Martin Cognito, jeu de mots idiot pour désigner un cinéaste connu, mais qui, pour des raisons bonnes et mauvaises, préfère garder son identité secrète. Claudine, son premier essai cul, est une tentative honorable, quoique inaboutie, de s’approprier le genre, tout en travaillant dans une économie donnée, pour ne pas dire précaire. Entre SM cheap et ambitions intello, HPG et esthétique raffinée, ledit Cognito nous parle de son nouveau hobby. Afin de préserver le mystère autour de sa personne, le pornographe à cagoule préfère les interviews par téléphone.
Chronic’art : Pourquoi le désir de réaliser une trilogie pornographique ?
Martin Cognito : C’est parti d’un pari avec un ami de chez Colmax, qui m’a demandé en rigolant pourquoi je ne réalisais pas de porno. Il se trouve qu’à ce moment-là, je disposais d’un an de liberté avant la préparation d’un gros projet dans le cinéma traditionnel, et, au lieu de prendre des vacances, je me suis dit que j’allais me lancer. C’est comme ça que j’ai proposé à toute mon équipe habituelle de réaliser trois films.
Quelle était votre vision du porno avant de tourner Claudine ?
La même que tout le monde. On peut dire que j’étais pornophile, dans le sens où je voyais souvent des cassettes de cul, en particulier celles de Colmax, plutôt du haut de gamme donc. Mais je n’ai jamais vraiment plongé dans les arcanes du porno gonzo.
Y a-t-il des cinéastes que vous admirez dans le porno ?
Oui, surtout les vieux cinéastes des années 70. J’aime beaucoup les films de Michel Ricaud par exemple. Dans les réalisateurs récents, il y en a un qui fait beaucoup d’efforts, c’est John B. Root. Son petit dernier, French beauty, est vraiment intéressant. Mais comme il produit lui-même ses films et que Canal Plus reste sa seule porte de sortie, il est prisonnier d’un cahier des charges qui l’empêche parfois d’aller jusqu’au bout de ses ambitions. Eux qui sont soi-disant les parangons de la modernité culturelle n’acceptent pas par exemple de scènes homosexuelles masculines dans les films pornos qu’ils diffusent.
C’est sûr qu’en commençant votre film par un godage d’homme, vous ne risquez pas de passer sur la chaîne cryptée…
Pas de godage d’hommes, pas d’introductions d’objets autres que ceux destinés à cet effet, et pas de scènes d’amour avec un flingue. Mais le plus rageant, c’est que c’est eux qui s’autocensurent, pas le CSA.
Et vous, vous n’avez jamais été freiné dans votre ambition par le cahier des charges « cul » de la production ?
Je n’avais pas de cahier des charges, et du coup, c’est moi qui me suis censuré. Sur Claudine surtout. Axelle, mon film suivant, ressemble beaucoup plus à ce que j’avais envie de faire.
On a l’impression que vous n’êtes pas toujours à l’aise avec les scènes de cul…
C’est exactement ça. Elles sont trop longues.
Oui, on aurait presque envie de les zapper pour passer aux scènes dialoguées, au contraire d’un porno lambda…
Des hardeurs comme HPG, Alban Ceray ou Piotr Stanislas me disent la même chose. De la part de gens qui ne font des films où il n’y a que ça, je trouve ça marrant. Lorsque je filmais, je me demandais sans cesse s’il y aurait assez de scènes X dans mon film. Alors on en rajoutait, on filmait un peu plus longtemps, et tout d’un coup, j’étais pris entre deux feux. Je me disais « merde, si je fais un film où il n’y a pas assez de scénario, ça ne va pas plaire au public que je recherche, et s’il n’y a pas assez de sexe, ça ne plaira pas aux autres, donc ça ne va plaire à personne ». Et effectivement, je suis très content de quelques scènes, beaucoup moins de certaines autres. Certains réalisateurs font les malins en disant « moi, si je faisais un film de cul, ça serait cent fois mieux », mais on s’aperçoit que, en-dehors des similarités techniques, c’est un métier à part, parce qu’il n’y a que quatre jours de tournage, parce que les gens ne sont pas payés de la même façon, parce que la relation aux acteurs est très différente.
Par exemple ?
Des gens comme Ovidie ou HPG ne demandent qu’à être dirigés, mais sont-ils vraiment prêts à bouleverser leur méthode ? Il faut se mettre à leur place : ils ne touchent pas assez d’argent pour faire des répétitions en amont ; ce sont des gens qui sont habitués à tourner quatre films en un mois, et, évidemment, on ne peut pas rentrer dans quatre personnages différents en un mois. C’est très dur, alors on essaie de les diriger du mieux qu’on peut, et eux aussi, de leur côté, font un effort incroyable. Je suis très satisfait du résultat sur HPG, et lui aussi, parce qu’il s’est donné énormément de mal, jamais il ne s’est fait malmener à ce point, dans le bon sens du terme.
Il pourrait être un vrai bon acteur…
Oui, mais il doit faire plus qu’un effort, il faudrait qu’il change toute sa vie. Si je mettais un million de francs sur la table en lui disant qu’on prend six mois pour faire le film, les choses seraient différentes.
Comment étiez-vous perçu par les gens du milieu ?
J’ai fait la connaissance de gens extraordinaires, alors qu’on suspecte toujours les gars du porno de ne pas être pros ou d’être libidineux. J’ai rencontré des assistants electro qui ont tourné plus de 150 films depuis vingt ans, qui sont payés des clopinettes, et pourtant je n’ai jamais vu des techniciens travailler comme ça dans le cinéma traditionnel. Une motivation due peut-être à la teneur du projet, qui s’annonçait différent. C’est aussi une question de reconnaissance. Par exemple, d’habitude, lorsqu’ils bossent sur un film, ils sont obligés d’acheter la cassette pour voir le résultat, car personne ne leur envoie. Le chef-op de Claudine, qui a travaillé avec Pialat, meurt d’envie de s’exprimer sur son métier, mais personne ne lui demande jamais rien. Du coup, il est vachement content qu’on s’intéresse à lui : d’ailleurs, c’est le premier porno qu’il signe de son vrai nom. Bref, il revendique quelque chose, et ça me fait plaisir. Ca change des interviews de Pierre Woodman à la télé, le genre de mecs qui donnent une image déplorable du X.
En dévoilant votre identité, ce travail de mise en lumière aurait quand même été plus facile, non ?
Oui et non. D’ailleurs, je vais même pousser le bouchon plus loin. Le long métrage traditionnel que je vais tourner l’année prochaine sera signé Martin Cognito et je garderai ma cagoule. Du coup, on se dira : « ouais, c’est un mec qui vient du porno », et les choses seront vraiment inversées. C’est marrant de jouer avec les codes du porno et de le porter vers le haut. J’aurais pu tourner le film pour deux millions de francs, en quinze jours, et sous mon vrai nom, car le film aurait été assuré de mieux se vendre. Mais j’ai préféré me battre avec les gens et avec leurs moyens, c’est-à-dire les moyens d’un porno haut de gamme de chez Marc Dorcel ou Colmax. Le respect, c’est de se battre avec les mêmes armes.
Que pensez-vous apporter au genre en venant du traditionnel ?
Apporter, je ne sais pas, je n’ai aucune prétention sur ça, mais j’espère seulement avoir proposé un regard nouveau. J’ai l’impression que le X était intéressant dans les années 70, et que c’est moins le cas aujourd’hui, à part un ou deux ovnis.
Il y a quand même eu l’apparition du porno amateur qui a changé la donne.
Peut-être, mais par rapport au regard que porte la société sur le genre, ça n’a rien bouleversé. Rien que le fait de refuser des scènes homosexuelles masculines cloisonne le genre. Alors que dans le traditionnel, il y a des Breillat, des Despentes, qui font avancer les choses. Ou le dernier Noé qui se rapproche des limites de la représentation du sexe à l’écran. La seule nouveauté d’une cassette X à une autre, c’est qu’il y a des doubles pénétrations anales dans une et des triples dans l’autre. Par exemple dans Axelle, il n’y a aucune sodomie, et c’est un choix délibéré, aucune éjaculation, sauf celle d’un type sur les fesses d’un autre, ce qui, dans le cadre, d’un film hétérosexuel, est plutôt nouveau.
Vous pensez que le public est prêt à accepter ce mélange des sexualités au sein d’un même film ?
J’espère. Je pense que le public du porno n’est pas plus con qu’un autre. Si on l’accepte dans le cinéma traditionnel, pourquoi pas dans le porno. C’est exactement le même public, des gens comme vous et moi, à part deux ou trois cinglés. Alors, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas lui raconter autre chose, différemment, avec plus de scénario. Il y aura toujours des films gonzo qui proposeront 120 sodomies à la minute, mais il y a peut-être la place pour un cinéma intermédiaire, des films qui ne seront pas forcément faits pour se masturber, mais juste pour exciter un peu.
Si vous aviez la possibilité de faire tourner des acteurs traditionnels dans un porno, vers qui vous tourneriez-vous ?
Catherine Mouchet, parce que je la trouve extraordinaire, et puis « Thérèse, deux qui la tiennent, trois qui la baisent », c’est quand même pas mal. De toute façon, c’est complètement idiot, parce que je n’aimerais pas lui demander ça. Un couple, ça serait Gena Rowlands / John Cassavetes, mais là je ne prends pas trop de risques…
Propos recueillis par
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