Mille neuf cent et quelques », Les Thugs sont, après une période de flou, plus présents que jamais. Respectés par la critique et le public français et étranger, les Angevins, toujours énervés, mettent le feu aux platines et aux planches avec leur dernier bébé sonique, Nineteen something justement. Le plus ancien groupe français de rock, ou peu s’en faut, a su garder son indépendance, bien qu’ayant signé sur une Major. Rencontre avec Christophe Sourice, l’un des trois frères du gang et artilleur en chef (batteur), juste avant le concert donné à la Cigale en compagnie de Diabologum, le 18 décembre dernier.
Tête de l’art : Six albums en quatorze ans d’existence, ce n’est quand même pas beaucoup…
Christophe Sourice : Ouais, mais bon, il faut voir aussi que l’industrie du disque carbure à un rythme très rapide, c’est quelque chose qu’ils encouragent. Nous, on a toujours refusé d’entrer dans ce jeu-là. On a besoin de prendre notre temps, de répéter encore et encore jusqu’à ce que les morceaux nous plaisent.
Vivez-vous désormais de votre musique ?
Oui, mais c’est quand même assez récent. Depuis 1990 peut-être…Et encore, nous on de la chance, c’est parce qu’on est intermittents du spectacle.
Donc vous travailliez jusqu’à il y a peu. C’était seulement par nécessite ou également parce que cela pouvait représenter une soupape de sécurité ?
On était bien obligés, on s’était investis dans une structure comme Black & Noir (magasin/organisateur de concerts à Angers). D’un autre côté, il faut avoir d’autres centres d’intérêt. Il y a bien sûr des choses qu’on aimerait faire, mais il faut du temps pour ça. Moi, j’aurai bien aimé faire le Tour de France cycliste, mais j’ai bien l’impression que c’est trop tard maintenant !
Par rapport à l’industrie du disque et les médias, vous avez toujours conservé une grande réserve, pourquoi ?
C’est simple, pour nous, le plus important c’est la création. La musique c’est vraiment un art auquel il faut se consacrer le plus possible. Pour les gens, ca donne sans doute l’impression dont tu parles, mais on n’y peut rien.
C’est vraiment de l’indépendance farouche, ça n’a pas du vous faciliter les choses…
C’est clair que ça n’a pas été facile tous les jours, d’autant que nous, on a toujours chanté en anglais. Jusqu’à il y a peu, c’est un truc qui n’a pas été bien accepté en France -pour des Français. Et puis, on est pas très parisiens, on n’a jamais été dans l’air du temps, c’est un bizness qui ne nous intéresse pas.
Par contre, vous vous êtes toujours impliqués à fond pour l’organisation de festivals indépendants, des collaborations avec de petits groupes ou labels…
Ouais, ça fait partie de la culture telle qu’on l’entend, c’est même notre culture. On a participé à nombre d’associations, de fanzines. Et puis la différence, c’est que dans la scène indépendante, il y a de la place pour tout le monde : les radios alternatives, les techniciens, les artistes au sens large…Pour ça, pas besoin de diplômes, il suffit d’avoir envie et de faire son truc. C’est une scène qui n’est pas cloisonnée ou étriquée.
D’autre part, vous avez rencontré du succès assez précocement à l’étranger -et notamment aux Etats-Unis avec l’aidedu label Sub Pop. Comment cela se fait-il que les choses n’aient pas été de même en France ?
C’est un peu le hasard tout ça. De plus, on voulait faire les choses sérieusement, et c’est à l’étranger qu’on nous a offert la possibilité de le faire. A l’étranger, les gens n’ont jamais eu d’opinion préconçue sur nous et notre musique, ils écoutent et si ça leur plaît, c’est cool. Pour Vinyl Solution, qui a sorti plusieurs de nos disques, c’est nous qui les avons démarché. On connaissait cette boutique qui était également un label, et on leur a envoyé nos bandes. En ce qui concerne Sub Pop, c’est encore plus du bol, on avait fait un festival à Berlin et les boss du label étaient là. Comme ils ont adoré notre musique, ils nous ont signés pour les Etats-Unis. Ce qu’il faut voir aussi, c’est qu’on s’est bougés. Les festivals à l’étranger comme ça, on y allait par nous-mêmes, en bagnole. Il fallait avoir envie de le faire. Dans ce sens, on a sans doute un peu provoqué ce qui nous est arrivé.
Vous sentez-vous des affinités avec Diabologum, avec lesquels vous jouez ce soir ?
Bien sûr, on les a vus, et même si on les connaît peu, on a l’impression qu’ils sont assez sur les mêmes positions que nous. Ils ne veulent pas se laisser dicter ce qu’ils doivent faire. C’est respectable comme attitude.
Eux utilisent des samples pour élaborer leur musique, pas vous. Ca ne vous intéresse pas ?
On a déjà utilisé quelques samples sur nos disques, même si c’était surtout des parties de guitare jouées par nous et samplées ensuite. Mais autrement, ça nous intéresse, bien sûr. Le sample, c’est même en musique la seule invention importante depuis l’électrification de la guitare. Mais si on n’en utilise pas plus, c’est parce qu’on est avant tout un groupe à guitares et qu’on est encore loin d’avoir épuisé toutes les possibilités d’utilisation et de sonorités avec cet instrument. D’autre part, quand on voit tous les gens qui clament que la techno, c’est pas de la musique, pour moi c’est un signe positif, ça veut dire que c’est intéressant…
Propos recueillis par