Il y a 25 ans, le Punk Rock électrisait Paris. Pacadis, Eudeline : réédition des livres et des disques cultes du no future à la française. Retour sur la légende du Punk made in France.
Ce fut une aventure flamboyante, tragique et pitoyable. Une légende cousue de malentendus où les héros se seraient trompés d’intrigue, quelque chose comme un monde où James Joyce se serait trouvé à jouer au foot et Pelé de la basse pour les Stones. Dans cette histoire-là, la musique ne serait jamais meilleure que dans les livres, les rock-stars vivraient chez leur mère à Verneuil et ne feraient pas de disques, et le principal souvenir de l’époque serait un 45 tours crédité à un chanteur belge en play-back. C’est l’histoire du Punk en France.
The Harder They Come…
Et pourtant, les choses avaient bien commencé. Car Paris fut punk avant Londres et même New York, dès ces années 1972-73 qui virent revenir des décombres des sixties effondrées l’Iguane Osterberg en mal de Raw power, le grand méchant Lou, visage émacié et croix de fer teinte sur ses cheveux rasés, et tous ces spectres à la coupe au bol et en chemise cachemire ressuscités par le Nuggets de Lenny Kaye.
On appela ce mouvement le punk. Un jeune lecteur de Lester Bangs et Jean-Jacques Schuhl, Yves Adrien, esthète lunaire de la musique sauvage, s’en fit un nom -Eve Punk- et donna à l’époque son premier manifeste en quatre pages dans Rock & Folk : Je chante le rock électrique, janvier 1973. Et c’est ainsi que, alors que partout ailleurs le Rock s’empesait de synthétiseurs ampoulés et d’un decorum grandiloquent qui l’éloignait toujours davantage des kids, une poignée de Français décalés -cinéaste aphasique amant de la Femme Fatale (Philippe Garrel), disquaire méthodique et parcimonieux (Marc Zermati), Idole de Marc’O (Jean-Pierre Kalfon), cliente du Max’s Kansas City (Elodie Lauten)- célébraient les vertus souterraines de ces perdants magnifiques de l’époque -New York Dolls, Flamin’Groovies, Lou Reed, Todd Rundgren- qui entretenaient la flamme d’un rock tranchant, stupide et excitant.
Pendant quelques années, le meilleur magasin de disques du monde, le moins fourni aussi (on n’y trouvait que Fun house des Stooges, ou presque), fut l’Open Market de Zermati et Adrien, rue des Lombards à Paris. Et le meilleur magazine rock du monde fut le français Rock News (sept numéros jusqu’en septembre 1976), qui était le meilleur précisément parce qu’il ne parlait pas des disques qui sortaient alors, mais des disques qui sortiraient plus tard : il fut, tout simplement, le premier journal à mettre les Sex Pistols en couverture, au printemps 1976, plus de 6 mois avant qu’on ne puisse poser le 45 tours de Anarchy for the UK sur une platine.
Lorsque, électrisée par ces disques affolants qu’émettait depuis peu l’Amérique (Horses du Patti Smith Group, The Ramones, des Ramones, 30 seconds over Tokyo, de Pere Ubu), l’Europe commença à s’agiter sérieusement, et au cours de ce premier été punk 1976, l’on put croire que la France serait dans les premiers rangs, organisatrice à Mont-de-Marsan du premier festival punk sous l’égide du grand Marc Zermati, qui venait juste de sortir en 33 tours le faire-part de décès des Stooges (Metallic KO, sur son label Skydog). Et de fait, lorsque le 100 Club de Londres organisa sa propre célébration punk en septembre 1976, on retrouvait sur l’affiche les Pistols, les Flowers of Romance de Siouxsie et Sid Vicious et les Stinky Toys d’Elli & Jacno, les néo-Serge & Jane à la Valstar de Paname, tandis que Little Bob Story était Single of the week dans le NME. Les choses s’annonçaient bien, donc.
… The Higher They Fall
Mais, à mesure que le monstre Punk grossissait à Londres jusqu’à exploser dans un torrent de glaviots après le Bill Grundy show des Pistols (The Filth and the fury ! à la une du Daily Mirror le lendemain), Paris redécouvrit tout ce qui faisait qu’elle n’était pas une capitale de la pop culture : absence de lieux de concerts et d’enregistrements, d’infrastructures économiques indépendantes pour porter les nouveaux groupes, de tout cet éco-système subculturel qui permet à une ville de devenir une scène. Mais l’arriération économique n’excuse pas tout. Le vrai problème est que, comme d’habitude, une fois que les choses sérieuses ont vraiment commencé, c’est-à-dire que la hype (les tabloids, les hit-parade, le journal télévisé) s’en est mêlée, la France a retrouvé son vieux réflexe puritain de méfiance envers la mode, préférant la sécurité de la nostalgie à l’évanescence de l’air du temps.
Car s’il était d’avant-garde de célébrer le rock des années 1960 en 1974, c’est la musique des années 1980 qu’il convenait d’écrire en 1977. Ce que fort peu de groupes français comprirent, et moins encore surent faire -et encore durent-ils s’exiler, à Londres (les impeccables Métal Urbain, dont le cocktail Molotov électronique Paris maquis restera pour l’éternité le premier single de Rough Trade Records) ou à NY (Les Garçons, pour leur trip intello-disco en survêtement). Les autres se contentèrent d’avoir les cheveux courts et de jouer fort une musique déjà datée (Téléphone), que l’ironie et la pertinence des références venaient parfois sauver du gallicisme (Bijou ressuscitant Ronnie Bird et le Dutronc play-boy), mais que bien plus souvent l’arrogance rendait pathétique (ainsi l’Asphalt Jungle de Patrick Eudeline). Comment s’étonner dans ces conditions que ce fut Lou Deprijk, un Belge qui n’avait pas peur de la hype, lui, qui rafla la mise du Punk français en faisant « chanter » à sa poupée à épingles à nourrices Plastic Bertrand Ça plane pour moi, hymne opportuniste, donc pop, du second été punk ?
En 1977, les musiciens français manquaient encore trop cruellement de cet esprit fait de légèreté, d’érudition et de goût du risque qui forment les précurseurs (tout ce que leurs petits cousins électroniques auront acquis en 1995 lorsqu’ils se lancèrent à l’assaut du monde depuis la boutique Rough Trade de la rue de Charonne à Paris) pour prétendre rivaliser avec leurs homologues britanniques ou new-yorkais : tout le malheur du Punk français vint de ce que ceux qui alors auraient pu le faire, ne savaient pas jouer de musique.
Ils écrivaient (Pacadis), dessinaient (Bazooka Productions, Serge Clerc « Le dessinateur espion ») ou étaient simplement passés à autre chose, un gant noir à la main (Yves « Orphan » Adrien). A Paris, l’aventure punk fut davantage graphique et littéraire que musicale. Avec leurs fanzines Bulletin périodique et Un Regard moderne, les Bazooka (Kiki et Loulou Picasso, Olivia Clavel…) définirent de part et d’autre de la Manche une certaine esthétique new wave et secouaient les (déjà) vieux gauchistes moralisateurs de Libération, tandis que Serge Clerc illustrait dans un noir et blanc de plus en plus stylisé les marges du légendaire Métal Hurlant première époque et du New Musical Express.
Le tout sous le regard amusé du Saint-Simon des pissotières de la place de la République, Alain Pacadis, caoutchouteux Bukowsky du no future à la française, qui en restitua la chronique ironique dans son chef d’oeuvre jetable Un Jeune homme chic (17 octobre 1976 : J-F Bizot tentant de convaincre notre héros d’illustrer un dossier Punk dans Libération avec « d’horribles dessins de Crumb », 9 septembre 1977 : Andy Warhol lui expliquant que la chose la plus étrange qu’on lui ait fait signer était un bébé qui venait de naître, et qu’il a écrit dessus « Andy Warhol » pour qu’il devienne une œuvre d’art). Au-delà de l’invention d’un genre, le night-writing, que beaucoup imiteront plus tard (de Guillaume Dustan à Eric Dahan), Pacadis glisse de temps en temps quelques fulgurances subculturelles acérées, telle cette définition du disco, « c’est la façon pour les Noirs d’être Blancs, et pour les Blancs d’être Noirs » (29 septembre 1976). Incidemment, c’est sans doute le premier livre contenant le mot fistfucking à être passé à Apostrophes.
Mais déjà quelqu’un écrivait la suite avant tout le monde, tout comme il avait écrit le punk avant tout le monde : Yves Adrien, de retour en 1977 dans les colonnes de Rock & Folk après plusieurs années d’exil à Verneuil, pour inventer l’after-punk, synthétique et machinal. Célébration de Kraftwerk et de la Diskö mécanique de Giorgio, ce sont les articles les plus célèbres d’Orphan, jusqu’à son grand œuvre au noir : NovoVision, chant du cygne en 1980 de la séminale collection Speed 17 des Humanoïdes Associés, petite soeur énervée de Métal Hurlant.
Un Jeune homme chic, Novovision : le K2 et l’Himalaya de la littérature subculturelle en France, que gravissent à genoux, encore aujourd’hui, tous ceux qui se veulent les princes décadents des élégances de la nuit parisienne. Ne cherchez pas. Les Never mind the bollocks et Metal box/second edition français sont là. Pas besoin de tourne-disques pour les écouter.
A lire :
Nos années Punk de Christian Eudeline (Denoël)
Un Jeune homme chic d’Alain Pacadis (Denoël)