Le 2 août dernier s’éteignait William Burroughs (cf. photo). Allen Ginsberg l’avait précédé il y a quelques mois à peine. Retour sur les poètes de la Beat Generation.
La Beat Generation est cette fraction minoritaire de la jeunesse américaine des années 50 se révoltant contre la « Génération silencieuse » enfantée par la Seconde guerre mondiale. Alors que l’Amérique de la guerre froide invente les joies du cocooning aseptisé, Kerouac et les « Clochards célestes » redécouvrent les grands espaces d’un continent encore primitif. Alors que les survivantialistes creusent des abris anti-atomique dans les plaines du Middle West, Ginsberg et ses acolytes révolutionnent la poésie anglo-saxonne. Alors que Manhattan boursicote, Burroughs le morphinomane, se livre à une époustouflante alchimie du verbe. Il donne naissance, avec son ami Bryan Gysin, à ses « cut-up », les terrifiants collages littéraires du Festin nu et de La Machine molle, dignes d’un Isidore Ducasse.
La Beat Generation est également celle des « Souterrains ». Noctambules habitués des Clubs de San Francisco ou du Greenwich Village, et communiant avec la fièvre des solistes de be-bop. Beat veut dire rythme. Les Beatnicks explorent alors d’une manière extrêmement novatrice les possibilités musicales de la langue. Guidées par les improvisations de Ray Charles ou de Charlie Parker, leur prose et leurs métriques s’ouvrent à de nouvelles résonances. L’occasion de quelques expériences discographiques : Kerouac psalmodiant sur du jazz bop les textes de Mexico City Blues et Ginsberg enregistrant son célèbre poème Kaddish.
La Beat Generation a sans nul doute donné naissance à l’embrasement rock des années 60 : de Bob Dylan à Jim Morrison en passant par Léonard Cohen, Lou Reed ou Patti Smith, tous sont tributaires de l’explosion verbale inaugurée par les Souterrains. Beat est également l’exact contraire de Square, signifiant à la fois carré et honnête ; programme réjouissant face à l’Amérique normalisée.
La Beat Generation a voulu donner un autre sens à l’Amérique et oublier ainsi le Léviathan mécanique. A rebours des highways de la modernité, les traversées successives d’Est en Ouest de Sur la route, le roman culte de Kerouac, sont une quête perpétuelle des origines spirituelles du continent. Comme pour Dean Moriarty, la grande question est celle de la recherche du père, du moyen d’acquérir une identité dans un pays qui en est totalement dénué.
La Beat Generation, génération libre et ardente. Peut-être trop pour l’Amérique, à l’image de Kerouac terminant sa vie dans l’alcoolisme et la folie.
Nicolas Vey
Sélection d’œuvres de William Burroughs :
– Le Festin nu, Gallimard, Collection « L’Imaginaire »
– Junkie, Editions Belfond
– La Machine molle, Editions Christian Bourgois
– Lettres de Tanger à Allen Ginsberg, Editions Christian Bourgois