Le 63e festival du film de Locarno s’est tenu du 4 au 14 août 2010. Repris en main par Olivier Père, ex-directeur artistique de la Quinzaine des réalisateurs, le festival au léopard s’offrait cette année un sérieux lifting. Compte-rendu.
Comme prévu, beaucoup de changements à Locarno cette année. Par exemple et pour commencer, une nouvelle bande annonce glissée au début des projections, classieux diaporama de quelques plans, quelques noms, qui jadis firent la renommée de ce festival vieux de 63 éditions, déjà. Vans Sant, Rivette, Kiarostami, Rossellini, Kubrick, Sokurov… : dans ce teaser un brin volontariste, facile d’identifier l’ambition avec laquelle Locarno entend renouer, celle d’un festival qui fut parmi les tout premiers puis avait perdu, ces dernières années, un peu de ce lustre. Surtout, cette belle vitrine évoque méchamment celle de la Quinzaine des réalisateurs et il n’est pas interdit d’y voir autre chose qu’un hasard, puisque c’est Olivier Père, ex-directeur artistique du prestigieux off cannois, qui a dès cette année la charge de ce reboot.
Autant dire que pour les habitués des festivals, le jeu consistait cette année à pister, dans tous les recoins de cette édition, les échos petits et grands de ce qui fut à la Quinzaine la patte Olivier Père. Facile, comme jeu : ces échos étaient partout. D’abord, dans les rétrospectives et les sélections, pareillement colorées d’un éclectisme dont Père est coutumier et qui pourrait se voir résumé par un grand écart entre une cinéphilie pointue et volontiers austère (étaient présentés, par exemple, le dernier Straub ou le nouveau Franco Maresco, désormais en solo), et une autre plus déviante, plus nerd (invités sur la Piazza Grande : des E.T. anglais – Monsters, SF façon District 9 – et des zombies allemands – Rammbock, énième déclinaison assez dispensable dans l’ensemble). Les hommages rendus cette année affichaient clairement la couleur. Outre Lubitsch (une rétro intégrale qui vient de faire escale à la Cinémathèque) et Jia Zhang-ke (venu recevoir son prix sur scène avec une modestie exemplaire : « Bonsoir, je m’appelle Jia Zhang-ke, j’ai 40 ans, je viens de Pékin, je suis cinéaste »), étaient honorés John C. Reilly et, belle idée, Menahem Golan, illustre patron de la Cannon film qui produisit dans les années 80 une pelletée de nanars avec Chuck Norris et Van Damme, mais aussi Godard et Cassavetes. Les échos de la Quinzaine étaient aussi repérables en dehors des salles, par exemple dans les fêtes données quotidiennement au Baron, délocalisé pour l’occasion (comme à Cannes, donc), et où se pressait une représentation quasi exhaustive d’artistes maisons invités à composer les jurys (Miguel Gomes, Lisandro Alonso, Eric Khoo, Josh Safdie…). C’est dire si le lifting visait aussi, via ces mondanités, à donner à ce Locarno nouveau une résonance nettement plus branchée – quitte à surfer sur une hype déjà éprouvée ailleurs (Quentin Dupieux, venu présenter Rubber, vu cette année à Cannes). Aucune raison de se plaindre de ce virage mondain et festif dont Locarno avait indéniablement besoin – l’aura d’un festival de cette catégorie passe aussi, beaucoup, par là. Au passage, une info glanée en papotant avec Josh et Benny Safdie, assez émouvante pour qui suit depuis le début la filmo des new-yorkais : leur nouveau film (un moyen métrage présenté ces jours-ci à Venise) a été tourné avec une caméra super 8 à haute teneur sentimentale, puisqu’il s’agit de celle qui fut braquée durant leurs jeunes années par leur père, enragé du home movie dont Lenny & the kids faisait le portrait à peine déguisé.
En vrac, un mot de quelques films vus, parmi beaucoup d’autres loupés par manque de temps (le chinois Winter vacation, qui est reparti avec le Léopard d’or ; Curling, le nouveau Denis Côté) ou, simplement, d’envie (Au fond des bois, le dernier Jacquot).
Cyrus (Jay et Mark Duplass) : on y revient vite, puisque le film sort chez nous dans une grosse semaine. Casting impeccable (John C. Reilly, donc, Jonah Hill, Marisa Tomei, Katherine Keener) qui glisse le film, forcément, sur l’horizon ouvert par ceux produits par Apatow. Le pitch lui-même (Reilly se recase avec Marisa Tomei puis découvre qu’elle a un fils de 20 ans – Hill – collant, qui va lui déclarer la guerre) semble installer le film dans le prolongement de Stepbrothers, mais les frères Duplass, nouveaux héros du cinéma indépendant américain, le ramènent sur un terrain plus psychologique qui est un peu la limite du film. Systématiquement celui-ci recadre, dès qu’il atteint les frontières que les Apatow movies franchissent avec le succès que l’on sait (obscénité des situations, violence des sentiments) et ce ne serait pas un problème si on n’avait pas le sentiment que dans cet atelier psychothérapie les Duplass croient faire plus fin, plus profond, alors que c’est plutôt le contraire. Mais le film reste plaisant, plutôt drôle, et surtout magnifiquement joué – c’est clairement le meilleur rôle de Jonah Hill à ce jour.
Cold Weather (Aaron Katz) : dans un même registre indé américain, une plutôt bonne surprise. Le film commence comme une fiction Sundance type (autour d’un trentenaire velléitaire qui, abandonnant ses études, revient vivre chez sa sœur à Portland et trouve un job dans une fabrique de glaçons), mais assez réussie, bien menée. Puis il prend un drôle de virage : l’ex du type disparaît, et celui-ci se retrouve embarqué par son collègue de l’usine à glaçon dans une enquête improvisée façon Club des cinq. La manière dont le film finit par prendre au sérieux ce virage, qui semble d’abord une simple diversion, est assez charmante. Par moments le film flotte un peu, et surtout il peine un peu à se finir, mais dans le genre, c’est assez surprenant, pas mal du tout.
Im alter von Ellen (Pia Marais) : un deuxième film allemand, avec Jeanne Balibar dans le texte en hôtesse de l’air quadra qui se fait larguer et, à partir de là, perd pied, se laisse flotter dans les courants vagues induits par ses rencontres, parmi lesquelles un groupuscule d’activistes écolo amis des bêtes. Sur un sujet rebattu, le film dans l’ensemble reste assez convenu, pas très inspiré, à l’exception de quelques scènes de flottement nocturne (le groupe relâche la faune retenue captive par les labos, les bêtes hagardes prennent possession des routes). Ces scènes-là arrivent tard, le film est déjà presque fini. Bof.
Foreign parts (Verena Paravel, JP Sniadecki) : un doc franco-américain assez classique (sur la ligne Wiseman, grosso modo) mais réussi, assez fort. Pendant plus d’un an, Paravel et Sniadecki (repérés l’an dernier à Cinéma du Réel avec Chaiqian) se sont immergés dans un ghetto du Queens, une enclave vouée à la démolition et exclusivement composée d’échoppes qui revendent des pièces détachées automobiles. Autour de ce commerce s’est constitué une communauté dont le film décrit la survie quotidienne, les pieds dans la boue, au milieu des carcasses de voitures. C’est l’histoire d’un double recyclage : celui des pare-chocs et des jantes et, en même temps, celui de ce sous-prolétariat que la mairie veut faire disparaître, qu’elle traite comme des rebuts. Encore une fois, rien de révolutionnaire là-dedans, mais la manière dont le film s’empare de ce cadre, dont il ne sort jamais, est à la fois sobre et pertinente.
Ivory tower (Adam Traynor) : petite sensation branchée venue du Canada, écrite et jouée par Gonzales, qui commence un peu à ressembler à Jean-Luc Bideau (au casting figurent aussi Peaches et Tiga – la première s’en sort moyennement, le second plutôt très bien), filmée par un membre (et clippeur) des Puppetmastaz. Avec Steak, Dupieux a peut-être ouvert une voie pour un cinéma de clippeur arty, burlesque et raffiné, dans laquelle Ivory tower s’insère assez honorablement. Le film part d’une bonne idée : un ancien champion d’échecs refuse désormais la compétition et invente les « échecs jazz », variante free ramenée au pur mouvement des pièces, autorisées à circuler sur le plateau au gré du feeling des joueurs. L’idée ne suffit pas à faire un film (autour de ça, le script brode une histoire de rivalité entre frères qui lorgne un peu sur les terres de Wes Anderson), mais Ivory Tower a pour lui quelques bonnes scènes et mérite le coup d’oeil.
Memory lane (Mikhaël Hers) : on en reparle bientôt, le film sort en novembre. Adoubé par Luc Moullet, qui est un gros fan, Hers s’est fait connaître avec une poignée de moyens métrages (l’an dernier, Montparnasse) dont Memory Lane continue le programme. Soit : le portrait vaguement mélancolique d’amitiés de jeunesse dont l’angle serait, disons, municipal – de Montparnasse à Boulogne ici, les films vaquent de bibliothèques en piscines et parcs municipaux. Devant Memory Lane comme devant les courts, l’impression est étrange : impression de se retrouver devant une absolue caricature de naturalisme à la française (et puis ces jeunes-là sont à baffer – ils sont affreusement gentils, mous, limite giscardiens), et pourtant le résultat est très beau, Hers a trouvé une tonalité, une musique, assez entêtante, délicate, le film est vraiment réussi. On en reparle bientôtt, donc.
L’Avocat (Cédric Anger) : pour finir, un fou rire. C’est le deuxième film de Cédric Anger, après Le tueur, et c’est un navet qui, dans ce domaine, atteint des proportions héroïques. Magimel joue un jeune avocat tombé sous la coupe d’un parrain méditerranéen et pris « dans un engrenage mortel ». Un nouveau film noir, donc (il faut concéder à Anger la limpidité de ses titres), qui commence comme L’Impasse puis glisse impitoyablement, en, allez, deux minutes, du côté d’un épisode moyen de Navarro – en moins bien. En même temps, il faut lui reconnaître une forme de modestie, le film n’est pas arrogant pour un sou, semble assumer totalement son niveau téléfilmesque. Certaines scènes sont irrésistibles et on ne prendra pas le temps de les décrire, mais il y en a une qu’il faut évoquer quand même parce que, on le disait, elle nous a valu un fou rire difficile à réprimer. Vers le milieu du film, Magimel, qui est mouillé jusqu’au cou, rentre à la maison où l’attend sa compagne (jouée par Aïssa Maïga) qui est enceinte et ne se doute de rien. Les scènes domestiques du film sont parmi les plus drôles (sans exagérer, elles ressemblent, vraiment, à des pubs pour du jambon industriel), mais dans celle-ci se cache un détail génial. Magimel passe la porte du pavillon, donc, et retrouve Madame qui est en train de bouquiner sur le canapé du salon. Le détail qui tue, c’est le livre, qu’il faut connaître pour évaluer le ridicule de la situation (et plus globalement un certain ridicule, parfois, des films de critiques passés cinéastes) : dans le salon cosy où son mari la retrouve, la femme au foyer lisait The Magic Hour, recueil de textes du critique américain Jim Hoberman.
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