Les Sneaker Pimps sont une formation un peu à part de la scène anglaise : pas vraiment Trip hop (malgré l’étiquette hâtivement cousue à leur col), pas vraiment intégrés dans une famille (Bristol ou la Brit pop), pas Rock non plus, ils ont, avec leur groove sophistiqué, rencontré un succès important outre-Atlantique. Tête de l’art a soumis à la question la section rythmique du groupe : Joe Wilson (bassiste sautillant en concert) et Dave Westlake (batteur métronomique mais enjoué). Où l’on verra qu’ils ne sont pas Le Saint, ni Armand Van Helden, et qu’Oasis ne fait pas partie de leurs groupes favoris.
Tête de l’art : Avez-vous été surpris par le très gros succès rencontré par votre premier album ?
Dave Westlake : Oui, en particulier du fait qu’il ait très bien marché aux États-Unis, ce auquel on ne croyait pas du tout. Il n’y avait en la matière aucun plan établi par avance. Lorsqu’on a fait le disque, on ne pensait pas à un possible succès commercial, même en Angleterre. On imaginait que ce serait un disque « tranquille ». On a pris beaucoup de plaisir à le faire, et on n’a pas du tout résonné en termes d’argent. On voyais plus ça comme une petite chose underground, et tout d’un coup, les ventes ont décollé, on ne s’y attendait pas du tout. Qu’il marche aux États-Unis et que les Américains s’intéressent vraiment à notre musique continue à nous étonner tous les jours.
C’est étonnant, en effet, souvent les Américains sont un peu méfiants vis-à-vis de ce qui vient d’Europe…
Dave : Oui, c’est vraiment très étrange. Et ce n’est pas du chiqué. C’est comme s’ils avaient raté tout un pan, une période de l’évolution musicale en Grande-Bretagne -alors que nous nous inscrivons quand même dans une certaine lignée-, et boum ! les Sneaker Pimps sont arrivés chez eux, et ça leur semblait vraiment novateur ? C’est très gentil à eux…Je ne pense pas, pourtant, que nous soyons de si grands précurseurs. Mais pour eux, nous sommes connus comme tels, c’est un peu sneaky !
Joe Wilson : J’ai l’impression qu’ils ont toujours besoin, là-bas, de gens nouveaux qu’ils considèrent un peu comme des aliens, comme les Chemical Brothers, alors que ceux-ci recyclent principalement du Hip hop américain des années 80.
Peut-être le fait que vous soyez sur une B.O. aussi importante que Le Saint a-t-il joué en votre faveur aux États-Unis ?
Dave : Bien sûr, ça aide, même si nous marchions déjà très correctement avant d’y figurer, mais les gens ont mis un nom sur notre musique. Maintenant, on regrette presque de l’avoir fait, parce qu’à partir de ce moment-là, pas mal de personnes nous ont complètement assimilé à cette B.O. : « Les Sneaker Pimps ?…Ah oui, Le Saint ! ». C’est dur d’être réduits à ça, nous ne sommes pas Le Saint !
Joe : Mais si Dave, Le Saint, c’est toi ! (rire)
Il a été question que vous fassiez quelque chose pour la B.O. du prochain Star Wars, qu’en est-il ?
Dave : Oui, en effet, il en a été question, mais finalement on ne le fera pas. On a trop de boulot en ce moment avec notre tournée. C’est dommage, mais maintenant l’occasion est passée.
On aurait pu penser que votre album de remixes prendrait des directions plus expérimentales ; en fait, il est assez dansant…
Joe : Ouais, c’est de la grosse House !
Dave : Ca s’est fait de façon assez naturelle, il n’y a pas eu de véritable décision prise. On a par contre choisi les personnes qui désiraient faire ce travail de relecture, et on est très contents du résultat. Par exemple, on aime vraiment le travail d’Armand Van Helden et il a fait un super boulot sur Spin spin sugar.
Joe : Nous ne voulions pas spécialement que ça sonne Dance. On voulait simplement travailler avec des gens qui était dans la house, avec Roni Size également. Le résultat est assez fascinant. C’est incroyable de confier à quelqu’un un morceau que vous avez écrit et de voir ce qu’il en sort.
Dave : De toute manière, on n’a jamais été obsédé par l’idée de paternité et surtout de possession pour nos morceaux. On s’en fiche. Et comme on a tous une culture musicale marquée par la dance et le mix, ce n’était pas un problème.
Joe : Il y a d’ailleurs pas mal de gens totalement inconnus qui nous ont envoyé des cassettes avec des petits mots, ils avaient remixé tel ou tel morceau. Aux États-Unis en particulier, il y a eu beaucoup de remixes non-officiels. C’est intéressant, on réfléchit à l’idée de mettre ce genre de choses sur un site Web : proposer un titre de notre composition et dire : « Allez-y, faites vos propres remixes. » On s’en occupera dès qu’on aura le temps.
Vous avez une club culture ?
Dave : Oui, sans doute, même si on y va rarement et si on vient tous d’horizons différents. On est un peu comme les Spice Girls ! Je suis Jazz Sneaker, Joe est sans doute House Sneaker, Chris est Folk Sneaker, Liam est Kraftwerk Sneaker et Killy est Punk Sneaker. On forme un tout, et on reconnaît la club culture comme une influence majeure aujourd’hui.
Comment pourriez-vous qualifier votre musique, c’est le mélange de tout ça ?
Dave : Oui, c’est même la seule manière de faire de la musique de nos jours, c’est le grand crossover. Mais on entend aussi beaucoup de musique vide de sens, lorsque des gens se cantonnent à un seul style musical, c’est tellement simpliste. La Brit pop par exemple.
C’est à se demander si les gars d’Oasis sont déjà allés dans un club, si ils écoutent la radio, si ils savent ce qui se passe dans le monde du dehors. A chaque fois que j’allume la radio, j’entends tellement de choses différentes : beaucoup de Dance, de la Brit pop, du Trip hop…
Joe : De plus, il y a cette obsession bizarre chez des gens comme Oasis -c’est un cliché en fait- de se réclamer de ceux qui font une musique qui vient de l’âme, une musique qui respire la passion. Alors que si tu écoutes de la Garage house, c’est la musique stupide la plus passionnée qui soit. Elle dégage un enthousiasme qui semble ne pouvoir exister que si tu as fait partie de ces putains de Beatles.
Vous êtes donc la botte secrète contre la Brit pop qui a envahi le monde entier…
Dave : C’est possible, et c’est marrant, parce qu’aux États-Unis, on est rangé dans la catégorie electronica. Ils n’ont pas l’air d’avoir remarqué qu’ailleurs dans le monde, l’electronica est une scène naissante tout à fait différente de ce que nous faisons. Mais l’invasion anglaise aux USA, c’est l’electronica pour le moment, des groupes comme Daft Punk. Finalement, c’est donc plutôt une invasion européenne.
Sur scène vous sonnez très différemment par rapport à vos disques, votre son est comme compacté, simplifié. C’est un choix ?
Dave : Oui, nous voulons plus de punch sur scène. Et même si on reste attaché au travail sur les machines, avec toutes sortes d’instruments bizarres, c’est assez complexe à reproduire en concert. On a donc décidé de traiter le son live comme un projet à part entière, au même titre que l’album ou les remixes. L’album, on l’écoute à la maison, les remixes on peut danser dessus et la scène, c’est encore autre chose. Aux États-Unis encore une fois, les gens sont très surpris de la manière par nos prestations live puisqu’ils ont surtout retenu les remixes. Quand on arrive, ils s’attendent à avoir du Armand Van Helden. Il faut leur expliquer à chaque fois : nous ne sommes pas Armand Van Helden !
Joe : C’est dur parce que nous ne pouvons pas décevoir les gens. En Europe, le public est très difficile. Au Japon, ils sont étranges, incroyablement calmes. On a presque envie de leur demander à la fin si ils ont aimé.
Dave : Et puis ça dépend des endroits où l’on joue. On préfère jouer dans des salles moyennes ou petites, mais parfois, comme aux States où on a ouvert pour Beck, on a fait quelques stades.
Avez-vous un album en route ?
Dave : Pas pour l’instant, mais on a hâte de terminer notre tournée pour pouvoir s’y mettre à fond.
Ce second album vous fait peur ?
Dave : Pas vraiment, mais c’est vrai que ce sera une étape décisive. Quand on fait un premier disque, on met parfois 10 ou 12 ans pour y arriver, c’est le travail de toute une jeune vie. Pour le second, il faut faire beaucoup plus vite. On a déjà commencé à réfléchir pour voir si on allait prendre une direction assez différente…
Joe : On devrait faire un triple concept album. Ce serait cool ! (rire)
Dave : Ou un album de Trash metal ! (rires)
Qu’écoutez-vous en ce moment ?
Dave : Pas mal de jazz, du Miles Davis des années 50, les débuts du jazz fusion au tournant des années 70, et de la musique d’orchestre aussi. En fait, je suis en train de bannir toute musique comportant une section rythmique, j’en ai marre du rythme !
Joe : Moi j’écoute beaucoup de la House, de la Drums’n’bass… du Hardcore américain aussi. C’est bizarre, quant tu tournes pendant aussi longtemps, tes goûts régressent dans le temps, tu réécoutes les trucs que tu aimais bien quand tu étais plus jeune, du Fugazi, ce genre de choses…
Dave : La Drums’n’bass c’est pas mal, la Jungle plus généralement aussi. Mais ca devient vite trop canalisé. Du Photek par exemple, c’est tellement coincé, tellement étroit d’esprit…
Propos recueillis par et