un domaine. J’ai d’ailleurs obtenu quatre diplômes à l’Université : multimédia, verre soufflé, céramique et cinéma. Souffler du verre était très similaire à la réalisation d’un film : tout est question de lumière. Je me suis toujours sentie attirée par la lumière, comme un insecte ou un homme des cavernes, c’est un sentiment très basique. J’avais la même impression d’attirance irrésistible en soufflant du verre qu’en regardant à travers l’objectif d’une caméra. »
Un premier emploi de cameraman chargée des informations pour une chaîne câblée californienne aide Merrill à comprendre qu’il est impossible de rendre hommage à Fellini, son idole, tout en filmant des interviews d’hommes politiques. Après avoir demandé au gouverneur de Californie ce qu’il pensait de Huit et demi (sans obtenir de réponse pertinente), profitant d’une crise de panique de la journaliste chargée de poser les questions, elle repart pour New York. Là, elle rencontre Jim Henson et les Muppets, crée des dessins animés éducatifs pour Sesame Street et tourne un documentaire sur la réalisation du long métrage à marionnettes Dark Crystal. Sur sa lancée, Merrill revient à ses premières amours et tourne un film de science-fiction. Lorsqu’un night-club l’invite à projeter son œuvre, elle demande à venir tester le lieu, afin de vérifier s’il conviendra. « J’ai passé une semaine là-bas à jouer avec l’ambiance. J’improvisais des choses que je diffusais sur les écrans de télé parsemés dans le club. J’avais une caméra, des images abstraites saisies dans la journée et des morceaux de documentaires sur la nature. J’écoutais la musique et je créais. Le club a apprécié mon boulot, diffusé mon film, ce qui était plutôt étrange : les gens se sont arrêtés de danser pour le regarder… J’ai continué dans cette voie. Pendant la journée, je me construisais une bibliothèque d’images et le soir, je délirais avec. J’ai inventé le mot « vidéo-jockey » pour ma feuille de paye. Tous les soirs, il y avait un groupe différent en concert. J’en profitais habituellement pour dîner. Un soir, je suis restée là pour filmer. A l’issue de quoi, j’ai trouvé ça si excitant que j’ai décidé de le faire au quotidien. » Y sont passés les Psychedelic Furs, Magazine, Richard Hell, les Raincoats, Suicide, etc. Chaque jour, le 78 Folie diffusera des extraits de ces fameux concerts, une occasion de (re)voir des groupes injustement relégués aux oubliettes, filmés avec une simplicité rafraîchissante. Et parfois, en très gros plan, comme pour ce show de Magazine, lorsque la foule enthousiaste a poussé Merrill et sa caméra sur la scène…
Galerie Folie 78
Ca me fait tourner la tête
78 rue de la Folie Régnault
Paris 11e – M° Père Lachaise
Du mardi au dimanche de 15h à 19h, jusqu’au 4 janvier.
Musée de l’Erotisme
Féminin – Féminin première
72 Boulevard de Clichy
Paris 9e
Tous les jours de 10h à 2h, jusqu’au 11 mars.