Stéphanie Vidal et Wilfried Paris sont nos petits reporters à Rennes pour les Transmusicales, et vont essayer de vous rendez-vous-compte de tout ça dans les temps, au jour le jour, entre gueule de forêt et rue de la soif. Prenez le train des Trans.
Mercredi 3 décembre – Rain in Rennes
Départ en live pour Rennes à 7h05 mercredi matin, Stéphanie m’appelle à 6h30 métro Notre Dame des Champs pour me dire qu’elle vient de se réveiller et qu’il s’agit d’un acte manqué et qu’il va falloir que je l’attende à la gare pour le train suivant. Pas de souci, mon ami Paul qui multiplie les petits pains est là. Finalement arrivés ensemble peau de bête autour du cou, capuche sur la tête, à Rennes, où les arbres dans les rues ont des voiles de veuves qui retiennent les feuilles mortes, nous retrouvons l’hôtel Angelina pépère, repère, enclave, refuge, gîte et couverts de la presse. Pressés crevards de magazine spécialisé, j’ai le lit d’enfant dans la chambre pour trois, Stéphanie et Anastasia partagent le deux-places, me promettent des berceuses et une équipe de rugbymen au milieu de la nuit, la porte de la salle de bains ne ferme pas, promesse de promiscuité, il faut lever vers le plafond le sèche-cheveux pour qu’il sèche les cheveux, nous le faisons sur la pointe des pieds.
Mais tout roule, je roule mes cigarettes et pose sur le tapis roulant du Carrefour-Market mon jambon beurre et mes bières qui feront mon repas de la journée, au moins je ne dors pas dehors comme ces punks à chien entre lesquels je slalomme, regardant sur le côté. Pas de neige cette année, mais pluie pénétrante et embellies soudaines qui réchauffent le dos, Chloé des nuits sonores poste sur Facebook « Paris Pluie », je commente « Rennes Soleil », pas mécontent, et pars pour le « Village Pro », amoncellement de tentes entre le Gaumont et le Liberté, chercher le pass et le bracelet bleu, sésames de la Liberté, de l’Aire Libre, de l’Ubu, et des grandes Halles à chaussures de Saint Jacques. Bonus, un DJ-bag « Converse / Les Trans » avec des papelards partenaires. Puis, direction les Bars en Trans, où rebelote, nous chopons le pass et le Dj-bag « Bar en trans », avec les prospectus ad hoc contre 10 euros participatifs. Stéphanie, aussi versatile et volatile que la météo, chante à tue-tête du Miossec dans la rue, « Tonnerre, tonnerre de Brest, mais nom de dieu que la pluie cesse ! », tandis que nous passons devant un magasin d’armes à feu. Nous voilà badgés et braceletés en route pour l’Ubu voir Peter Winslow, chaussé de red suede shoes filées, chantant un peu Ray Davies, un peu Marc Bolan, un peu vocodé, sur des pompes de Stardust (riffs de gratte) ou de LCD Soundsystem (fills de caisse claire). Le guitariste a un kit de pédales d’effets qui prend la moitié du plateau et le bassiste écarte les jambes en regardant droit devant lui. Un peu trop zikos en bande les gars, tout sur le click dans l’oreillette, pas un pain qui dépasse, les jolies chansons brit-pop revival trop mâtinées de french-touch au cordeau pour émouvoir plus que ça. Efficace, comme le défaut d’une qualité. On attend donc la suite et un peu plus de spontanéité.
La critique est facile, l’art est difficile, rabâchent les grincheux. On les emmerde en se souvenant que la critique, c’est tout un art, relisant le « Neil Kulkarni guide to being a record-reviewer » que Niadkaster nous twitte suite à ce cui-cui qui m’échappe : « Ne jamais oublier que le critique n’est pas là pour être aimé ». En effet, pendant le concert de Slow Joe, je commence à envoyer sur le Twittwall des Trans (#lestrans) des trucs pas très sympa, genre « Slow Joe à l’Ubu me rappelle Houellebecq à la Route du rock. Pour groupies gérontophiles » puis me ravise devant le beau concert du vieil Indien (66 ans) et de son jeune backing-band, The Ginger Accident, en me disant que ce mode de publication ultra-rapide ne convient sans doute pas à mon mode d’expression (écriture, rature, relecture, réécriture, rerelecture, send mail). Moins Bollywood qu’Ethiopiques (avec un Farfisa somptueux au milieu de la scène), très revival garage-rock’n’roll (basses rondes, grain légèrement saturé, chœurs de voix à la Monks), la rencontre entre le vieux crooner indien sinatresque (qui n’avait jamais mis les pieds en Europe et correspondait par envoi de bandes avec le groupe), et le quatuor carré funambule (toujours rattrapant le vieux sur le fil du tempo ), à défaut d’être fusionnelle (bien compartimentée : le lead-singer sexy-sexagénaire d’un côté, les louveteaux de l’autre), rencontre son public. On s’attendait à une arnaque pour journalistes, une belle histoire un peu montée en jolies pièces, mais non, la sincérité et l’amour de la musique affleurent aux oreilles. Entre deux chansons sentimentales de jeune soupirant, Slow Joe enlève sa veste en disant que nous sommes « beautiful » et que « we love you » et les groupies, gérontophiles donc, font « hooo » avec tendresse. Bon enfant, bon parent.
Ensuite, on se tapera la tête contre les murs devant Transformer, de Brighton, reformation 00’s de Partenaires Particuliers (lunettes Oxford, chemise à rayures et cols blancs, pantalon slims), mixant en live les refrains (seulement les refrains) des tubes 80’s (Sweet Dreams, New Life, My Heart Goes Bang) et ceux de la génération mp3 (osant beugler « We are your friends ») sur un unique tempo, une unique bassline, one beat, one heart, one love. Tous ensemble et « C’est la fin de la musique » me dit Stéphanie avec consternation. Effectivement, cette musique-gimmick rend triste et ce groupe juke-box fait pitié. On s’en fout, on prend des photos avec notre Lomo mini Diana (merci Peter de la Lomographie, sponsor officiel de nos aperos d’amour) d’Alan Gac et de Jean Louis Brossard, qui ont en commun d’avoir parfois des airs de gosses absolument touchants, une éternelle juvénilité qui rassure et assure des bienfaits de la musique sur les esprits et les physionomies. Click.
Pendant que je bosse, Stéphanie vit :
– Hé, on se connait non ?
– Non, je ne pense pas…
– Mais si, je suis certain qu’on s’est déjà croisés. Rodolphe !
– Non, toujours pas…
– Rodolphe, du Chien Chien à sa Mémére !
– ???
– C’est un canard satirique.
– Désolé, mais ça ne me dit rien.
– Et toi ?
– Je travaille pour Chronic’art.
– Connais pas. C’est un fanzine, un webzine?
– Oui, exactement.
– Nous aussi, on a une diffusion locale.
– Ah oui, nous, on est surtout concentrés sur Vesoul…
– Génial ! J’adore la Franche-Comté. Je suis allée à un festival dans les Vosges c’était cool. Il y avait de la musique et des activités sportives. De l’… de l’a…
– De l’acrobranche?
– Non c’était plus du VTT.
– D’accord ! Désolée, il faut que je m’en aille maintenant.
Jeudi – Vololontaires
Jour deux. Croissants-Nutella chez Angelina devant BFM TV avant 10h25 (parce que le petit déjeuner n’est plus servi après 10h30), et puis on se recouche. Réveil à « 13h du matin » (copyright Stéphanie Vidal) et c’est parti. On retourne au Carrefour-Market acheter du whisky (Bring Your Flasque) et on se dirige vers Del Cielo à l’Ubu, avec le sympathique moustachu et ancien rennais Thomas Burgel qui me paie une bière dans un verre en plastique consigné. Merci les Inrocks. Là, dans une certaine moiteur sombre, Liz Bastard pose précautionneusement ses mots travaillés, ressentis, habités, comme elle poserait ses pieds sur la cendre encore brûlante, avant de refaire son lacet parce que « C’est casse-gueule », comme elle le dit au public avec un sourire. Et quand le public montre les dents à cette tendre et terrible chanson sur « cette petite pute de vie », elle redouble son sourire en un « Ahaha » glaçant. Un peu chewing-gum du diable, un peu poupée brûlée en sacrifice, petite fille qui détache chaque syllabe au scalpel, Liz est soutenue sur ce chemin brûlant par un porteur de fûts concis, également présent dans les boucles de basses plombées et de guitares acides qui tournent tout autour. Le rituel est une épreuve dont on sort plus fragile, donc plus sensible et réceptif au monde comme il nous prend et nous retourne. Del Cielo teste la résistance de son auditeur, lui adresse quelques directives, invectives à la deuxième personne, et fait corps, attentifs ensemble pour de bon, à la première du pluriel. On finit plus vulnérable, mais aussi plus solidaire.
Suit Complot, complet, Jean Louis Brossard prend lui-même Rennes en main et institue de vive voix le « toute sortie est définitive ». On en profite donc pour fuir le Complot et filer vers la (le) Liberté. Là, je crois entendre Erlend Oye et son groupe faire une reprise de Harder, Faster, Better de Daft Punk, mais en fait, non, c’est un morceau original de son Whitest Boy Alive. Ca vire jam entre potes, jokes sur scène, où le grand dadais à lunettes fait chef d’orchestre, marmiton d’un melting pot electro-funk euphorisant et un peu théâtral (tout le monde s’immobilise sur scène soudain, créant le silence et la montée des cris du public, avant le retour du groove), joli warm-up d’une soirée qui s’avérera décevante. On est tous contents de retrouver la salle centrale du Liberté, et les « pros « sont nostalgiques dans le bar dédié, mais ni V.V Brown, (mini star R&B, qui a composé pour les Pussycat Dolls ou les Sugababes, et dont tout le monde se demande ce qu’elle est bien venue foutre ici), ni Abraham Inc (« collision improbable entre la tradition ashkénaze et le funk le plus brûlant », dixit la bio), ni Beast (une sorte de diva à la Shirley Bassey qui vocalise sur des thèmes trip-hop un peu rances) ne fédèrent l’enthousiasme. Par ailleurs, les concerts ont la mauvaise idée de se succéder, de bas (environ 5000 pelés) en haut (environ 800 pékins), et vice-versa, générant des afflux massifs de population massées et de plus en plus bourrées, comme il se doit, ce qui rend l’ambiance à l’Etage oppressante autant au propre qu’au figuré. Mais « c’est complet, on s’en fout », comme le dit un des organisateurs.
Je m’échappe donc, navigue à vue entre baraques à frites et bars VIP, évite quelques attachés de presse, me fait snober par Frank le magicien pour la troisième fois de la journée, ne sait plus si Jean Baptiste de EMI s’appelle bien Jean Baptiste quand il s’agit de le présenter à Thomas du 106, commence à devenir franchement parano dans le monde de la musique, c’est la crise, pense à me reconvertir dans la chanson pour de bon, ou la mauvaise littérature, ou bien peut-être l’agriculture, biologique, je ne sais pas, et finis par croiser avec bonheur Pénélope et Nicolas, le couple charmant de Cercueil, qui a joué plus tôt au 4Bis, dans une ambiance « mate et feutrée », inhabituelle pour ses performances, plutôt amples et profondes. De fait, Stéphanie me glisse « Ca sentait un peu le sapin ». On les suivra cependant avec plaisir à Paris, car c’est de toute évidence un groupe sur lequel il faudra compter ces prochaines années (leur heureuse présence dans la programmation officielle des Trans en est le meilleur signe). Je loupe aussi les punkettes anglaises An Experiment On A Bird In The Air Pump (qui ressemblent dans le stand presse à trois réplique de Gossip en miniatures) et Hook and The Twin de Bristol, alors que j’avais adoré ce morceau Bang Bang Cherry que m’a fait découvrir Pointard de We Want To Wigoler(ww2w.fr) pendant un week-end à poney dans l’Eure. D’aillEure, il est l’hEure d’y aller. Je vais me coucher et lire Haruki Murakami au lit en pensant à ma chérie qui fait la même chose à Paris. Je compte les moutons sauvages et enfin rêve d’oiseaux à ressorts.
Pendant que je rêve, Stéphanie vit :
-T’as de grosses lunettes, toi.
– C’est vrai, toi t’en as pas. T’as une bonne vue ? T’es pilote ?
– Presque, je suis chauffeur routier.
– D’accord. Tu viens voir quoi au festival ?
– Dj Sandra.
– Ah bon?
– Oui j’aime bien son côté volontaire, elle joue toute la nuit et elle a des gros seins.
– Vololontaire quoi…
– …
et
Lire les comptes-rendus de vendredi et samedi.
Vendredi – Groundhog Day
C’est le jour de la marmotte. Café-croissant-BFMTV-sieste, puis on se tape le compte-rendu des Trans qui sera mis en ligne quand Orange remettra du flux, ce qui fait de nous le « magazine_culturel_connecté » qui n’est pas connecté. Espérons que nos textes seront lisibles avant lundi, avant les vacances. Ou alors espérons que Poutine ou Snake Plissken coupe Internet une bonne fois pour toutes et que l’on retrouve l’usage de la parole. C’est ce que je me dis devant le twittwall des trans, où tous les twitts et sms des festivaliers se retrouvent à la queue-leu-leu, comme une fontaine perpétuellement ressourcée, perpétuellement épuisée. Je me lis moi-même et you’re the only person who visit this page. Tout le monde, les groupes, les journalistes, les amis, défilent à Rennes comme de petits messages subliminaux, et on apprend à ne pas rester plus de quinze minutes devant chaque concert, et cinq minutes devant chaque personne, cherchant toujours mieux ailleurs. Mais cet ailleurs est un horizon qui sans cesse recule à mesure qu’on s’en approche. Je pense à André Herman Dune chantant « This is not what i’m here for ».
Pourtant, je suis au 4bis devant TV Glory, managés par Stéfanie de Bizarre K7 (est-ce que ça s’appelle encore Bizarre K7 d’ailleurs ?) et bookés par François de Bête Noire (dont le logo poilu ressemble à une idée noire de Franquin). Les Lillois jouent une electro-pop toute retenue, fil tendu entre Metronomy (chorégraphies poétiquement maladroites, petits riffs dissonants, surprises en surprises) et Hot Chip (kicks et boîtes de percus, mélodies hautes, euphorie lancinante), et… Beta Band, me souffle Benoit des Da Brasilians (why not, je dis). Parfaits pour le Social Club à minuit, mais un peu déphasés, décalés, déterritorialisés (vous lisez Chronic’art), sur la scène du 4bis à 17h00 du matin où tout le monde sirote son café, les futurs stars du petit écran provoquent élégamment l’attente et la frustration, comme une bombe à retardement qui n’en finit pas de retarder, et finit par ne jamais exploser (même si le chanteur, grande baraque anglaise aux airs autistes, achève le concert en bondissant soudainement sur scène, de manière assez imprévisible pour inquiéter tous les fabricants de pédales et de claviers de la planète). Parfait pour chauffer la piste et lancer les corps sur le rythme de la soirée, même si ce n’était sans doute pas le but. La prochaine fois, mettez du MD dans les cafés, les gars.
On loupe Gablé et sa chorale dont tout le monde dira le plus grand bien, et on prend la navette horizontale pour le « parc expo » périphérique et les hangars à avions où se tiennent les prochains concerts. Après une fouille au corps digne d’une garde à vue au commissariat de Meaux, nous voilà dans la place, qui n’a rien perdu de son aspect concentrationnaire, on avait juste oublié. Il pleut, il fait froid, Stéphanie me dit « Quand je tousse, j’ai mal entre les orteils », les gens ont l’air de subir l’événement plutôt que de le vivre, ou alors c’est moi. Ecouter revient à se taire. De fait, le son à fond et les light-show toujours un peu kitsch, qui tabassent le tympan et impressionnent la rétine, donnent toujours des airs de Nuremberg à ces grandes réunions populaires. J’ai envie de concerts acoustiques pour dix personnes, la fin de la médiatisation, qu’on coupe l’électricité. Devant Fever Ray, à cause de l’herbe peut-être, l’impression infernale sera plus vive que jamais : le groupe est tout en silhouettes noires gothique, devant des abats-jours géants s’allumant et s’éteignant synchronisés aux beats, le tout surplombé de lasers qui traversent la salle et les corps. Posté sur un affluent, je vois défiler les visages grotesques du public comme dans un tableau de James Ensor, je ne sais pas trop où ils vont, vers le septième cercle ou le bar VIP, et après tout, est-ce que ce n’est pas la même chose ? Pour les locaux, les badgés parachutés jouissent de privilèges un peu minables (concerts gratos, un hall rien que pour eux, open bar pour les plus gradés), petits kapos d’une industrie en perdition, et se font insulter par les rennais bourrés (« T’es pas trop connard toi, pour un badgé »), du coup cachent leurs petits bracelets sous leurs manches. Fever Ray fait quand même son petit effet : entre les flûtes de pan synthétiques et les beats techno, la scénographie hypnotise, les ondulations des costumes noirs fascinent, la voix acide de Karin Dreijer Andersson scotche, les litanies lancinent, la messe prend.
On se tire de là comme d’un goudron brûlant, lourdement, avec effort, et on va voir l’autrement plus festive chanteuse-saxophoniste Jesse Evans, toujours accompagnée du génial batteur Toby Dammit (Residents, Iggy Pop, Swans), qui clôturent leur set bolero-electro, entre cabaret décadent et James Chance contorsionné, devant un public emporté, quoique parsemé. L’adorable Jesse jouera également dans une prison pour femmes le jour même, expérience inédite bien relatée par Charles Mouloud sur Rue 89.
FM Belfast (cinq garçons et une fille, des irlandais pas rancuniers, tous en collant lycras rouges et qui sautent dans tous les sens, avec la visible envie de rendre les gens heureux, jusqu’à reprendre au final le Welcome to the jungle des Guns’n’Roses), Stéphanie chante toutes les paroles des chansons des écossais The Phantom Band, qui picolent pas mal sur scène, et que l’on préfère quand justement, ils ne chantent pas. Un long et beau morceau instrumental krautrock vainc nos réticences, mais on n’a pas que ça à faire, le café bout là, on laisse Stéphanie dire ce qu’elle en pense : « Ils sont dans mon top 10 de 2009, et c’était la claque du vendredi soir. Avec Thomas Biberon, on était tous les deux comme des groupies au premier rang, dont on est revenus les yeux plein d’étoiles, en prêchant à qui voulait l’entendre qu’on avait vu le messie dans le Hall 3 ». Bon. Voilà, c’est dit.
Plus tard, il parait que Manon dansera sur scène avec les Major Lazer, aka Diplo et Switch, qui se réinventent en émigrés jamaïcains et balancent du méchant ragga digital à une foule bras levé. Assez vulgos pour embraser le hall 4 et nous intimer l’ordre de quitter les lieux. J’ai loupé plein de trucs et The Field, dont Etienne Blanchot fera la louange demain. Je passe en coup de vent devant les deux belges d’Aeroplane, qui ont un peu de mal à faire décoller la foule, et je me retrouve assis dans la navette à côté d’un jeune magasinier en street-wear, complètement pété, qui pique du nez et finit par s’endormir sur mon épaule. Ca fait sourire tout le monde à l’arrière du bus et je n’ose pas le réveiller avant l’arrêt à Rennes centre, où il secoue la tête éberlué : « Putain j’ai dormi sur toi ! Désolé ! Chaud la life ! ». Je te le fais pas dire, petit pédé. Chaud la life.
Et pendant que c’est chaud la life, Stéphanie vit :
– J’aime ton boa.
– C’est un col en fourrure.
– Rien à foutre, j’peux t’tripoter la moumoute ?
Samedi – Vous avez la grippe A
Evidemment, ces compte-rendus sont un peu paresseux. On passe vite sur les concerts et les artistes, essayant de retranscrire l’ambiance, et on donne l’impression de tout zapper. On est pas très fier, et pourtant, on persévère, on en écrit des tartines, on fait ce qu’on peut, pas ce qu’on veut. Bref, dernier jour des Trans, on n’en peut plus. Anastasia qui se moquait de moi jeudi quand je rentrais me coucher à 1h du mat’, a les yeux au milieu des joues, parle pâteux et jette l’éponge. La voilà dans le train de retour à 14h00. Pendant que des teufeurs anarchistes défilent sur des sound-systems de malades sous nos fenêtres tremblantes, réclamant la Kulture Libre et déguiés en bagnards, on tape un peu sur l’ordinateur, pas trop fort, puis on va voir Django Django (sorte de joli garage psychélectronique saturé, chanté haut, joué en patterns par deux écossais, dont un à la voix haute avec un accent presque français) et The Agitator (agitprop et agitpop : un batteur et un chanteur-slammeur qui se remue la glotte sur des textes revendicatifs-premier-degré politique genre free your minds), mais on s’endort un peu au balcon (il faut voir les concerts au premier rang, ou alors rester chez soi), tenté de secouer nos verroteries, on se casse en navette de l’espace.
J’atterris donc tout devant pour Rodriguez dans le Hall 3 du Parc Expo, avec Etienne Blanchot de Villette Sonique, qui me prend sous son aile généreuse, m’offre une bière au bar et m’en promet d’autres lorsque je lui explique que je suis fauché et que c’est le salaire du pigiste. Cette déclaration d’amitié me remonte le moral, et j’essaie d’apprécier une version tristoune de Sugarman, le plus beau morceau de 2009, et peut-être le plus beau morceau de 1970, mais joué là par un groupe de jeunes progressifs mais pas progressistes, plutôt coincés dans le revival, les mediums un peu trop forts dans la façade. Il manque tout ces petits sons électroniques, ces reverbs magiques et ce son de basse qu’on ne retrouvera plus jamais. Etienne est d’accord, il me prend par le bras et on retourne au bar VIP où Eleonore Klar et Julie Ganter parlent de grains de beauté, et je dis à Julie qu’elle est très belle, avec son beau visage rond et ses grands yeux d’enfants. Je suis plein d’amour ce soir. Même pour Mathieu des Transmusicales, que je n’avais jamais rencontré, et qui vient me serrer la main. Je lui demande si c’est lui Benjamin, de la promo. Et il me répond, à la Florence Boccolini : « Non, moi c’est Mathieu. Allez, au revoir ». Ca m’apprendra à ne pas être professionnel, à faire ça en dilettante, et à avoir une mémoire de poisson rouge. Ma myopie et ma mauvaise mémoire me jouent sans cesse de ces tours, et je m’en excuse auprès de tous ceux qui me prennent pour un connard snob. En même temps, je ne suis pas là pour serrer des pognes. Je viens écouter de la musique, rendre compte de concerts de musiciens, écrire sur un événement musical, et c’est une activité solitaire, indépendante, ça se passe entre l’artiste et moi, et j’ai toujours négligé les intermédiaires, les relations professionnelles, le business, les « partenariats », tout ça, parce que, fondamentalement, ça m’éloigne de la musique elle-même, et parce que je m’en fous.
Bref, on s’en fout, l’évènement de la soirée et le meilleur moment des Trans, selon moi, c’est bien Mr Oizo, qui a pris des cours de Traktor, balance un set acerbe, agressif, tout en turbines, montées et cuts, qui décolle la plèvre et coupe les têtes. Ce qui restera gravé dans les cervelets : lorsqu’il change les paroles de son morceau Positif (« Vous êtes des animaux, vous allez crever. ») en : « Vous avez la Grippe A. Vous Avez la grippe A. Vous allez tous mourir. A Rennes ». , martelées par une voix robotisée, faisant bondir la foule et les cœurs ; l’image de son crew derrière lui, sur la gauche de la scène, une dizaine de silhouettes hiératiques, alignées en sentinelles, ombres fantomatiques dans le rayon de soleil vert qui tranche la foule. Oizo ne s’offre pas en sacrifice, il est là pour punir. La plèbe masochiste a trouvé son maître. Je danse au milieu des sirènes, je crois voir de petites flammes sortir des sommets des crânes. Oizo achève son set dans une stridence, s’allumant une clope, le public s’éteint doucement.
Après ça, tout est forcément un peu pâle. Stéphanie reçoit un texto qui demande « Comment t’écris soutif ? », nous nous dirigeons vers le bar VIP rejoindre Ambre et Etienne, qui sont d’une rigueur professionnelle à toute épreuve, il faut le dire. Julie me donne une astuce pour boire gratos : collecter les verres en plastique consignés qui trainent un peu partout. Et en effet avec trois pintes vides, j’ai une pinte pleine. Super plan crevard. Je fais traverser la Green Room de Heineken aux TV Glory, qui flippent un peu : derrière de grands rideaux verts fluorescents, un mini club techno avec des lasers et une dizaine de mecs qui dansent sur un seul beat et une voix vocodée qui dit « We are in the green room, we are in the green room » comme l’envers parfait de la Red Room de Twin Peaks. L’enfer. En vert et contre tout, on papote et papillonne, je ne sais plus à qui je fais je dois faire la bise et à qui je dois serrer la main, et j’oublie d’aller voir The Very Best et tous les autres trucs, et me retrouve à 5 du mat avec Ambre devant le set de Danton Eeprom. Le petit prodige opiomane met un temps fou à décoller, laissant sur place les derniers festivaliers, pendant au moins vingt minutes, sur un kick droit et quelques clicks métalliques, qui peu à peu prennent de l’ampleur, voient leur enveloppe gonfler et scintiller de plus en plus, accompagnant le lent réveil de la foule qui afflue. Les têtes dodelinent sur le rythme qui s’accélère, les jambes se soulèvent, j’ai l’impression de voir une armée de golems prendre vie, avant de se déchainer. C’est très beau.
Mais il est déjà 6 heures, j’ai mon train à 8h, je dis au revoir à Etienne qui a complètement perdu sa voix et je rentre en navette avec des supporters du FC Lorient, qui ont encore la force de chanter à l’arrière du bus « On est douze pour la partouze, on sera seize pour la grande baise ! ». Je repense au concert de Oizo dans le vent glacé, je ne crois pas que je reviendrai un jour dans ces hangars, je me donne deux ans, jusqu’à 2012, et un grand silence dans le ciel, pour me fâcher avec toute la profession, et écrire un livre.
Pendant que j’écris un livre, Stéphanie vit.
– Tu sais comment on appelle un chien homosexuel ?
– Euh, non.
– Une pédale Wa Wa.
– Et toi, tu sais comment on appelle un mec chelou qui traine avec des musiciens ?
– Un roadie ?
– Non, un batteur.
– Et tu connais la devise d’un roadie ?
– Vas y…
– Tout ce qui est rouge tu bois, tout ce qui est blanc tu sniffes, tout ce qui est immobile tu le mets dans le camion, tout ce qui bouge tu tapes…
– …
– Une petite coupette ?
– Euh, une petite navette plutôt…
et
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