Passi et ses potes du Bisso na Bisso déclinent l’identité complexe des enfants d’immigrés en France (« le cul entre deux chaises »), sans se tromper de combat. Le leur est musical, politique et culturel. Qui dit mieux ? Il en résulte un très bel album de rap panafricain from Paris qui entame son unique rendez-vous scénique le 15 mai au Zénith (Paris).
C’est Akhénaton qui, le premier, a tiré la sonnette d’alarme. Fils d’immigrés italiens, il est parti se ressourcer à Naples. Il en sortit un premier album solo très marqué musicalement par les origines culturelles de ses parents, sans doute son plus intime depuis qu’il a débuté dans le hip hop. La leçon, si on la considère -bien sûr- comme telle, a porté. Puisque d’autres jeunes talents du hip hop français ont commencé à sérieusement s’interroger sur la question. Ce qu’on ne sait pas, c’est que Passi, avant cet événement marseillais qu’il salue bien évidemment, s’était promis, ou plutôt avait promis, à sa mère de faire un jour du rap sur des sonorités qui lui seraient proches. Comprenez par là : des musiques dites noires qui font bouger l’Afrique sur les pistes enfumées des boîtes de nuit, de Dakar à Lomé, en passant par Kin-la-belle. Des musiques qui prouveraient entre autres choses que les conflits de génération (jeunesse française/parentèle immigrée) ne sont pas aussi patents qu’on veut bien le faire croire dans l’enfer des cités françaises. Voilà ce que raconte la légende entretenue autour du Bisso.
Ce qui est sûr, c’est que Passi n’en est pas à son premier coup d’essai. Il avait déjà tenté l’aventure du retour aux sources en cherchant à sampler Mario de Franco, un des plus grands classiques de la rumba zaïroise. Les propriétaires des droits le lui ont refusé. Et tant pis pour le père du TPOK Jazz à qui le rappeur aurait bien voulu rendre hommage par un coup de sampling intelligent. Le succès aidant (plus de 350 000 exemplaires vendus avec Les tentations), la situation se présente différemment aujourd’hui. Et heureusement… Car Passi a eu, du coup, le temps nécessaire pour mûrir plus longuement le projet, ainsi que les moyens de le concrétiser. Il a fallu ensuite réunir la bande de potes susceptibles de contribuer à la réussite d’un tel challenge (sa cousine M’passi du groupe Melgroove, les deux frangins d’Arsenik, Ben-J des Nèg’Marrons, les jumeaux des 2Bal et Mystik, tous sont séduits, ont les mêmes motivations que lui). Un posse de circonstance. Puis la boucle fut bouclée sur un concept novateur à 100% et qui répondait aux conditions suivantes : se ressourcer, renforcer une tendance du rap hexagonal qui fuit l’américanisation et assumer son « cul écartelé entre deux chaises ». Vaste programme…
« Là-bas, on nous considère comme des français. Ici, on nous taxe d’étrangers ». Qui n’a pas déjà entendu cette phrase souvent pleine de dépit ? Elle pèse de tout son poids en tout cas sur ce projet du Bisso Na Bisso. Sept rappeurs franco-congolais qui font l’aller-retour dans les sonorités populaires et urbaines d’une Afrique qui bouge. Avec des complices de taille à leurs côtés, des aînés ravis par l’idée de ce voyage. Des invités prestigieux qui viennent du milieu afro-antillais : Ismaël Lô, Papa Wemba, Jacob Desvarieux, Lokua Kanza, Monique Seka, Koffi Olomidé… Des instrumentistes de qualité : on appréciera la présence du bassiste Michel Alibo pour ne citer que celui-là. Et surtout des samples historiques qui nous entraînent dans un rap tropical assez pimenté. Amiyo, L’argent appelle l’argent… Des classiques. Des clins d’œil intelligents. De la rumba congolaise (le ndombolo est revisité en une version légèrement world), du makossa et du zouk, Franklin Boukaka (un nom important de la musique congolaise) remis au goût du jour. C’est à la fin d’un morceau de ce dernier, Enfants du Congo, que les tchacheurs du Bisso, dont les parents sont tous issus d’ethnies différentes dans un pays aujourd’hui fratricide, ont scellé en lingala et en français leur Union. Un exemple qui devrait parler à de nombreux compatriotes de l’autre rive.
L’album est un véritable joyau qui peut passer dans toutes les fêtes, bien qu’il s’apprécie encore plus lorsqu’on connaît l’Afrique dans laquelle s’inscrivent ces enfants d’immigrés. Autre nouveauté : le discours, devenu par moments très commun dans le hip hop français sur un plan général (le même verlan anti-keuf par exemple, qui s’épuise à force d’être tourné et retourné n’importe comment dans les textes issus des cités), se renouvelle ici. Avec une nouvelle orientation engagée qui attaque la corruption, la guerre, la haine… et parle d’amour sous l’angle des réalités africaines vécues ou imaginées. Des thèmes qui sont certes universels, mais qui prennent un élan nouveau sous le coup de la mouvance Bisso. « Discours amer ose, dépose, expose, pose une rose, p’tite gorgée à terre, pour les frères que la guerre m’a enlevés/Les douilles ont souillé le sol de mes ancêtres, le poing levé je reste haineux, j’pardonne plus, j’ai la rage », l’Afrique du Bisso n’est pas toujours celle que l’on croit. L’album est surtout loin des accumulations de poncifs que beaucoup de jeunes rappeurs entretiennent.
Avec cet opus, on ose dire que le hip hop français doit grandir encore un peu plus. Et autrement. Une sorte de vague world panafricaine le force ici à intégrer l’instinct mélodique dans sa course, l’amène à travailler sa rythmique plus efficacement en évitant la facilité et l’incite à réfléchir à de nouvelles pistes thématiques, sans y perdre de son âme hardcore. L’un des meilleurs albums de l’Hexagone durant cette première moitié de l’année 99 est donc une fusion salutaire entre le rap et les cultures africaines d’une génération, née ou ayant vécu ici, qui tente de trouver les bonnes questions face -notamment- aux graves questions qui se posent là-bas (ouf !). Ajoutons à cela la capacité des huit membres qui ne sont pas de la même formation ni du même label à sortir un produit aussi bien élaboré. Ce n’est pas une compilation qui aligne les contributions des uns et des autres, mais bien une collaboration riche et fructueuse entre les croisés d’un même concept. L’ego de chacun est relégué au second plan. En lingala, Bisso na Bisso signifie « entre nous ». Imaginons facilement la suite…
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