1 paire de bottes, 2 billets de train, 3 éléphants, 4 ou 5 verres, 6 rencontres, 7 ou 8 groupes, 9 « Whao ! » et une dizaine de frites-au-ketchup : notre reporter prolonge l’énumération de ses souvenirs glanés vendredi 24 juillet 2009 à Laval dans un compte-rendu oliphantasque, entre gymnastique rythmique et sportive et ventrigliss dans la boue.
Assise au Café de la Gare, je regarde les gouttes de pluie s’écraser sur l’asphalte de ce que j’espère ne pas être la rue principale. C’est un peu condescendant ? Possible. Ce qui est certain, c’est que rien ne peut entacher ma bonne humeur : Laval, quelques bières, des gens de bonne compagnie. Je me réjouis qu’il pleuve aussi fort. Je souhaiterais même que ça tombe par trombes pendant encore une heure ou deux, pour que le ciel puisse s’apaiser dans la soirée. Autour de la table, les chaises se rapprochent les unes des autres, les intempéries savent parfois engendrer une promiscuité assez agréable. Dans le petit-train qui fait le tour de la ville, les touristes s’abritent comme ils peuvent, ils n’écoutent plus la voix augmentée et nasillarde qui leur apprend que « la gare a été inaugurée par Napoléon III en 1858 et entièrement reconstruite depuis ». Ils mourront certainement d’une pneumonie mais pas plus bêtes qu’ils ne l’étaient avant la visite. Après quelques recherches il s’avèrerait que ce fait concerne la gare de Caen et non celle de Laval. La fin d’un mythe… La pluie se fait battante, excuse pour prendre un verre, et un autre, et encore un autre. Un bonhomme moustachu les amène par plateau avant de les poser en face de chacun d’entre nous, sur des sous-bocks à l’effigie des Trois Eléphants. En terrasse comme derrière le comptoir, c’est jour de fête. La pluie devient de plus en plus douce puis disparaît. Nous arrivons sur le site du festival.
Quelques minutes plus tard, bracelet autour du poignet et boue jusqu’au genou, je pars explorer le site. Il y a ce je-ne-sais-quoi dans les festivals qui fait que l’on apprécie tout ce qui nous entoure avec tendresse et bonne humeur, surtout ce qu’on aurait trouvé intolérable ailleurs. Le van embourbé dépanné en tracteur : fun ; les banderoles en graffiti indiquant les différents stands : mignon ; l’installation faite de petites cagettes en bois recouvrant l’entrée des loges : ingénieux. Oui, je suis définitivement de bonne humeur, ce je-ne-sais-quoi du festival est simplement de l’enthousiasme collectif, qui fait que l’on se sent plutôt pas mal où l’on est et avec qui on y est. Il y a autant d’expériences possibles que de gens réunis. Et ce vendredi-là, les forces en présence étaient propices à générer des agencements formidables. 19h00, les concerts commencent mais les festivaliers tardent à arriver, craignant une autre giboulée et prolongeant l’apéritif au sec.
Gablé se produit sous le chapiteau, les morceaux se suivent et ne se ressemblent pas. Des expérimentations qui sur le papier pourraient laisser craindre le pire, son 8-bit + rap + violoncelle, reçoivent un accueil chaleureux de la part du public. Les Bewitched Hands On The Top Of Our Heads prennent la relève. La pluie a réapparu, les festivaliers s’agglutinent sous la grande toile et profitent pendant une petite heure d’un abri, d’un très bon concert et finissent par tremper leur tee-shirt en sautant partout. Leur pop lumineuse a su conquérir les néophytes et réjouir les aficionados qui ne se lassent pas des chœurs en colliers de fleurs, des mélodies touchantes et rafraichissantes, de l’énergie brute qu’ils ont en live. Un vrai concentré de bonne-humeur-bonne musique qui ne peut laisser personne indifférent. On croirait sur parole les membres du groupe s’ils nous disaient qu’il fait hyper beau (… en tous cas il ne pleuvra plus) et qu’ils ont écrit et composé leurs morceaux sur la plage (à Reims). Par contre, ce qui est certain, c’est qu’on va être nombreux à se rendre chez le disquaire dès que leur album y sera (début 2010). La foule se disperse, et laisse place à des petits groupes de personnes qui feignent d’hésiter quant à leur prochaine destination avant de se diriger d’un pas lent mais assuré vers : choix A la grande scène pour aller écouter Ayo / choix B le bar plutôt que d’aller écouter Ayo.
Je remarque (comment ne l’ai-je pas vu plus tôt ?) qu’un certain nombre de festivaliers portent des chapeaux végétaux ou des couvre-chefs étranges à thème floral. Hum… C’est le moment d’aller moi aussi (d’un pas pressé et assuré) mettre de côté ces apparitions champêtres pour leur préférer le comptoir du VIM en y espérant moins de couronnes de lierre et plus de dionysiaque. « Hey how ya doin’, Sorry ya can’t get through, Why don’t you leave your name, And your number, And I’ll get back to you ». Voilà le VIM un nom qu’on ne comprend pas (pourquoi un M et pas un P ?) : un Dj qui nous veut du bien, un bus magique, une énorme boule à facettes et des gens qui font des pyramides humaines. Une page se tourne, on n’entendra bientôt plus le fameux appel « Apéro » dans les campings de France et de Navarre, c’est trop 2002. Le véritable cri de ralliement, celui des vrais, des initiés aux grandes vérités du monde sera « Base 5 », et on verra s’élever au dessus des tentes, à côté des bars, devant les scènes des pyramides humaines… Là, L’édifice tangue un peu : structure de base 4/vent de force 8 en haut. Les bénévoles sortent leurs appareils photos pour immortaliser la beauté de cette œuvre collective et spontanée (pour mater les deux filles qui surplombent l’ensemble, l’une en une mini-jupe, l’autre avec un décollé plongeant). J’en profite pour demander (enfin) à un bénévole pourquoi ces déguisements. « C’est la brigade Verte. » dit-il, avant de retourner vaquer à ses occupations et de me laisser sans réponse. Quelque soit le but de la brigade verte (faire penser aux gens qui les voient qu’ils ont bu plus que nécessaire ? faire passer l’envie d’aimer la nature? appeler la Brigade de la Mode et que ça se termine en baston?…) le festival est très green-friendly : toilettes sèches, écocups et jeunes fumant des joints.
Les encapuchonnés de Stuck In The Sound (lire notre interview) les sortent de leur léthargie. Au fil des morceaux les mains se lèvent (pour claper ou filmer avec les téléphones), les lèvres dessinent des AAHHH, des OUUHH, des Jooooosééé, des OUAIIIIIS et les pieds vont là où le rythme les emmènent. La batterie est implacable-impeccable et donne un tout autre relief aux morceaux. Elle ne fait pas que les accompagner, elle les porte, les pimente, les violente pour leur bien. Autour, les guitares sont acerbes, la basse se veut lourde et la voix se balade avec nonchalance et assurance entre les graves et les aigus. (Sur le chemin du retour, alors que j’étais trop fatiguée pour tenir une discussion ou un raisonnement quelconque, je me souviens n’avoir été intrigué que trois choses formulées par le questionnement suivant :que fais-je au Mans?, pourquoi n’enregistrent-ils pas en live ? à quoi peut bien être ce sandwich ?). La nuit tombe et les guitares disparaissent. Etienne de Crécy domine la place et l’électro du haut de son cube illuminé, mais je lui préfère Peter Digital Orchestra, ses cheveux gominés, ses lunettes de soleil et sa cravate rouge sur polo blanc. La scène végétale ressemble a une paillote 4 étoiles. Une solide charpente en bois, un toit léger mais fiable, des kilos de son. Il ne manque plus qu’un hamac et c’est l’image qui vient quand on rêve d’une vie insulaire avec du cotomili et des colibris. La réalité est tout autre : en face de moi la moustache et le set bien fournis, Peter Digital Orchestra enchaîne beats, breaks, accélérations. La foule danse et se demande qui est ce ringard et pourquoi elle n’en a pas entendu parler avant. Peter lance quelques insanités au public entre deux morceaux, (pendant les morceaux aussi) et termine après une gigantesque montée. La folie rôde et les gens hurlent pour qu’il continue. Peter remonte sur scène, une minute, juste une minute le temps de raviver le feu, avant d’éteindre musique-et-lights d’un coup. Ahah ! De loin j’entends alors Mix Master Mike jouant toujours les mêmes choses mais de moins en moins bien… Son set est une sempiternelle répétition de la même formule (morceau des Beastie Boys + beat / scratch / sample / effet / scratch + n’importe-quel-autre-morceau-et-si-ça-marche-pas-ensemble-on-scratchera-plus) qui vieillit sans se renouveler. L’espace-temps se compresse. Nous voilà déjà de retour à l’hôtel : fini le foin, adieu la boue. Les mini-savonnettes, la moquette grise, l’imprimé floral vert et rose du couvre-lit, la proximité du rail et l’heure déjà bien avancée sont autant d’indices de l’imminence de notre départ.
La télé grésille un instant puis la voix d’une actrice de série Z tape contre les murs et résonne dans ma tête. Quelqu’un frappe à notre porte. Ma tête va exploser. Désolée, It’s The End Of The Night, on n’a plus de cigarettes, mais le tabac va ouvrir bientôt. Bonne Nuit. J’enlève mon tee-shirt. Il sent la bière, la nicotine, le parfum et aucun rapport mais quand j’y pense, je n’ai pas vu un seul drapeau folklorique embrumer la visibilité de la scène (ce qui est un fait remarquable). Avis à ceux qui ont des souvenirs en 12 images/secondes, les bretons n’y sont pour rien cette fois. Le bonheur tient à peu de choses. Cet été, j’écrirai des cartes postales à mes nouveaux copains, et l’été prochain je reviendrais bien.
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