La Chine est à la mode. En témoignent les succès de l’opéra de Pékin au Théâtre des Champs-Elysées à l’automne ou de l’ensemble de manifestations regroupées sous le titre « La Voix du dragon » à la Cité de la musique (qui s’est clôt fin février). L’exposition d’instruments de musique, cloches et carillons en tête, les concerts traditionnels ou contemporains, les colloques ont attiré un large public. Sauf incident diplomatique de dernière minute, on attend une année de la Chine en France en 2003, suivie d’une année de la France en Chine.
On en vient vite à penser que cette mode (à laquelle s’ajoute la place importante de l’Asie chez les cinéphiles) est le fruit d’une génération spontanée.
En réalité, depuis la fin du XIXe siècle, on peut parler, en termes de musique, d’un échange permanent entre l’Orient et l’Occident. On sait ce que Debussy, Messiaen ou John Cage doivent aux traditions populaires chinoises. Mais la situation musicale réelle de cette nation semble, parmi tous les grands pays du monde, la plus méconnue.
À l’occasion de la sortie de l’album Terre de Chine chez Accord, Jean Claude Zivie rappelle, « qu’à partir du XVIIe siècle, les missionnaires chrétiens introduisirent quelques partitions et des instruments » (dont un clavecin !). Il fallut cependant attendre les premières heures du XXe siècle pour que la formation symphonique de type occidental s’impose.
Après dix années de silence, pour cause de révolution culturelle, le conservatoire de musique de Pékin a rouvert ses portes en 1977. Résultat : il fallut sélectionner 100 lauréats parmi 18 000 candidats ; signe d’un engouement d’une génération curieuse d’apprendre le langage musical… de l’Occident !
Des compositeurs écartelés
Car la plupart des compositeurs chinois contemporains ont reçu leur formation artistique en Europe ou aux États-Unis et ont peine à retrouver dans les traditions locales une quelconque source d’inspiration.
Ces compositeurs travaillent et vivent en Occident où ils sont mieux connus que dans leur propre pays. Le compositeur Wang Xilin précise « qu’il y a beaucoup de compositeurs chinois, mais que très peu de leur musique est jouée en Chine, qu’ils vivent à l’étranger ou en Chine. Les orchestres chinois ne jouent pas d’œuvres chinoises. Ils préfèrent jouer des œuvres occidentales. En Chine, pour publier une partition ou un album, il faut vingt ans ».
Ainsi faut-il saluer la toute récente initiative de l’Orchestre National de Chine qui a organisé une série de concerts appelée « Dream of China » dédiée aux compositeurs contemporains. On a pu y entendre les œuvres de Chen Yi, Zhou Long…
Mieux encore, des ensembles spécifiquement dédiés à la musique d’aujourd’hui viennent de naître à Shanghai et à Pékin, sur les modèles des Ensembles européens. Les artistes, autrefois uniquement formés en Russie ou à l’Ouest, cherchent à retourner aux sources et à réévaluer l’influence de la musique occidentale.
Ainsi, Guo Wenjing, seule figure importante de la musique contemporaine chinoise à ne pas avoir vécu durablement à l’étranger cherche-t-il à intégrer à son œuvre l’instrumentarium traditionnel. Dans son opéra Night banquet et dans Le Village du Louveteau donnés au Festival d’Automne (1995, amphithéâtre de l’Opéra Bastille), il réintègre l’ensemble des percussions traditionnelles ainsi que les techniques particulières aux voix de l’opéra Sichuan (musique populaire du Sud de la Chine).
La réaction nationaliste et sa réponse : Qu Xiasong et Tan Dun
De même, Qu Xiasong, dont l’essentiel de la carrière s’est faite à New York est-il revenu vivre à Shanghai pour y enseigner et pour « retourner aux sources de son inspiration ». Qu Xiasong indique dans un entretien donné récemment au New York Times « que les musiques occidentales et chinoises sont très différentes ». Il appelle de ses vœux une « renaissance de la musique chinoise dont il faudrait laver l’influence polluante de la musique occidentale pour retourner à la pureté chinoise ». La violence de son propos est d’ailleurs illustrée par sa dernière oeuvre Mirage pour une voix et trois percussions (qui intègre exclusivement des timbres traditionnels).
Tan Dun, sans doute le plus célèbre de tous les compositeurs chinois, adopte une position bien plus habile. Il ne rejette en rien son appartenance à une double culture. Et son parcours est un modèle : né en 1957 dans la province chinoise du Hou Nan, il a passé huit ans au Conservatoire Central de Pékin après avoir travaillé deux ans dans les rizières durant la révolution culturelle, puis comme arrangeur pour la troupe provinciale de l’Opéra de Pékin. En 1986, une bourse de Columbia University lui a permis de s’installer à New York où il vit encore. Sa renommée de compositeur (et de chef d’orchestre) tient à son « sens dramatique… (ses) harmonies merveilleusement expressives… (ses) couleurs pleines d’imagination » (London times). C’est le seul artiste chinois à être programmé régulièrement dans des lieux tels que l’Opéra-Bastille, le Concertgebouw d’Amsterdam, le Lincoln Center de New York ou le Royal Festival Hall de Londres… la plupart des festivals, les grands orchestres jouent sa musique ou font appel à ses talents de chef. Il vient d’ailleurs d’être récemment nommé à la tête du BBC Scottish Symphony.
Outre ses compositions classiques, Tan Dun est connu pour ses projets expérimentaux : musique pour papier, pour eau, pour céramiques, pour pierres… Il travaille aussi avec des artistes d’autres disciplines, chorégraphes, metteurs en scène ; il interprète également ses propres œuvres en soliste.
Titulaire de nombreux prix internationaux, ce jeune compositeur est une chance pour les autres artistes chinois : son talent et sa reconnaissance internationale peuvent leur permettre d’échapper à un nationalisme exclusif de toute influence étrangère. Tan Dun offre ainsi une réponse généreuse face aux théories nationalistes de Qu Xiasong.
Lire notre chronique de Terre de Chine, album de la jeune pianiste Jia Zhong (Accord), consacré à une série de compositions sur des mélodies populaires chinoises.
Le site de la médiathèque de l’IRCAM propose une série de 17 biographies de compositeurs chinois.
L’enregistrement de la composition orchestrale On Taoism de Tan Dun (par Koch Schwann) fut élu meilleur disque de l’année 1994 par la BBC. Toutes les oeuvres de Tan Dun sont éditées par les Éditions Chester. On trouve aisément 5 des 6 albums de Tan Dun dont Ghost opera (chez None such) et Out of Peking, opéra pour violon solo et orchestre (chez Ondine).