Tiraillée entre les expérimentations futuristes et le recyclage de son passé, la scène anglaise n’a jamais été aussi éparpillée. Berceau du rock depuis le milieu des années 50, Londres n’a plus le monopole des sons et des tendances du pays. Bristol, Brighton ou même Sheffield possèdent dorénavant des scènes tout aussi captivantes, dessinant une nouvelle carte du rock anglais. Dans chacune d’elles, des bastions s’organisent. Née de l’underground, la drum’n’bass, courant majeur de ces dernières années, explose littéralement auprès du public.
Période d’innovation et d’exploration en tout genre, ces dernières années ont été marquées par l’éclosion de nouvelles fusions musicales -parfois radicales- réconciliant des sons qui jusque-là ne se fréquentaient pas (jazz, techno, house music, pop, rock, etc…). Les machines ont ainsi bouleversé le paysage musical. Aujourd’hui, il ne se passe pas une semaine sans la découverte d’une nouvelle tendance qui abreuve les clubs (dance-floors) où se pressent chaque fin de semaine plusieurs centaines de milliers d’anglais prêts à accueillir la drum’n’bass, musique dynamique et syncopée, symbole de tout ce qu’incarne la modernité : vitesse, urbanité, cosmopolitisme… et paranoïa.
Au Subterina, club du quartier de Portobello, où se trouve la bohème chic de la ville –également réputé pour ses deals de crack-, on annonce avec satisfaction : « Depuis deux ans, Londres est la ville la plus excitante du monde. Bien plus que New York, trop frileuse encore, et bien plus que le Londres des années 60. Maintenant, les barrières culturelles, ethniques, sont en train de tomber. C’est une révolution, mais en douceur. »
Relayée par les clubs, tant en province que dans la capitale, la drum’n’bass (le courant le plus répandu de la mouvance jungle) sort de l’underground et s’impose comme le phénomène musical majeur du moment. Cosmopolite, urbain, ce courant est un miroir parfait de la société multiculturelle et multiraciale du pays. Il suffit de côtoyer l’un de ces lieux où on la diffuse pour se rendre compte du brassage qui s’y opère (musique mutante ultra-speed, public métissé). Au Blue Note, situé dans le crépusculaire quartier d’Hoxton, devenu malgré sa position, entre usines à moitié détruites et voies de chemin de fer désaffectées, le centre artistique de la ville -à quelques pas de là, Howie B, autre sorcier des breakbeats, y a installé ses studios-, Goldie officie chaque dimanche, entouré des meilleurs DJ de la place. Première grande star de ce genre musical, il parle de ce phénomène sans nuance : « Cette scène existe depuis six-sept ans maintenant. On a commencé à produire des maxis, à s’organiser en montant nos propres studios, à trouver des endroits où jouer. Et maintenant c’est le truc le plus énorme du moment. Et ça va durer. J’ai toujours su qu’on toucherait le grand public, parce que cette musique colle parfaitement à notre époque. Elle est notre époque. »
Roni Size vient quant à lui de produire un véritable manifeste de cette musique très « fin de siècle » (New Forms). Plus tourné vers la soul que les autres représentants de cette mouvance, il est originaire de Bristol, une ville qui est tout simplement en train de voler la vedette à Londres.
La musique anglaise tire donc sa force de ces mélanges audacieux où se côtoient les technologies visionnaires (sans renier totalement son amour pour les refrains et les riffs percutants). De cette exaltation est née une culture en perpétuel mouvement. Plus dure sera la rechute ?
Discographie sélective :
A Guy Called Gerald – Black Secret Technology (Rham Records)
Goldie – Timeless (Metalheadz/Barclay)
Photek – Modus Operandi (Science/Virgin)
Roni Size/Reprazent – New Forms (Talkin’Loud/Mercury)