Sur le Net, il y a un site web qui s’appelle Le r*ck est m*rt. Fondé par Guy Mercier et alimenté par quelques érudits fans de rock, ce blog collectif partage « une désinvolture sérieuse » qui lui permet de mettre à jour sérieusement et puérilement, toute la beauté morbide du rock. Et plus que ça. Mail-interview sous pseudo.
Chronic’art : Pourquoi l’étoile dans Le r*ck est m*rt ? Et pourqoi le « pour toujours » ?
Guy Mercier : Parce qu’on dit r*ck comme on dit f*ck, une grossièreté implicite à peine censurée. En fait, pendant le punk, dans la presse anglaise, je lisais principalement le NME, il y était devenu de mauvais ton de parler de ce genre qui était en train d’être tué alors ils écrivaient ça avec l’étoile parce que oui c’était un juron, une injure ; donc quand je vois « le r*ck est mort », ça peut se lire aussi comme la négation du fait que ce soit une injure : le mot « rock » ne serait plus une injure, la locution « r*ck » avec étoile est morte. Et puis le « pour toujours », je ne t’en parle même pas, ça se lit tout seul. Le r*ck est mort « pour toujours », ça simplifie tout, comme ça on peut en parler librement.
Comment est née l’idée de faire ce site ? Est-ce un « blog » ou lui donnerais-tu un autre nom ?
J’ai eu cette idée parce que la musique est une pensée qui m’habite constamment, parce que j’adore écrire, mais je ne suis pas prolifique, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors c’était une occasion de se forcer. En ce sens c’est tout à fait un blog, pourtant je déteste les blogs, mais il y a une espèce de pression sociale à produire qui fait justement les malheurs de ce format bien pauvre et si commun, mais qui fait que ça nous donne un endroit à nous pour balancer nos trucs. Chabert à un raisonnement du type « si je ne faisais pas ça je ne ferais rien alors je le fais et je ne me pose pas de questions ». Mais on ne veut absolument pas rentrer dans le cercle vicieux des blogs qui recherchent de l’audience, qui proposent des systèmes de commentaires ou bien même publient des listes interminables de liens vers d’autres blogs tous plus merdiques les uns que les autres. Le public ne nous intéresse pas. D’autre part, pour moi, c’est nécessaire aussi de faire des choses à plusieurs sur Internet et je pense que la forme du blog est particulièrement adaptée à des sujets qui soient à la fois bien précis et sans importance.
D’où viennent les membres du « blog » ? Qu’est-ce qui les réunit selon toi ?
Ce qui nous réunit, je pense que c’est qu’on a compris quelque chose et qu’on a décidé que cette chose a propos de la musique ne saurait être expliquée. Elle peut être évoquée, mais c’est à peu près tout. J’aime bien l’idée qu’on puisse dire, à propos du blog : « je ne comprends rien ». On ne me dit jamais en revanche : « j’y connais rien ». Ceux qui s’y connaissent sont contre nous. Enfin pour revenir à ta question, je ne crois pas que ce soit forcément les goûts musicaux qui nous réunissent (parfois il y a des problèmes graves sur ça), mais comment dire ça ? Nous partageons une désinvolture sérieuse. On a au moins un ennemi commun : le perruqué Greil Marcus.
Une écriture subjective sur un sujet universel… Considères-tu votre travail comme la poursuite d’une certaine « critique rock » (Lester Bangs) ?
Ca ne me semble pas si universel que ça. C’est justement ce qu’il y a de plus détestable en Greil Marcus : cette canonisation de ce qui devrait être fondamentalement le contraire de l’académisme, de la pensée, le contraire de la volonté d’intégration et d’harmonie, le contraire de la reformation du Velvet à la Fondation Cartier par exemple. Faire jouer Suicide à Beaubourg, c’est une mauvaise action. Quand à Lester Bangs, même si je l’adorais quand j’étais petit (plus tard, Paul Morley surtout), il y a une différence importante avec lui qui fait qu’on n’est pas des critique rock. On le voit bien dans Almost famous : le rock-critic est une personne qui passe son temps avec des rock stars, qui suit la tournée et vit leur vie, on le voit bien dans le fameux article de Bangs aussi où il rencontre l’amant de Lou Reed, sa Rachel barbu. Bangs essaye d’être une mère pour Lou Reed en fait. Nous, on est des pauvres blanc-becs qui achetons nos disques dans un pays où il n’y a même plus de magasins de disques.
Le r*ck est m*rt relève-t-il de la nostalgie, de l’idolâtrie, du culte des morts ?
Non, rien de tout ça. il relève de notre vie, de notre expérience et de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde. Le r*ck est m*rt, c’est une attente, c’est l’occupation d’un terrain qui est à nous et sur lequel on ne va pas se laisser marcher dessus.
Le rock est-il mort de faim, de vieillesse, mort-né ?
Le rock est mort d’ennui… tu crois qu’il est mort ?
Que penses-tu de l’éternel « retour du rock » ? Le rock n’est-il pas une forme destinée à sans cesse revenir, pareille au même ?
Si il y a une chose que je ne sais pas, c’est ce qu’est le rock. Mais quand ça n’en est pas, je le vois tout de suite… Alors je ne sais pas si il y a eu un retour du rock. Comment Jésus Christ est il mort à nouveau après sa résurrection ? Tiens, par exemple, un déménageur l’année dernière après avoir porté ces kilos et kilos de disque m’a demandé : « c’est quoi comme musique ? ». J’ai répondu : « bah, du rock », alors il m’a dit : « il doit y avoir des Johnny là dedans ». J’ai dit non. Le type ne s’est pas offusqué. Il m’aurait dit : « il doit y avoir des Franz Ferdinand là dedans », ça aurait tout de suite dégénéré. Tu as raison, la forme du rock est destinée à être réutilisée et à venir nous hanter régulièrement parce qu’elle a bien été bouffée par les mites. Et si elle a été à ce point bouffée et anéantie, c’est parce qu’elle était dangereuse. Mais j’ai bon espoir que l’on puisse encore l’agiter un jour et que ça fasse très peur, que les dents repoussent, que les jeunes gens s’en emparent et que les passants hurlent leur terreur de la vie.
Propos recueillis par
Lire notre revue de blog
Voir le blog Le r*ck est mort